Le penseur et politologue Hamadi Redissi : « C’était un homme fondamentalement indépendant, on ne pouvait le capturer »

« Je l’ai connu en 1981, au sein du journal « Er-Raï ».  Béji Caïd Essebssi faisait  partie du groupe des libéraux, constitué autour de Hassib Ben Ammar, fondateur du journal. Par la suite, il y a eu d’autres rencontres. Mais une fois, à quelques jours du départ de Ben Ali, on était un groupe de personnes réunies, on épiloguait. Et Béji de me dire textuellement : «Hamadi, ne te casse pas la tête, Ben Ali va s’enfuir ». Il était informé du départ de Ben Ali, une semaine avant.

Je dirais qu’il avait une intelligence rare et un sens aigu du relationnel. Et contrairement à ce qu’on prétend, il n’était pas arrogant et avait la capacité de communiquer avec tout le monde. Cette aptitude, tout à fait bourguibienne, de communiquer avec tous et  de trouver le mot juste, il l’avait acquise et développée. Autre élément important qui composait sa personnalité, Béji n’appartenait à personne. Il ne s’était jamais enfermé dans une formation, un groupe, un clan. C’était un homme fondamentalement indépendant, on ne pouvait le capturer. D’où sa capacité à s’adapter à toutes les situations, à pouvoir réunir des personnes qui n’appartiennent pas aux mêmes mouvances, aux mêmes milieux, ni aux mêmes cercles de réflexion. C’est le premier élément politique qui fait l’essence même de sa personnalité.

Ses contradicteurs disent qu’il n’a rien laissé. Ce qui, dans un sens, n’est pas faux. Il n’a pas fait de grands travaux, n’a pas érigé de grands monuments. Il aurait aimé le faire à la fin de sa vie, avec la Colibe (Commission des libertés individuelles et de l’égalité NDLR), mais c’était un peu tard. Mais son œuvre majeure restera à tout jamais sa propre personne.  Il a fait de sa vie une épopée politique, au sens où tous les aspects politiques sont réunis.

Il avait aussi cette capacité d’illustrer son propos par un verset coranique, un dicton populaire et une grande idée politique. Il était le seul à pouvoir produire ce genre de discours autant agrémenté par de sources multiples. Mis à part Bourguiba, son mentor. Rendre hommage aujourd’hui à Béji c’est rendre hommage à Bourguiba, d’avoir formé, parrainé, poli la vocation politique d’Essebsi.

Pour finir et à mon avis, si Béji avait signé le dernier texte de loi qui lui avait été présenté, peut-être qu’il n’y aurait pas eu cette retenue et cette fluidité dans la passation. J’approuve sa position. Ladite loi, je la considère du point de vue du fond, scélérate. Elle conforte la discrimination. Bien entendu, sur le plan juridique, oui, il a transgressé la Constitution. Mais sur le plan formel, c’est une dérive discriminatoire à laquelle il a refusé d’adhérer. »

H.L.

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