Jeunes et lecture : Je t’aime, moi non plus

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A l’heure du numérique, des smartphones et des avancées technologiques, il serait aisé de penser que jeunes et lecture ne font plus bon ménage… ou presque ! Pourtant, quelques maisons d’édition, écrivains tunisiens et librairies privées notent un engouement qui perdure. Des ouvrages (tous styles confondus) en langue française, mais surtout anglaise et même arabe suscitent toujours l’intérêt des jeunes lecteurs.

Séances de rencontres et de dédicaces, ventes honorables, avis positifs ou négatifs échangés, groupes de discussion sur les réseaux sociaux… Cette effervescence ne peut qu’attester encore plus de l’engouement d’une petite partie de la jeunesse tunisienne qui suit, doucement mais sûrement, les nouveautés littéraires locales et étrangères. Une occasion de revenir sur cette relation en dents de scie entre «livre et jeunesse» en Tunisie.

Lecture et jeunesse : la passion y est toujours… ou presque 

Se procurer des livres ou opter pour la presse papier devient de moins en moins fréquent. Cette accalmie est universelle et n’est pas l’apanage de la Tunisie. Internet prend de plus en plus d’ampleur et avec l’avènement des smartphones et tablettes, le papier a muté et tout ou presque est devenu lisible en ligne. Une conversion à l’ère du temps qui a impacté le livre négativement… Mais c’est cette passion minime pour le bouquin qui suscite la curiosité.

Une librairie située en plein centre-ville de Tunis attire encore une clientèle fidèle et issue de toutes les catégories sociales. Lotfi, libraire sur place depuis des années, constate cet engouement : «Les jeunes lisent, c’est certain. Ils sont à la page également. S’il y a un genre romanesque très prisé et dont une bonne partie se trouve souvent épuisée, c’est bien les sagas fantaisistes récentes à la “Game of Thrones”, ou “Harry Potter”. Il y a le format livre des séries télé en vogue du moment tel que “13 Reasons Why” qui reste très demandé. Les incontournables Marc Levy, Guillaume Musso ou Laurent Gounelle pour les livres en français, continuent également à attirer des lecteurs, auxquels s’ajoutent quelques “best sellers” et polars en anglais. Pour la langue arabe, c’est surtout la thématique du féminisme qui attire beaucoup, comme Ahlam Mosteghanemi, Nawel Saâdaoui et la jeune romancière tunisienne montante Khaoula Hosni».

Après réflexion, le libraire a souligné l’intérêt pour les livres de psychologie et de développement personnel. «Ce n’est pas une affaire de jeunes seulement, tout le monde s’y intéresse».

D’une librairie à une autre le constat est unanime : de nos jours, les jeunes  aiment le surnaturel et le fantastique. Ils cherchent à s’évader et boudent par ailleurs les ouvrages de philosophie et les grands classiques. Selon eux, deux catégories de clients existent : les curieux, qui viennent voir sans forcément acheter, et les fidèles qui s’offrent un livre tous les mois, voire trois. L’avis de S., libraire reste mitigé : «Les jeunes ne se procurent peut-être pas fréquemment des livres, mais ce n’est pas le désert non plus».

Spécialisée dans les ouvrages philosophiques, peu visibles, et dotée d’une façade rétro-vintage, une autre librairie située à la place Barcelone nous renvoie à l’ambiance littéraire des années 80. Une fois à l’intérieur, il est difficile de ne pas sentir l’optimisme débordant de son staff : «Les jeunes lisent de la philosophie, ils sont curieux, ils achètent et s’instruisent, certains vont jusqu’à faire des économies pour en avoir plus. C’est archi-faux de dire que les jeunes ne lisent pas, sinon on aurait fermé boutique depuis longtemps», déclare une libraire, la trentaine.

Un cri de détresse

Mais au-delà des murs des librairies en vogue, le cri de détresse d’un bouquiniste situé rue d’Angleterre se fait entendre : «C’est aberrant de dire que les jeunes sont toujours aussi passionnés de lecture qu’auparavant !», s’indigne Mounir, responsable de « La Bouquinerie Populaire», qui existe depuis bien avant l’Indépendance de la Tunisie. Un simple visiteur ne pourra pas rester indifférent à la quantité considérable de livres et de revues qu’elle possède. Bien achalandé, l’endroit est constitué d’armoires immenses de bouquins divers et anciens pour la plupart. Difficile de ne pas trouver son compte ici, lorsqu’on est passionné de livres. Le responsable enchaîne : «On me sollicite pour des ouvrages scolaires ou universitaires. De futurs bacheliers me rendent visite, mais ils ne le font pas par passion, c’est limite s’ils étaient contraints de le faire. L’époque où les jeunes lisaient plus de 4 livres par semaine est bel et bien révolue».

Mais est-ce seulement cette effervescence technologique qui empêcherait les jeunes de lire davantage ? Pas si sûr…

Le livre est -il devenu un luxe ? Copyright photo : Ben Cheikh

Le livre est devenu un luxe

Sur terrain, l’amour de la lecture ne s’est toujours pas totalement dissipé. Seulement, se procurer un nouveau livre pour un jeune est devenu une affaire de moyens. Toutes les nouvelles sorties littéraires, et en particulier celles qui sont importées, coûtent cher et n’incitent pas le jeune Tunisien de classe moyenne à acheter. Le pouvoir d’achat a considérablement baissé et la majorité des libraires consultés s’accordent à dire que face à la dévaluation du dinar, celles et ceux qui achetaient des livres fréquemment ne le font plus, faute de moyens.

«Un nouveau livre à 10 ou 15 euros coûte désormais 35 à 40 dinars, une somme vraiment élevée, les jeunes d’aujourd’hui préfèrent de loin dépenser cette somme pour autre chose», déclare Lotfi El Hafi, propriétaire d’une librairie qui a pignon sur rue à La Marsa. Les clients fidèles achètent désormais un livre coûteux tous les deux à six mois. Il est clair qu’il ne s’agit toujours pas d’un véritable désintérêt, mais plutôt d’un manque de moyens. Dépenser autant pour un jeune étudiant tunisien est devenu impossible.

La lecture en ligne ou l’autre alternative

Certains affirment clairement que le coût du livre ne fait pas fuir et que dans les bouquinistes comme dans les librairies, les ouvrages à prix réduit existent bel et bien. Le rôle des parents a été pointé du doigt : ces derniers devraient, selon certains, transmettre la passion des livres à leurs enfants : «Il faut que ces mômes grandissent avec cette passion», affirme le bouquiniste de la rue d’Angleterre sur un ton ferme.

Une jeune libraire à La Marsa constate cependant parfois une réelle implication des parents, qui poussent leurs enfants à acheter des livres, allant jusqu’à essayer de les convaincre de réduire leur usage des tablettes et des consoles de jeux, au profit des livres. Les ouvrages pour enfants se vendent beaucoup. Cette approche éducative a gagné du terrain depuis la révolution et la montée du terrorisme : certains parents veulent que leurs enfants lisent afin de nourrir leur sens critique, leur réflexion, pour, notamment, les préserver du fanatisme. Il s’agit toutefois d’une constatation relevée auprès des familles instruites mais surtout aisées.

Face à cette évolution technologique et au prix élevé du livre, les lecteurs se sont tournés en masse vers la lecture en ligne. Les ouvrages les plus recherchés sont disponible en version PDF, gratuitement, en deux clics… et les libraires comprennent et soutiennent la lecture en ligne. Le livre reste sacré pour eux, le contact du papier demeure irremplaçable. Lire en ligne gratuitement aurait un autre charme, «mais cela reste de la lecture et on ne peut qu’encourager. Il ne faut pas dire que c’est mauvais de lire ainsi de nos jours, c’est juste différent, et il faut s’adapter», concluent-ils.

 

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