Ramadan | Approvisionnement des marchés – Faouzi Chokri, agroéconomiste, à La Presse : «Le gouvernement peut inciter les entreprises à modérer la hausse des prix»

 

«Si l’année 2022 a été rythmée par la hausse des prix de l’alimentation, mais aussi par certaines pénuries alimentaires, 2023, et surtout durant le mois de Ramadan, devrait continuer sur cette malheureuse lancée. Cette année encore, des produits risquent d’être absents des rayons et faire ses courses demandera toujours un effort financier. Les effets de l’inflation continueront à se faire sentir en 2023».

A l’approche du mois de Ramadan, le souci de l’approvisionnement refait surface. Comment se présente aujourd’hui la situation d’approvisionnement des marchés et des prix des produits de large consommation ?

La disponibilité des produits alimentaires s’analyse à travers l’offre des produits sur les marchés (quantité et diversité), l’existence de stocks au niveau micro et macro et l’étude des flux. A l’approche du mois de Ramadan, il est nécessaire de comprendre au préalable la structure de la disponibilité alimentaire nationale. En effet, en fonction du degré de dépendance du pays aux importations, l’attention doit plus ou moins se porter sur les marchés internationaux.

En Tunisie, considérée comme un pays fortement tributaire des importations, les prix sur les marchés domestiques sont en général liés aux fluctuations internationales. Cependant, les marchés urbains ou ruraux peuvent réagir différemment à ces variations selon leur niveau de dépendance et d’intégration.  Pour les marchés régionaux, l’analyse porte plutôt sur les résultats des campagnes agricoles. Les prix sont alors étroitement corrélés à la disponibilité de ces produits.

Est-ce que le spectre des pénuries des produits de base pourrait se poursuivre durant ce mois à forte consommation ?

Si l’année 2022 a été rythmée par la hausse des prix de l’alimentation, mais aussi par certaines pénuries alimentaires, 2023, et surtout durant le mois de Ramadan, devrait continuer sur cette malheureuse lancée. Cette année encore, des produits risquent d’être absents des rayons et faire ses courses demandera toujours un effort financier. Les effets de l’inflation continueront à se faire sentir en 2023. Alimentation, mais aussi produits d’hygiène et d’entretien, faire ses courses continuera à peser sur le budget des Tunisiens, dans un contexte économique très difficile.

Concernant les prix, qui font l’objet d’un suivi vigilant, comment peut-on limiter leurs augmentations ? Comment peut-on contrecarrer l’inflation galopante pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens ?

L’année 2022 restera marquée par une inflation historique, avec des taux records jamais vus depuis des décennies. La crise économique actuelle touche tous les secteurs présentés par une pénurie de matières premières et une hausse exponentielle des prix. Pour les particuliers, l’inflation en 2022, et qui continue en 2023, signifie une augmentation nette du coût de l’énergie, des produits alimentaires et des taux d’intérêt.

Par conséquent, notre pouvoir d’achat et notre épargne sont impactés négativement. Pour contrecarrer les effets négatifs de l’inflation, le pouvoir public doit impérativement prendre des mesures immédiates pour l’inflation d’origine monétaire.

La Banque centrale cherche alors à restreindre la masse monétaire en circulation, en diminuant le volume des crédits distribués par les banques commerciales. Pour ce faire, elle va recourir à une politique d’encadrement du crédit (limitation du volume de crédits distribués par accroissement des taux d’intérêt). Le risque de ce type de politique est de freiner l’activité économique (investissements et consommation à crédits plus chers) et donc de provoquer une récession qui générera du chômage.

Pour l’inflation due à un excès de la demande (politique budgétaire), le pouvoir public peut alors utiliser la politique budgétaire, en baissant les revenus distribués par l’Etat (limitation de la progression des revenus des fonctionnaires, réduction des programmes de travaux publics…), en augmentant les recettes publiques (impôts, taxes…). L’objectif est de réduire le revenu disponible à la consommation et donc de rétablir l’équilibre offre/demande. Pour l’inflation due aux coûts de la production (politique des revenus), le contrôle des prix et la politique des revenus sont les instruments employés. Le gouvernement peut ainsi inciter les entreprises à modérer la hausse des prix, il peut surveiller ou même bloquer certains revenus pendant une durée déterminée.

Face à la difficulté d’obtenir des résultats satisfaisants avec ces instruments de politique conjoncturelle, le pouvoir public peut utiliser des moyens de lutte à plus long terme, en développant principalement la concurrence par les prix, c’est-à-dire en incitant les entreprises à mieux maîtriser leurs coûts de production (amélioration de la compétitivité) et à diminuer leurs marges bénéficiaires pour conserver leurs parts de marché.

Cette politique doit s’accompagner de mesures visant à contrôler et sanctionner les pratiques anti-concurrentielles.

D’après vous, comment veiller au bon fonctionnement des marchés, à la fluidité des circuits de distribution et sur la transparence et régularité des pratiques commerciales et lutter activement contre toutes les manœuvres spéculatives ?

Afin de lutter contre toutes manœuvres spéculatives et pour assurer un bon fonctionnement des marchés, garantir la fluidité des circuits de distribution, la transparence et la régularité des pratiques commerciales, on doit réunir les conditions d’un meilleur équilibre des relations commerciales, à savoir : diagnostiquer la situation actuelle des producteurs, des transformateurs, de leurs salariés et des consommateurs, réviser les mécanismes de formation des prix et de répartition des marges, encourager l’implantation des surfaces commerciales dans toutes les régions de la Tunisie. Il s’agit aussi de renforcer les contrôles pour mettre un terme aux pratiques illégales de certains commerciaux,  donner à l’administration les moyens d’imposer les sanctions administratives et mettre effectivement en œuvre les poursuites civiles et pénales.

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