En plus de la grave crise économique et financière, la Tunisie devrait faire les frais des conditions météorologiques sévères qui favorisent le prolongement des périodes de sécheresse.

La Tunisie figure parmi les 17 pays les plus pauvres en ressources hydriques. Selon la norme internationale, on parle de pauvreté hydrique lorsque les ressources en eau sont en dessous des 1.000 m3 par habitant par an et de stress hydrique, lorsqu’elles sont en dessous des 500 m3. C’est ainsi que la Tunisie, avec 400 m3 par habitant par an, souffre de stress hydrique et est de ce fait, aux prises avec une crise de l’eau.

Le déficit pluviométrique, jusque-là observé (qui est estimé à près de 36% à la mi-décembre), aggrave la situation hydrique désormais critique. Selon Abdallah Rebhi, expert en ressources hydrauliques et ex-secrétaire d’État auprès du ministère de l’Agriculture, la Tunisie demeure fortement exposée à un stress hydrique, et ce, pour la cinquième année consécutive. Au 28 décembre 2022, le taux de remplissage des barrages a atteint à peine les 28,5% avec des réserves en eau qui ne dépassent pas les 661,903 millions de m3, soit près de 43% de moins par rapport à la moyenne des trois dernières années (qui n’étaient pas, par ailleurs, des années particulièrement pluvieuses).

Le changement climatique,  une des principales raisons

Comme un malheur ne vient jamais seul, en plus de la grave crise économique et financière, la Tunisie devrait faire les frais des conditions météorologiques sévères qui favorisent le prolongement des périodes de sécheresse. « La Tunisie devrait connaître une période difficile en raison de la pénurie d’eau  qui est due, notamment aux changements climatiques et à l’augmentation de la consommation d’eau qui a atteint 300 litres par jour par habitant », a souligné, dans ce même contexte, Abdessatar Jebali, directeur général de l’Agence d’exploration des eaux. A l’avenir, le risque lié à la récurrence des épisodes de sécheresse n’est plus à écarter. Le 6e rapport du Giec renforce cette hypothèse et souligne « qu’un réchauffement plus important des terres modifie les principales caractéristiques du cycle de l’eau, ce qui veut dire que le taux de changement des précipitations moyennes et du ruissellement et leur variabilité augmentent avec le réchauffement climatique ».

La Tunisie en tant que pays riverain de la Méditerranée, une région identifiée par les experts comme « hotspot », devrait s’adapter à cette nouvelle réalité qu’est le changement climatique. « Une absence de ce type de politique conduirait à une hausse conséquente de la dette extérieure, ce qui diminuerait la valeur de la monnaie nationale et ainsi le pouvoir d’achat des habitants, tout en menaçant la sécurité alimentaire du pays. De même, l’inflation alimentaire atteint des niveaux très élevés, ce qui aura un impact massif sur l’augmentation de la pauvreté parmi les ménages tunisiens », explique l’AFD, dans la fiche du  projet  « Gemmes »  qui a été lancé par l’agence en collaboration avec l’Itceq pour effectuer des projections des rendements agricoles jusqu’en 2050 et de considérer les politiques envisageables. Car l’impact du changement climatique qui contribue à l’aggravation du  stress hydrique se fait sentir, en premier lieu, sur le secteur agricole. Le stress hydrique  peut même accentuer les tensions sociales.

Répercussions directes sur la balance commerciale alimentaire 

Le Plan national « Sècheresse Tunisie 2020 », préparé dans le cadre de l’Initiative sècheresse de la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (Cnulcd), évoque, entre autres, l’impact de la sécheresse sur les filières céréalières (et par ricochet sur l’importation, notamment du blé) et oléicoles (important pourvoyeur de devises), mais aussi sur l’élevage. D’après le rapport, les productions céréalières peuvent chuter jusqu’à 5 millions de quintaux, tandis que les superficies récoltées se réduisent de  60% pendant les années déficitaires. « Pour réduire ce risque, les agriculteurs adoptent des stratégies en fonction de l’arrivée des pluies dans la saison. Par exemple, ils retardent le semis, réduisent les superficies emblavées, minimisent les investissements durant la campagne (soins apportés aux cultures…) », précise le document. Pour les oliviers, le déficit pluviométrique peut même affecter l’arbre. « La production tunisienne d’olive a été toujours sujette à d’importantes variations d’une année à l’autre sous l’effet du phénomène d’alternance. […]. La plus faible production a été observée au cours de l’année 2002/2003 sous l’effet des années de sécheresse successives de 1999-2002. Elle était uniquement de 150.000 t, soit une baisse de 81 % par rapport à la moyenne », détaille le rapport. Quant à l’élevage, les périodes de sécheresse se traduisent au niveau de la diminution de la production des parcours et de la disponibilité de l’eau pour l’abreuvement. « L’Etat tunisien procède pendant les années de sécheresse à l’importation et la subvention d’orge et des fourrages grossiers. En dépit de cette mesure, le coût de production augmente pendant les années sèches et pousse les éleveurs à réduire l’effectif de leurs troupeaux par la pratique d’une sélection plus sévère », ajoute le rapport.

Coup de théâtre météo en vue ? 

Selon Rebhi, cette situation  exige aujourd’hui l’amélioration de la gouvernance du secteur de l’eau,  une maîtrise de la gestion des réserves hydriques, une révision du code des eaux, ainsi qu’un achèvement des travaux suspendus.

Il a évoqué la nécessité de réfléchir à de nouvelles ressources dans les plus brefs délais. Ainsi, la mobilisation des ressources non conventionnelles, telles que le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées s’avèrent un enjeu primordial pour le secteur de l’eau en Tunisie. En attendant, on peut espérer  un coup de théâtre météo au mois de janvier prochain. En tout cas, c’est ce qu’a affirmé Mehrez Ghannouchi, ingénieur à l’INM, dans un post facebook publié le 28 décembre 2022. « Pour être optimiste, même si la marge d’erreur est relativement élevée pour les prévisions météorologiques lointaines, le modèle américain prévoit le retour des intempéries hivernales à partir de janvier 2023. On peut s’attendre à une quantité assez bonne de pluies au nord du pays avec possibilité de chute de neige sur les hauteurs », a-t-il indiqué.

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