KAIROUAN : Des jeunes en manque de loisirs

Les espaces et les parcs de loisirs sont quasi inexistants

Les loisirs sont les moments libres dont on dispose pour faire des activités ludiques ou culturelles, en dehors de ses préoccupations quotidiennes et des contraintes qu’elles imposent, ce qui procure beaucoup de délassement, surtout lorsqu’on s’adonne à ses hobbies préférés, tels que les exercices physiques, les promenades à pied comme moyen de détente, la télévision, le bricolage, les travaux ménagers, la lecture de livres et de revues, les jeux de cartes, la rencontre d’amis, le jardinage, la peinture, la couture ou la musique.
Néanmoins, les disparités caractérisant le paysage social et économique entre les différentes régions du pays sont énormes. Ainsi, dans un gouvernorat comme celui de Kairouan, qui enregistre une régression de son processus de développement et où tous les indicateurs sont au rouge, il n’y a pas beaucoup de façons de profiter de ses moments libres. En un mot, c’est le désert culturel par excellence où les citoyens, notamment les jeunes, se sentent en plein désarroi dans une ambiance de mal-vivre.
Et en cette période estivale, les journées défilent dans l’ennui et l’oisiveté. Dans les quartiers populaires, les jeunes écoliers en vacances jouent au ballon, aux billes ou à la toupie, et ce, faute d’autres loisirs plus intéressants.
Et dans les quartiers résidentiels, c’est le calme, étant donné que les jeunes s’adonnent à domicile aux jeux vidéo avec ce que cela comporte comme risque d’addiction, d’isolement et de manque de communication.

Plongés dans le désœuvrement
En fait, pour une jeunesse avide de divertissement et de loisirs, c’est la platitude et le vide culturel. Et on a beau aimer la vie, on ne va même pas au cinéma, faute de salle.
En outre, les parcs de loisirs sont presque inexistants. Seules s’offrent à la vue des citoyens obligés de passer l’été torride à Kairouan pour des raisons financières ou professionnelles, les façades des habitations qui longent les rêves et où s’entassent les poubelles et les détritus de toutes sortes.

Témoignages
A la cité commerciale, des jeunes étaient assis sur des bancs publics et profitaient de la brise nocturne. L’un d’eux, Ali Mtiri ,diplômé du supérieur, nous interpelle : «Nous vivons dans un environnement hostile et une conjoncture difficile en matière d’emplois, et ce, à cause de passe-droits, d’absence d’efficacité dans le traitement des dossiers des citoyens, du peu de transparence dans les différents concours et les recrutements. C’est pourquoi nous ne reconnaissons plus notre pays que nous avons envie de quitter une fois pour toute, même clandestinement.
Par ailleurs, à Kairouan on manque d’espaces culturels et d’aires de loisirs.
Même la piscine municipale qui nous permettait de nous rafraîchir surtout en période estivale est fermée depuis 7 mois en raison des travaux qui traînent et qui traînent. Et dire qu’on espérait la création d’une deuxième piscine mieux équipée et plus moderne ! On peut toujours attendre et rêver… En outre, la maison des jeunes est désertée à cause de la modestie de ses équipements et de ses programmes et le complexe culturel Assad Ibn El Fourat n’est sollicité que pendant de rares festivals plutôt modestes. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucune annonce de programme d’aucun festival contrairement aux autres villes tunisiennes».
Son ami Chafik Sellami renchérit : «En fait, notre programme estival est répétitif et se réduit à nous contenter de balades nocturnes au centre-ville, à l’achat de pizzas ou de bricks, à des parties endiablées sur des consoles de jeux dans les locaux de «playstation», à des veillées dans des salons de thé enfumés ou dans des cafés bondés de monde, à des heures de détente à Bir Barroute et dans les vieux souks couverts et qui sont relativement frais, même pendant la sieste. Mais quand nous rentrons chez nous, le soir, l’ennui nous saisit et nous ressentons la solitude car nos joies sont rares et se dissipent vite. Quelle absurdité ces journées estivales qui se succèdent sans aller nulle part.
C’est pourquoi nous attendons avec impatience le retour de l’hiver qui est plutôt animé…».

Et en milieu rural, c’est l’oisiveté la plus totale
Pour avoir une idée plus concrète sur la situation des jeunes en milieu rural, nous nous sommes déplacés au village de Dhibet (délégation d’El Ala) où nous avons relevé beaucoup de carences en ce qui concerne les loisirs.
Ici, les villageois vivent du secteur agricole dominé par l’olivier et l’amandier et par le petit élevage. Mais c’est le désœuvrement d’une jeunesse brisée par la marginalisation, la nécessité, le chômage et les difficultés de la vie.
Omar Dhibi, 26 ans, et Salem Ben Abdallah, 27 ans, diplômés et sans emploi, étaient affalés au pied d’un olivier centenaire situé près de la source «Saadlia» et parlaient de tout et de rien. «Ici, dans ce petit village, nous souffrons beaucoup du chômage qui a poussé les gens à choisir le chemin de l’exode et à abandonner leurs modestes logements qui sont vides et habités par les scorpions. Vivre ici à Dhibet, pour des jeunes comme nous, c’est attendre la mort en piétinant dans du néant. Notre seule distraction, c’est de roder dans les vallées et les chemins creux en regardant voler les papillons… La maigre vibration de l’air nous touche comme si c’était un événement… Hormis quelques propriétaires terriens aisés qui peuvent emmener leurs enfants se divertir dans les villes de Sousse et de Monastir, le reste des campagnards sont à l’affût de n’importe quelle fugue pour se prélasser et se désengager du lourd fardeau des examens de fin d’année. Et pour ceux qui sont au chômage, c’est le désenchantement le plus total. De ce fait, c’est soit la radicalisation, soit l’intégration des circuits de la contrebande ou du banditisme. Autre phénomène inquiétant, c’est celui de la «zatla» qui devient accessible et qui touche surtout les jeunes ayant abandonné leurs études et qui deviennent dépendants, violents même vis-à-vis de leurs parents et incontrôlables. Ainsi, cet état de malaise a engendré une augmentation du taux de suicide, surtout auprès des adolescents car on sait que l’adolescence est très importante pour la construction de la personnalité. Or, il arrive qu’elle se fasse dans la douleur et dans la souffrance. En un mot, les jeunes d’El Ala se sentent inférieurs à ceux qui vivent dans d’autres régions où les opportunités d’emploi sont plus importantes. Alors quand on voit sur les plateaux télé des politiciens se chamailler et ensuite nous exhorter à aller voter pour eux, nous trouvons cela loufoque et ridicule car ils nous prennent pour des débiles mentaux…».

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