Enjeux géopolitiques et crise morale

Editorial La Presse

 

LUNDI 6 février, la terre a tremblé au sud-est de la Turquie et au nord de la Syrie. Selon l’Organisation mondiale de la santé, c’est le pire désastre naturel en un siècle. Un bilan qui approche les 40 mille morts, en train de s’alourdir d’heure en heure, et qui pourrait doubler selon l’ONU. Plus de 7 millions d’enfants sont affectés par la catastrophe, a indiqué l’Unicef.

Les chiffres sont effarants, les images retransmises par les télévisions du monde entier sont terribles. Partout il n’y a que mort et désolation. Des villes entières devenues tombeaux à ciel ouvert. Des quartiers, des amoncellements de gravats. Des familles décimées sur trois générations. Et des survivants errant comme des fantômes, après avoir tout perdu.

Face aux catastrophes naturelles, l’homme se sent impuissant. Il y a tout de même ici quelques leçons à tirer. Si, en Syrie, les constructions sont fragilisées par la guerre, en Turquie, c’est une autre histoire. Le secteur du bâtiment est la cible de virulentes critiques parce que devenu le témoignage vivant de la corruption qui gangrène les BTP. Les immeubles, qui se sont écroulés comme des châteaux de cartes, ont été construits, pour certains, selon des normes antisismiques. A titre d’exemple, l’immeuble Renaissance, une des plus belles résidences d’Antakya (Antioche), avec 12 étages, 250 logements et des services sophistiqués proposés aux résidents.  Vendu trois fois plus cher que les constructions aux alentours, cet immeuble s’est affaissé en deux minutes, pendant que les bâtisses voisines ont tenu bon. Bilan provisoire : 800 morts. Un exemple parmi des milliers d’autres.

La collusion entre la classe politique et les promoteurs immobiliers est avérée. Délivrances de permis de construire opaques, défauts de conception, fondations et piliers inappropriés, terrains non constructibles parce que sableux. De mauvaises pratiques à la pelle. Et à mesure que les secouristes fouillent, ils découvrent des anomalies. Les normes antisismiques que claironnent les constructeurs ne sont pas souvent respectées. Plus d’une centaine d’enquêtes et d’avis de recherche sont actuellement lancés. Certains promoteurs ont été interpellés alors qu’ils tentaient de fuir.

Problème, il y a comme un air de déjà-vu. Le séisme qui a frappé Izmit, ville à 100 km à l’est d’Istanbul, en 1999, a fait 17 mille morts. Plus de 2.000 procédures avaient été alors ouvertes. Tous les accusés ont été amnistiés, un an plus tard…

Outre la colère qu’éprouve et dit le peuple turc uni dans la douleur, se profile un autre grand malaise. Si la communauté internationale a volé au secours de la Turquie, beaucoup moins de la Syrie, l’aide a été aux premières et décisives 72 heures globalement très en deçà des besoins. Les effectifs des secouristes et personnels soignants dépêchés sur place sont en effet assez réduits et insuffisamment équipés de caméras thermiques, de matériels d’écoute… indispensables pour retrouver des survivants sous les décombres. Le monde entier a pu observer des hommes et des femmes retourner les gravats nuit et jour, à mains nues, et crier en chœur pour tenter de détecter un souffle de vie envoyé des entrailles de la terre. Si les pays riches avaient été, comme ils savent l’être, rapides et efficaces, des milliers de vies auraient pu être sauvées.

C’est seulement quelques jours après le désastre que les grandes puissances ont fait taire, pour un moment, leurs préoccupations géopolitiques pour accourir avec hommes et matériels lourds. Pour l’heure, ils sont en train d’aider les rescapés. Mais pour près de 40 mille personnes, c’est trop tard. Nous savons tous que des hommes, des femmes et des enfants, par milliers, ont eu la plus atroce des morts, enterrés vivants.

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