Considéré comme un destourien démocrate historique, Mohamed Béji Caïd Essebsi n’a cessé depuis sa prime jeunesse d’accompagner les expériences de modération, d’«ouverture», les réformes, les réconciliations… Ce qui lui a permis de connaître une riche carrière politique jalonnée de satisfactions, de déceptions et de come-back. Il en est sorti une carrière politique prestigieuse et un vaste réseau d’amis en Tunisie et dans le monde. Son accord consensuel établi à Paris avec les islamistes a permis de garantir la paix civile et d’écarter l’agressivité et la violence. Il est le père de la Tunisie centriste et moderniste, la Tunisie de l’Islah. Ne l’oublions jamais !
Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, nous a quittés hier, 25 juillet 2019, à l’âge de 92 ans, alors qu’il était en admission d’urgence pour la troisième fois à l’Hôpital militaire de Tunis.
Considéré par ses fans comme un destourien démocrate historique, il n’a cessé depuis sa prime jeunesse d’accompagner les expériences de modération, d’«ouverture», les réformes, les réconciliations… Ce qui lui a permis de connaître une riche carrière politique jalonnée de satisfactions, de déceptions et de come-back, en tant que militant du parti Néo-Destour et partie prenante de l’expérience des destouriens libéraux et du journal Er-Raï. Il en est sorti une carrière politique prestigieuse et un vaste réseau d’amis en Tunisie et dans le monde.
Sa première carrière politique se termina par des missions historiques en tant que diplomate maîtrisant ses dossiers et patriote distingué et rigoureux. C’est l’artisan de la victoire diplomatique contre Israël par une condamnation par le Conseil de sécurité de l’ONU, suite au bombardement des campements palestiniens de Hammam-Chatt.
Ce fut ensuite un parlementaire adroit à la tête de la Chambre des députés mal élus sous Ben Ali, avant de clore en tant qu’écrivain par son œuvre «Bourguiba : le bon grain et l’ivraie».
C’est enfin le Béji Caïd Essebsi amical, d’après la révolution, baptisé « Bajbouj » ou encore BCE, devenu, à 88 ans, le premier président de la 2ème République, démocratiquement élu, cette fois. Grâce au million et 700 mille voix nidaïstes obtenues en 2014.
Doté d’une carrière politique riche et d’un prestigieux diplôme d’avocat obtenu à Paris, il a marqué par sa modération, son savoir-faire et son humour, un tournant important au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011.
Véritable locomotive politique, il a été dès les premiers jours ayant succédé à la révolution populaire, aux premières loges. Pour plaider en faveur du pluralisme, de la démocratie plurielle et du consensus. Nommé Premier ministre en février 2011, alors que le pays traversait une phase chaotique, il mènera la Tunisie vers ses premières élections libres. Elections qui poseront les premiers jalons de la transition démocratique.
Après l’élection de l’Assemblée constituante et la victoire écrasante d’Ennahdha et de ses alliés, il appelle à agir en vue de l’équilibre de la distribution des voix au sein du Parlement. En juin 2012, son «Appel de la Tunisie» rendu public le 26 janvier 2012 se transforme en Nida Tounès, un parti hétérogène qui compte parmi ses adhérents des militants d’origines multiples. Aussi bien des syndicalistes que des destouriens, des militants de gauche et d’extrême gauche ou encore des membres du RCD dissous. Ainsi que des modérés de toutes sensibilités, des intellectuels et des universitaires.
Nida Tounès aura été un mélange singulier où l’islam modéré tunisien avait sa place et où l’idéologie était écartée. Un parti militant pour la Tunisie.
Maîtrisant le sens de l’Etat et veillant au rétablissement de son prestige, l’illustre défunt ne cessera jamais de le rappeler et ne manquera pas une occasion pour rappeler l’article 1er de la première Constitution, qui figurera ainsi dans le texte de la constitution du 27 janvier 2014 : «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime».
Fervent disciple de Bourguiba, il préférait s’exprimer en arabe dialectal pour s’adresser aux Tunisiens même lors des cérémonies officielles. Bon tribun, sympathique, il a gagné les Tunisiens par sa convivialité, ses phrases simples, ses citations intellectuelles, par ses nombreux versets du Coran et proverbes tunisiens.
Béji Caïd Essebsi, qui a milité depuis l’âge de 11 ans, alors qu’il était élève au Collège Sadiki, a poursuivi ses études supérieures en France où il obtint en 1950 une licence de la faculté de Droit de Paris, avant de s’inscrire au barreau de Tunis en 1952. Il débute sa carrière en plaidant dans des procès de militants du Néo-Destour.
Au lendemain de l’indépendance, en 1956, il rejoint le gouvernement comme conseiller d’Habib Bourguiba, devenu Premier ministre.
BCE aura une riche carrière politique démarrant au poste de directeur général de la Sûreté nationale puis ministre de l’Intérieur.
Nommé ambassadeur de Tunisie aux Etats-Unis, il ne partira pas et sera nommé ministre de la Défense dans le gouvernement de Bahi Ladgham, au sortir de la mauvaise passe des coopératives. En 1970, il devient député mais sera désigné ambassadeur en France.
Béji Caïd Essebsi a connu une longue traversée du désert avant de réintégrer le gouvernement comme ministre des Affaires étrangères le 15 avril 1981, poste qu’il occupera jusqu’au 15 septembre 1986.
Son dernier mandat de député s’est achevé en 1994.
Il reprendra son métier d’avocat et continuera de plaider, par moments, devant la Cour d’appel de Tunis dans des affaires d’arbitrage.
Son mandat inachevé a été consacré à sauver le pays de la division, et il a réussi à cohabiter avec Rached Ghannouchi grâce à sa modération, son réalisme et son pragmatisme bourguibien. Il n’a cessé de prôner la modération et de rechercher le consensus.
Son accord consensuel établi à Paris avec les islamistes a permis de garantir la paix civile et d’écarter l’agressivité et la violence. Mais, arrivé en fin de vie, il semble hésiter et aurait souhaité se débarrasser des doutes dont il n’est pas arrivé â se défaire à propos de la sincérité des islamistes tunisiens. Malgré les cravates, l’adoption du CSP, la lutte commune contre le salafisme et le terrorisme.
C’est ce doute qui a conduit aux divisions au sein de son parti. Mais c’est le père de la Tunisie centriste et moderniste, la Tunisie de l’Islah. Ne l’oublions jamais !