Entretien avec Zied Zouari, musicien, violoniste et créateur de l’«Electro Btaihi» : «Carthage est dans la continuité d’une démarche artistique»

La soirée du 23 juillet 2019 au Festival de Carthage verra défiler des artistes jeunes qui révolutionnent depuis peu la scène musicale tunisienne : Lina Ben Ali, Nidhal Yahyaoui et son projet «Chaouia» mais surtout Zied Zouari qui sera de retour avec le projet «Electro Btaihi dans les régions». Une échappée sonore d’une soixantaine de minutes qui comprend 8 chansons inédites. Ce spectacle musical lancé en 2016, par Zied Zouari, Ghasen Fendri et Twinlo, n’a cessé d’évoluer. Cette année, à Carthage, d’autres artistes issus de toutes les régions tunisiennes viendront renforcer la troupe pour un spectacle musical inédit… et particulièrement attendu. Rencontre avec cet artiste distingué dans l’air du temps !

Pouvez-vous nous donner un aperçu général de votre soirée tant attendue du 23 juillet sur la scène du festival international de Carthage ?
Le contenu est en rapport avec ma dernière création «Electro Btaihi», créée en 2016 mais qui a été agrémentée entre-temps par des invités de régions : Testour, Zaghouan, Nabeul, Tunis, Sfax, Gabès, Médenine et Sidi Bouzid. Il va y avoir des guests de ces régions citées. Des vocalistes, des artistes représentants de la communauté noire Stambali à Gabès, Islem Jmaii de Médenine, Aïda Nyati de Testour, Olfa Hamdi de Sidi Bouzid, Saïfeddine Tebini de Zaghouan qui représente l’école soufie, confrérique. Le percussionniste Mohamed Basraoui qui joue du Dédjérido et qui est de Tunis. De Mateur, on a Salah Jbeli qui joue de la gasba et du Nay. On a renforcé l’inscription dans l’identité tunisienne, on est allé vers les régions qu’on agrémente avec beaucoup de styles différents et de mouvances traditionnelles : ils fusionnent encore toujours avec le chant de prédilection d’origine qui reste toujours l’électro, hip-hop, beatbox confectionné par Twinlo. Le noyau dur d’origine qui a lancé le projet «Electro Btaihi».

Est-ce que vous vous êtes basé sur des critères spécifiques pour choisir vos artistes invités ?
Il y a eu un travail à distance : j’ai des artistes de confiance, des gens du terrain qui m’ont conseillé les potentiels. J’ai beaucoup misé sur les jeunes, c’était le critère numéro 1 : avoir des jeunes ouverts d’esprit, énergiques, une tradition qui est amenée à dialoguer avec ce qu’on fait, ce qui n’est pas évident. Si on prend le cas d’un cheikh qui a 40 ans d’expérience, on pourra avoir un blocage, ne pas pouvoir communiquer. Il y a aussi la performance. J’ai joué sur une complémentarité qui pouvait forcément se créer entre les jeunes artistes retenus.

Comment définissez-vous au public l’«Electro Btaihi» ?
C’est la fusion de la tradition avec la modernité : un projet à mi-chemin entre les chants ancestraux qui me taraudent toujours : à chaque composition, à chaque création, il y a toujours cette identité qui me sert d’assise, et bien sûr toute la touche moderne du rock, du hip-hop de l’électro, on utilise beaucoup d’effets et ce carrefour-là entre musique underground et traditionnel est notre champ de prédilection. Après, bien sûr, on est allé piocher encore plus dans la philosophie du projet. Pour moi, il y a deux écoles : la première est l’école française du conservatoire, et l’institut de musique, mes diplômes, et de l’autre côté, on a la musique de rue, l’underground. Il y a une cloison entre ces deux mondes, on a l’impression qu’ils ne communiquent pas du tout : une sorte de tabou entre eux. J’ai eu l’occasion d’être dans ces deux univers musicaux et je me suis dit que l’Electro Btaihi est une manière de casser ce tabou, de le rapprocher, de décloisonner la musique traditionnelle. Une manière d’empêcher la musique ancienne de disparaître et de la remettre au goût du jour.

Depuis la genèse de l’Electro Btaihi, est-ce que vous vous considérez comme un artiste qui avance en solo ?
L’un n’empêche pas l’autre! Au contraire, mes allers-retours de Zied Zouari, l’interprète soliste, et le créateur, fédérateur, meneur de projet et autres casquettes… Je pense que c’est une source d’inspiration pour mes projets, autant d’activités qui me permettent de m’enrichir, de m’ouvrir sur le monde, c’est important ! Je pense que c’était quelque chose de crucial pour pouvoir avancer. Je continue d’évoluer ainsi et c’est plus que le bienvenu.

Comment s’est passée votre collaboration avec Goran Bregovic ?
C’est le rêve à chaque fois ! C’était magnifique. C’est le roi de la musique Balkane, je rêvais de le rencontrer avant et je me retrouve de nos jours invité d’honneur sur son album. C’était un projet de tolérance, gigantesque où l’on jouait avec des orchestres philarmoniques du monde. Encore une fois, pour moi c’était LA source d’inspiration et ce, pour la suite de mon parcours.

Vous n’avez pas l’impression qu’il a fallu que vous fassiez vos preuves ici et à l’étranger pour pouvoir monter sur la scène de Carthage ?
Les festivals en Tunisie ont davantage tendance à parler «bilan commercial», bilan de vente, budgétaire. Moi, je dirai qu’il faudrait miser davantage sur cette dimension culturelle et assurer la communication derrière. Or, on communique sur les gros projets parce qu’ils coûtent cher à l’Etat et aux festivals, du coup ils voudraient avoir un retour sur investissement après. Pour répondre à votre question, d’un point de vue culturel, c’est trop tard mais d’un point de vue commercial, c’est juste à temps. La communication, on essaie de la travailler par nos moyens, en usant des réseaux sociaux et en faisant appel à vous, journalistes intéressés par ce genre de musique. Eh oui: On va remplir Carthage !

Qu’est-ce que vous voudriez voir changer sur la scène culturelle tunisienne ?
Beaucoup de choses ! Mais ça, c’est un article à part. Je dirais, quitter les grandes villes, Tunis par exemple et partir dans les régions. Pour moi, la première chose, c’est quitter le terrain et ne pas prétendre le faire. Par exemple, un concert de variété proposé pour la clôture de X Festival, je l’aurais proposé pour une autre date. J’aurais programmé des projets nécessiteux d’un soutien du «système», des projets à risque. Il faut arrêter de subventionner des projets sur la route qui sont intéressants sur le plan culturel, bien sûr. Un exemple parmi tant d’autres qui me traverse l’esprit.

Avez-vous un projet en préparation ?
Vous m’avez espionné ! (rire) Electro Btaihi intéresse beaucoup mon producteur français «Accords croisés». Une collaboration est en cours de négociation. Je cite qu’il y a une stratégie et que Carthage est dans la continuité d’une démarche et la suite arrivera à temps !

Avec qui rêvez-vous de collaborer prochainement ?
(Rires) Un nom ? Eh bien, après Goran déjà… mais bon, je dirai Robert Plant.

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