Exposition : «Les bruissements de la pierre» de Atef Maatallah à la galerie la Marsa : Tout passe par l’idée

L’artiste traite d’une thématique très tendance, ces derniers temps, que ce soit sous nos cieux ou ailleurs, d’une façon assez originale, car découlant de son vécu. Il s’agit, en l’occurrence, de la thématique du rapport aux ruines antiques, du rapport au passé et à la mémoire.

L’annonce de l’exposition Les bruissements de la pierre de l’artiste Atef Maatallah à la Galerie La Marsa (du 15 juin au 15 juillet) sur Facebook nous a incités à courir la voir, l’une des œuvres intitulée «Le Défilé des empereurs», nous ayant mis l’eau à la bouche. Nous étions à l’heure, le samedi 15 juin, jour du vernissage: une visite était prévue en présence de l’artiste et d’une médiatrice, initiative fort louable permettant de donner la parole à l’artiste, d’engager la discussion avec les visiteurs et de susciter le débat. Car, dans ce monde de l’art tunisois fermé, on manque d’échanges. La règle veut que «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil».
Maatallah, entouré d’un groupe de visiteurs qui semblaient conquis par son travail, commentait ses œuvres et répondait aux questions afin d’expliciter sa démarche. A deux de nos questions, la première portant sur le choix du dessin et la deuxième concernant la technique utilisée pour dessiner ; le plasticien a répondu : «J’ai commencé par la peinture mais l’entreprise m’a paru colossale et nécessitant un temps fou. J’ai choisi alors le dessin d’après des photographies que j’agrandis par la mise au carreau*». A la troisième question, l’exposant se dérobe. Nous n’insistons pas et nous nous focalisons sur les œuvres.
La première «Le Défilé des empereurs», celle qui nous a poussés à voir l’exposition, nous parut sur place quelque peu «froide», le traitement graphique nous ayant laissés sur notre faim: le trait manque de verve, d’intensité, d’âme. Et ce, malgré notre intérêt pour le sujet figuré, l’originalité de la composition, le cadrage serré à la manière cinématographique. L’œuvre possède une portée symbolique et ne manque pas d’humour : elle représente des statues antiques d’empereurs et de seigneurs décapités, «des dominants», en somme, devant lesquels défile un troupeau de moutons (de Panurge) qui, on le sait, symbolise le peuple soumis, «les dominés». La décapitation suggère-t-elle une revanche du peuple sur l’histoire ?
Ce dessin donne le la, tous les autres dessins, des grands formats pour la plupart, montrent les ruines du site archéologique de Thuburbo Majus, situé à El Fahs, la ville natale de Maatallah, et obéissent au même dispositif. Un dispositif binaire construit en deux temps : le temps antique des ruines et le temps actuel de l’artiste et de ses contemporains. La mise en scène repose sur un jeu de l’anachronisme, le télescopage d’objets du quotidien présent avec les ruines du passé antique suscitant un effet surréaliste. Il en va ainsi pour «Les linges de Junon» : par une arcade, le spectateur pénètre dans l’œuvre pour apercevoir deux robes étendues sur une corde à linge, auxquelles font pendant deux colonnes, tandis qu’un sac en plastique prend son envol. De même pour «Pugilats», représentant une mosaïque sur laquelle sont posés une bouteille d’eau minérale et un gobelet en plastique. Idem pour Vinum et gymnase, etc. Toutefois, à force de poser une cannette par-ci, une bouteille par-là, Atef Maatallah frise l’anecdotique et tombe dans la redondance. On l’aura compris, nous autres contemporains de l’artiste, nos objets nous survivront, la mort étant notre destin à tous. Nos objets témoigneront de notre passage sur terre, de notre civilisation : ce sont nos traces.
Aussi, l’exposant aspire-t-il à représenter la vie qui anime les ruines fréquentées par les enfants qui y jouent au ballon («Il y est !»), sans oublier les gardiens du site (Sajeda), mais également les marginaux qui y trouvent refuge («Le rêveur des muses»), ainsi que les jeunes rongés par le chômage et l’ennui, en quête d’ailleurs lointains («Les pieds sur terre des muses», ou, «El-Mzéoudi»). Dommage que les bruissements de la pierre, pour reprendre l’intitulé de l’exposition, le sentiment de vie, la vibration de la présence humaine ne passent pas par le médium employé, à savoir le dessin, mais sont plutôt véhiculés par l’idée et le propos qui sous-tendent les œuvres exposées.
Cela ne doit pas occulter la démarche sincère et touchante de Maatallah qui relate ici ses souvenirs d’enfance : la dernière pièce de l’exposition montre une photographie de l’artiste enfant au côté de sa sœur, au cœur de ces ruines. Dans «El-Mzéoudi», il rend hommage à son ami d’enfance disparu après ses mésaventures de migrant en Europe. Signalons, également, ses trouvailles en matière de mise en scène qui sont riches de sens tel «Le Défilé des empereurs» ou «Sajeda». Dans cette dernière œuvre, on voit un tapis de prière à moitié enroulé, appartenant probablement au gardien du site, posé à terre en face d’un gymnase antique. S’agit-il de syncrétisme ou d’un théâtre de l’absurde : un rite monothéiste se déroulant dans un décor païen?
Néanmoins, un certain souci documentaire suggéré par une série d’œuvres reproduisant des cartes postales du site de Thuburbo Majus, datant de l’époque coloniale laisse perplexe. Il s’agit d’agrandissements sans aucune autre intervention de l’artiste. Et Maatallah d’expliquer, concernant l’une d’entre elles : «Cette carte postale est la première qui reproduit le site. Je l’ai agrandie, parce que le photographe m’a paru fasciné par le site». Certes, il était fasciné, mais quand on sait que la mise en image des sites archéologiques et leur inventaire s’inscrivent dans une entreprise coloniale menée en Tunisie, depuis la fin du XIXe siècle, l’œuvre et les propos de l’artiste peuvent paraître naïfs. Naïfs, comme le sont également les mosaïques reproduisant un paquet de cigarettes, des billes ou encore une cannette de bière, intitulées pompeusement et respectivement : «Opus tessellatum I», «Opus tessellatum II», «Opus tessellatum III».
Une autre série intitulée «Fragmenta» reproduit les fissures des pierres et racontent, avec insistance par moments, le passage du temps. Une œuvre se distingue, à nos yeux, du lot, celle nommée «Fragmenta IV», où l’intérêt pour le détail est captivant et où le minéral et le végétal ne font plus qu’un.
In fine, dans cette exposition, l’artiste traite d’une thématique très tendance, ces derniers temps, que ce soit sous nos cieux ou ailleurs, d’une façon assez originale, car découlant de son vécu. Il s’agit, en l’occurrence, de la thématique du rapport aux ruines antiques, du rapport au passé et à la mémoire. Dommage que le traitement graphique manque de contrastes et de reliefs et reste en deçà du propos.

Alia Nakhli
Historienne de l’art Université de La Manouba
* Technique permettant de reproduire une image à différentes échelles en utilisant un quadrillage.

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