Abdelkader Rakbaoui, ancien avant-centre du ST: «J’ai fini par détester le football !»

Abdelkader Rakbaoui, un des meilleurs attaquants tunisiens de tous les temps, a raccroché à 28 ans après être allé en 1986-87 chercher fortune à la Roche-Sur-Yon, en France. Né le 25 février 1961 à l’Ariana, il a signé en 1970 une première licence parmi les Ecoles de l’Association Sportive de l’Ariana. Au ST, il évolua de 1983 à 1989, tout en revenant de blessure en 1990 juste pour quelques rares titularisations. Rakbaoui porta la casaque de l’équipe de Tunisie de 1981 à 1988 (près de 40 matches pour 16 buts). Ce fonctionnaire à la Snit depuis 1982 est marié et père de quatre enfants.


Abdelkader Rakbaoui, comment êtes-vous venu au foot ?

J’habitais à tout juste une centaine de mètres du stade de l’Ariana. Et c’est le plus logiquement du monde que j’ai signé pour l’ASA à seulement neuf ans.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport ?

Non, j’ai longtemps joué à l’insu de mes parents. Il me fallait aider mon père Brahim, électricien, dans les tâches les plus ingrates. Ni lui ni encore moins ma mère Latifa ne m’avaient encouragé dans ma carrière sportive. Nous sommes onze dans la famille. J’ai dû assister beaucoup de mes frères et sœurs.

Comment êtes-vous passé de l’ASA au ST ?

Dans mon quartier, Mohamed Khalsi dit «Habla» organisait les matches inter-quartiers. Une fois, il nous a emmenés au Bardo pour jouer contre les cadets du ST. Nous l’avons emporté (4-0), et j’ai inscrit les quatre buts. En fait, dès ma jeune enfance, j’aime le Stade Tunisien. Les dirigeants du club du Bardo m’ont tout de suite invité dans un bureau et m’ont fait signer contre un gâteau et une boisson gazeuze. C’est ainsi qu’il m’a fallu rester inactif deux ans avant de pouvoir jouer pour le ST.

Et du ST au club divisionnaire français La Roche-Sur-Yon ?

C’est notre ancien sélectionneur Jean Vincent qui m’a recommandé auprès des dirigeants de ce club. Vincent m’a dit que ce devait être pour moi tout juste un tremplin avant d’aller dans son club, le FC Nantes. Malheureusement, j’y étais parti quelques jours après avoir eu un problème avec le tendon (déjà !). Cela allait marquer négativement mon expérience française d’une seule saison.

Quels furent vos entraîneurs ?

A l’ASA, Abdellatif et Mohamed Guiza. Au ST, Amor Mejri, Ezeddine Bezdah, Salem Kraiem, Noureddine Diwa, Ahmed Mghirbi, Ameur Hizem qui m’a promu parmi les seniors, Nikodimov et André Nagy, le meilleur d’entre eux.

Vous avez mis un terme à votre carrière en 1989 alors que vous n’aviez que 28 printemps. Pourquoi ?

Parce que le footballeur a peu de considération dans notre pays, du moins en notre temps. Tant qu’il joue, il est adulé. Mais il est vite oublié quand il ne sert plus. Le comble, c’est quand on vous néglige complètement parce que vous êtes blessé. 

Quand avez-vous décidé de dire stop ?

La décision a été prise dans les vestiaires alors que le match du championnat 1989 ST-CA se jouait encore. Dès le premier half, le défenseur central clubiste, Lotfi Mhaissi, me touche gravement au tendon rotulien du genou droit qui était déjà dans un piteux état à force d’être martyrisé par les défenseurs. On me transporte sur un brancard jusqu’aux vestiaires, on m’étend sur une table, puis on s’en va. Je ne peux ni bouger, ni prendre ma douche, ni encore moins m’habiller. Mais personne ne vient à mon secours. Ma jambe est coupée en deux. A la mi-temps, les joueurs viennent dans les vestiaires: du bruit et de la fureur, les consignes de l’entraîneur… Mais personne pour daigner jeter un coup d’œil sur ma blessure ou demander de mes nouvelles !

Justement, où est passé le médecin du club ?

Mystère ! Tenant difficilement sur la jambe qui n’est pas touchée, je prends ma douche comme je peux, m’essuie, m’habille puis quitte les vestiaires en claudiquant. Aux vestiaires, je venais de vivre un quart d’heure de souffrance, mais aussi de lucidité. Un supporter clubiste m’aperçoit dans cet état pitoyable. Il me dit: «Gaddour, voulez-vous que je vous ramène à la maison ?», ce qui fut fait. C’est mon épouse Yamina qui me ramène dès mon arrivée chez moi à l’hôpital où on fait le diagnostic. En sortant de l’établissement hospitalier, on me demande de payer les frais de cet examen. Je rentre chez moi avec une jambe droite coupée en deux. Le médecin du ST vient chez moi vers 22h00. Non, il n’est jamais trop tard ! Je suis déjà dans un autre état, torturé physiquement par la douleur et mentalement par ce sentiment d’abandon. 

Quel sentiment avez-vous éprouvé alors ?

Bloqué et totalement dégoûté par une chose nommée football. Le médecin me demande de venir le voir le lendemain pour aller à la clinique-secours. Un joueur, qui fait rentrer de l’argent à son club, qui doit normalement constituer son patrimoine le plus précieux, peut-il être réduit au statut de quantité négligeable et dont personne ne se soucie ? Qu’est-ce qu’il est ingrat et cruel le football ! Bref, j’allais quatre jours plus tard être opéré par Dr Taieb Litaiem à l’hôpital Kassab. Mais le foot était déjà «sorti» de ma vie. Je l’ai vomi, détesté depuis cette blessure. Jusqu’à aujourd’hui, je ne regarde même plus les rencontres européennes.

Le ST a perdu de justesse le championnat 1983-84 au bénéfice du CAB. Que s’est-il passé au dernier match contre le CA où il vous fallait gagner à tout prix ?

Nous avons été vaincus par la pression. Les nerfs étaient à fleur de peau. Ce jour-là, le gardien clubiste Slim Ben Othmane a été une digue infranchissable. Pour sa part, mon coéquipier Rached Tounsi a raté une occasion immanquable. Moncef Chargui a exercé sur moi un marquage de fer. Bref, tant de facteurs nous ont condamnés à un nul frustrant. Ce titre perdu sur le fil constitue mon plus mauvais souvenir, car le ST de l’époque méritait au moins un titre. Celui-là justement qu’il laissa filer de façon incroyable.

Avec qui vous vous entendiez le plus sur le terrain ?

Avec Abdelhamid Hergal, un artiste auprès duquel jouer procure un grand plaisir, et Khemaies Cherif. Quant au joueur qui est affectivement le plus proche de moi, c’est incontestablement Hichem Ncibi.

A votre avis, quel est le meilleur footballeur tunisien de tous les temps ?

Le Clubiste Tahar Chaibi.

Et votre idole ?

Nejib Limam. Tout jeune, je me faisais passer pour Limam.

Le meilleur joueur de l’histoire du ST ?

Noureddine Diwa. Il y a aussi Nejib Limam, Naceur Kerrit et Abdelhamid Hergal.

Si le foot a fini par vous dégoûter, y a-t-il un sport qui vous fascine aujourd’hui ?

Un seul sport, le cyclisme. Je me suis passionné depuis voilà un quart de siècle pour le Tour de France. L’effort surhumain produit par les Pantani, Contador, Armstrong, Indurain, Riis, Ullrich, Froome…  me subjugue.

Toutefois, beaucoup parmi ces champions ont été pris la main dans le sac à l’épreuve du test antidopage ?

Oui, mais il y a une telle sensation de force incroyable que dégage ce sport que je ne peux plus m’en détacher.

Auriez-vous par hasard fait du cyclisme si vous n’étiez pas footballeur ?

Non, plutôt de l’athlétisme. J’étais rapide, résistant et très fort sur le démarrage court. 

De qui se compose votre famille ?

Avec Amina, que j’ai épousée en 1987, nous avons eu quatre enfants: Ayoub, Rahma, Nour El Houda et Ghassen. J’ai toujours été locataire malgré mon travail à la Snit où j’exerce depuis 1982 quand notre président Hedi Enneifer m’y intégra. Je n’ai pas frappé aux portes. J’ai ouvert un café qui n’a pas marché. 

Un souvenir qui vous est resté en mémoire de votre carrière en sélection nationale ?

Aux Jeux panarabes, le 7 août 1985 à Rabat contre le Maroc, j’ai été pris au marquage par les deux défenseurs axiaux chérifiens Lebiaz et Bouyahiaoui. J’étais alors au sommet de mon art. Ne trouvant pas la parade pour me museler, Lebiaz m’asséna un coup terrible à la cuisse. Mais j’allais prendre ma revanche sur son alter ego Bouyahiaoui que j’ai envoyé dans les panneaux publicitaires grâce à un dribble déroutant. Il a failli y laisser sa peau !

Enfin, vous rappelez-vous de vos meilleures productions ?

Les trois matches de préparation livrés en Hollande avant de jouer contre l’Algérie au dernier tour de la qualification au Mondial 1986. Aux Pays-Bas, nous avons été opposés les 18, 23 et 25 septembre 1985 respectivement à Sportclub Heerenven, à la sélection régionale du Nord et au FC Groninguen. J’ai inscrit trois buts dans ces matches-tests, et fait des merveilles. Il y a aussi le match remporté face au CA (4-0).

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