55e édition du festival INTERNATIONAL de Hammamet : Ziad Rahbani fait fondre la mélodie arabe dans une musique mondialisée

Les deux spectacles donnés par Ziad Rahbani, le fils de la fameuse cantatrice Fayrouz, ont eu lieu donc les 2 et 3 août courant. Nous avons assisté au second. Il importe de signaler que la grande aura de l’artiste avait facilité son accueil par le public de Hammamet  féru qu’il est de la musique recherchée, reposante et savante.

La musique de l’air du temps est plus que jamais marquée par la jazzification. À vrai dire, la musique savante arabe coupe les cordons avec la vraie création, c’est-à-dire la lourde, en recherche profonde, en répétition et en mise en mélodie, que le monde arabe avait connue bel et bien à l’époque des années 50, 60 et 70 de Mohamed Abdelwaheb, Abdelhalim, Farid El Atrach et Om Kalthoum pour se diluer dans une musique que l’industrie mondiale de cet art classé désormais et le plus souvent comme «musique du monde». Cette jazzification de la musique orientale peut être constatée dans l’expérience d’Anouar Brahem, de Dhafer Youssef mais aussi dans celle de Ziad Rahbani, notre hôte exceptionnel, et pour la première fois dans cette 55e édition du festival de Hammamet. L’artiste, fécond qu’il est, a donné deux concerts marqués par la présence d’un public élitiste, de responsables politiques, tels que le ministre de l’Enseignement supérieur, Slim Khalbous, Issam Chebbi le politicien militant à l’époque de la dictature ou encore Hakim Ben Hamouda, l’ancien ministre de l’Economie ; des figures médiatiques telles que Hassan Zargouni, Mourad Zguidi, mais aussi des acteurs de cinéma, tels que le formidable acteur Abdel Moneem Chouayat, Ghanem Zrelli, Chekra Rammeh ou encore la grande actrice et femme de théatre Jalila Baccar. Les deux spectacles donnés par Ziad Rahbani, le fils de la fameuse cantatrice Fayrouz, ont eu lieu donc les 2 et 3 août. Nous avons assisté au second. Il importe de signaler que la grande aura de l’artiste avait facilité son accueil par le public de Hammamet : féru qu’il est de la musique recherchée, reposante et savante.

Le concert
Le spectacle est d’une durée d’une heure 50 minutes, entrecoupé par un entracte de 10 minutes. Le temps donc a été respecté scrupuleusement. Le programme, quant à lui, est caractérisé par une musique occidentalisée et surtout jazzifiée comme mentionné ci-dessus. Le spectacle exige de la concentration et du silence pour saisir cette expérience mélodieuse savamment et mûrement accordée. Le concert comporte, en gros, une grande plage de musique d’ambiance, sans paroles, qui s’écoute le plus souvent dans les lieux touristiques, les hôtels notamment ou bien en solo. Ainsi, même si ce sont des morceaux composés par l’artiste, elles ne sont pas en réalité facilement identifiables. En l’occurrence, l’identité dans cette musique libanaise apparait surtout à travers quatre chansons jalonnant la prestation et lui donnant assurément sa prestance. Ces chansons avec lesquelles le public a interagi, avec des tonnerres d’applaudissements, sont : Esmaa Ya Reda, Chou Hal Eyam, Ana Mouch Kafer et Talfanan Ayash. Pour le restant des morceaux, le public était un peu perdu par les airs joués et il y en a même quelques-uns qui ont quitté le show.

L’expérience de Ziad Rahbani cet artiste multi-cordes
L’expérience créative de Ziad Rahbani semble vouloir faire sortir l’expression artistique, par les mots, le rythme et le ton, du giron de l’expression religieuse ou de l’esthétique religieuse qui totalise l’imaginaire arabe. Cela transparaît clairement dans la chanson Talfan Ayash. Ces différents axes sur lesquels travaille l’artiste font de lui un créateur inclassable. Mais de plus en plus désenchanté, il faut le dire : chose sûre à la fois sur le plan de la forme que celui du fond.
En outre, en plus du fait d’être pianiste, Rahbani est compositeur et aussi écrivain et metteur en scène de films et de pièces de théâtre. Avec l’âge, lui qui a maintenant 63 ans, sa musique devient presque des sons de films qui est à la fois d’inspiration music-hall à l’américaine (musique de Broadway) mais aussi à certains moments se transforment en mélodie de cabaret genre Moulin Rouge avec le bon sens du terme. À écouter avec attention, ses morceaux sont presque de petites capsules qui collent aux normes industrielles du temps présent, c’est-à-dire une musique qui ne dépasserait par les trois minutes pour chaque pièce musicale. En effet, le summum de la créativité de l’artiste est quand il prend le même cheminement que prenait sa mère la grande diva Fayrouz. Or, Ziad semble faire toujours de la résistance et vouloir prendre avec insistance ses distances avec le style de cette grande dame de la chanson. Le problème, c’est que, à chaque fois qu’il tente de s’éloigner de cet axe créatif, il s’égare dans une musique mondialisée et sans identité et égare avec lui la musique arabe; puisque aujourd’hui cet artiste est connu comme prolifique, voire un génie du chant arabe moderne.
Il importe de mentionner que les morceaux chantés en dialecte libanais et racontant le plus le tiraillement du vécu arabe et ses multiples déceptions, déchirures et inégalités sont ceux qui ont touché le public présent en masse. Dans ces morceaux, il y a à la fois l’humour, la critique satirique et acerbe avec un brin d’ironie sobre.

Une troupe melting-pot
Les instruments et les 13 musiciens ayant accompagné l’artiste renvoient à des cultures différentes. Les nationalités des musiciens varient aussi entre arménienne, kurde, turque, anglaise et arabe. Les instruments qui étaient mobilisés sur scène sont de ce fait très divers : trompette, oud, bouzouk, drum, clarinette, saxophone, deux trombones, percussion, tar, basse et bien sûr le piano détenu par le maître. La plupart du temps, la musique de Rahbani laisse au repos le oud pour accorder une grande place au piano et au saxophone. Aussi, il importe de signaler que le chanteur Ziad Rahbani ne chante plus et laisse le flambeau au merveilleux chanteur et aussi luthiste Hazem Chahine dont la performance renoue avec les fameux mouachah arabe et dont la voix est orientale en même temps tendre avec un souffle persévérant et très harmonieux.
Pour ce second spectacle, la fascination de l’élite tunisienne pour la culture libanaise semble assouvie mais pas trop car la modernité véhiculée dans les tentatives artistiques de Ziad Rahbani semble faire fondre la mélodie arabe dans le sombre courant de la mondialisation de la musique.
Mohamed Ali ELHAOU

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