souvenirs.. souvenirs… : Abdelaziz El Aroui, notre plus grand chroniqueur

Baba Aziz avait de drôles et interminables histoires avec les boulangers de son époque. Il n’avait cessé, dans ses chroniques quotidiennes de début de soirée, de tirer à boulets rouges sur les boulangers négligents, l’ayant tant mis dans une colère noire, à cause de la découverte, à ses repas et à chaque fois, d’étranges particules et de corps étrangers dans son pain, donnant la nausée. L’unique boulangerie qui, d’après son expérience, émergeait du lot, était celle de Tébourba. Ce qui avait alors permis à cette boulangerie de faire le plein d’éloges sur antenne et, de ce fait, le plein de clients. Qui y avaient convergé de toutes parts pour goûter le fameux pain dit, à cor et à cri, merveilleux par Baba Aziz. Tébourba, devenu un lieu de «pèlerinage» pour les quêteurs friands de pain croustillant, avait eu à vivre son âge d’or commercial. Et la ville s’était vue alors tirée de son marasme économique, grâce au crédit et à la crédibilité de ce chroniqueur hors pair!

Une grande figure médiatique à bien connaître
Nous avons eu, dans notre chronique du 15/7/2019, intitulée «Ah! Baba Aziz et “ses” taxis BB», à rapporter la belle histoire du grand chroniqueur des décennies 50 et 60 du siècle dernier. Les chauffeurs de taxis-bébés à cette époque, la première source d’information de Baba Aziz, lui permettant d’alimenter ses «samars» et potins au quotidien. Nous avons eu à effectuer, par la même occasion, un parallélisme entre les chauffeurs des taxis-«tortues» du bon vieux temps et ceux des confortables taxis des temps présents. Dont les chauffeurs diffèrent totalement de leurs prédécesseurs au niveau du comportement général avec leurs clients. L’on se propose aujourd’hui de faire un zoom sur les passionnantes activités médiatiques du virtuose du micro ayant été le premier à diriger notre station de radiodiffusion. Car nos jeunes et moins jeunes ont une idée floue de ce champion de la clarté, de l’audace et du franc-parler.

Une audience record !
Ses «samars» quotidiens, savamment «brodés» et agrémentés de proverbes et maximes (puisés dans notre riche patrimoine dialectal), creusaient toujours les problèmes de proximité et les phénomènes sociaux de l’époque. Sa maîtrise de notre langage dialectal lui conférait une audience record et une familiarité exceptionnelle dans tous les foyers et auprès des diverses couches sociales confondues. Ceci à l’instar du Combattant Suprême l’oiseau rare de la Tunisie, qui avait tant combattu les esprits tordus, le tribalisme, l’analphabétisme, la discrimination ethnique, la paresse intellectuelle et physique à travers ses discours simples, terre à terre, assimilable par tous et allant tout droit au fond du cœur et de l’esprit de tous…

Ça n’arrivait qu’à lui !
La popularité sans concurrence de Baba Aziz prémunissait l’homme contre tous les risques de se voir exposé à des retours de manivelle et des ennuis avec le pouvoir colonial. Ceci en cas d’écarts de langage et de formulation de critiques virulentes et acerbes vis-à-vis des décideurs. Qui se contentaient de lui adresser de temps à autre, en sourdine et au bémol, de simples rappels à l’ordre. Que l’illustre monsieur ne prenait guère au sérieux. Baba Aziz avait, entre autres, une histoire peu radieuse avec les boulangers de l’époque. L’ironie du sort avait alors voulu que Baba Aziz faisait fréquemment, à ses repas, la découverte —ô! combien scandaleuse!— d’étranges particules et de corps étrangers à la farine et ses épices. Tantôt un morceau de petit clou provoque son courroux! Tantôt un petit cheveu noir le met dans une colère rouge! Tantôt aussi un tout petit cafard ou une fourmi le met hors de lui. Tout cela bien sûr sur antenne…

Baba Aziz fait son choix
Pour se mettre à l’abri de si désagréables surprises, l’homme du tambourin et adversaire acharné «du bendir» s’est finalement résolu de ne mettre sous la dent, toute la sainte année durant, que les galettes de pain huilées, épicées et bien soignées «made» in Tébourba. Oui, séduit par la qualité du pain produit par la plus grande boulangerie de cette ville, l’homme du rituel «tin!» conseillait toujours aux boulangers mal aimés, qui faisaient de sales tours aux consommateurs à tour de bras, à imiter le boulanger de Tébourba, pour son sérieux et son application à produire du pain sain et sans pépins. Ce dont profita, sans l’avoir voulu ni cherché, le boulanger déclaré urbi et orbi «number one» dans sa spécialité.

Rien que le pain sans pépin de Tébourba !
Puisque du coup, le phénoménal boulanger, devenu, à la faveur des ondes, l’enfant du bon Dieu, avait tôt vu sa boulangerie, naguère incognito et tout à fait ordinaire, subitement faire le plein et déborder de quêteurs de «pain sans pépin», qui, souvent cheminaient à la queue leu leu vers les lieux, ou y poireautaient et s’y mordaient la queue…
Au mois de Ramadan, le pain croustillant de Tébourba, rendu si célèbre par le matraquage médiatique, alors fait par Baba Aziz, avait rendu la ville un lieu de «pèlerinage» pour les Tunisois et les banlieusards. Des activités commerciales intenses et une animation inouïe avaient été alors connues par le fief du pain «sans pépin», au quotidien.

Il avait fait l’âge d’or de Tébourba
Par ricochet, bouchers, légumiers, fruitiers, commerçants de pâtes alimentaires artisanales (nwasser, hlalem, richta, etc.) ont eu leur part du gâteau gratuitement servi par Baba Aziz à la ville, naguère plongée dans un marasme économique asphyxiant.

La boulangerie perd ses deux ailes…
Au début des années 70, le décès de Baba Aziz devait coïncider avec celui de «son» boulanger bien-aimé et adoré jusqu’à la moelle des os! La «vertueuse» boulangerie, ayant alors vu ses «ailes» médiatiques coupées, a cessé progressivement de voler haut au-dessus de toutes les boulangeries. La mémoire courte des dizaines de milliers de consommateurs, non rafraîchie par les ondes de la radio de l’être mortel, venant répondre à l’appel de l’Etre suprême, Parfait et Eternel, avait fait que la «sacro-sainte» boulangerie a perdu progressivement sa sainteté et… reprit… petit… à petit, ses dimensions initiales.
C’est dire combien le bonhomme était crédible et son discours passait si bien, fond et forme, tout droit à tous les cœurs et les esprits. Tout le monde savait alors que Baba Aziz ne savait pas distribuer les compliments à droite et à gauche, n’importe comment, mais, jamais à tort et toujours à raison.

Une «marque» déposée non imitable !
A l’époque de notre plus grand chroniqueur radio ayant alors une dimension arabo-africaine, un commentateur radio libyen s’était choisi comme nom professionnel Haj Haguig (le Haj ne disant que la vérité) s’était tué et exténué pour imiter notre propre Haj Haguig. Mais ses tentatives ont vite fait de faire chou blanc. Et l’on n’est pas sans savoir que plus d’un homme de radio a essayé, au lendemain du décès de Baba Aziz, de suivre les traces de celui-ci. Mais en vain. La «marque», le cachet et le timbre de l’éternel partant n’acceptaient l’imitation de nul autre chroniqueur. Même si celui-ci portrait, par exemple, les noms et prénoms de Abdelmajid Boudidah (l’homme si réputé par son fameux «masikoum belkhir!») et Mohsen Ezzine. Cependant, seul Mokhtar Sahnoun, à travers ses émissions «Bini ou binek» et «Hdithna qiès», avait pu s’en sortir avec une audience respectable.
Cela dit, l’on n’aura pas tout dit sur le bonhomme. Car, il y a encore beaucoup à dire de Baba Aziz et de ses diverses facettes, méconnues par la majorité du public des temps présents, n’ayant pas vécu le bon vieux temps où la radio et le transistor régnaient en maîtres absolus, monopolisant la médiatisation. Avant de céder le «flambeau» et l’antenne à la TV en noir et blanc, et la boule n’est pas encore bouclée. Et d’autres papiers de la série vous seront proposés.
Good bye donc et à bientôt.

Un commentaire

  1. Abdelwaheb Mahjoub

    30/07/2019 à 09:20

    Bravo si Larbi Derouiche, comme d’habitude, merci.

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