La gynécologue obstétricienne qui a derrière elle de longues années d’expérience alternent les succès et les coups de blues , épaulée par une équipe de« sages-femmes exceptionnelles »
Malgré les conditions difficiles dans les établissements hospitaliers publics, des médecins continuent à mettre un point d’honneur à respecter le serment d’Hippocrate en mettant leur expérience et leurs compétences au service de leurs patients, sauvant des vies humaines dans les hôpitaux régionaux et les CHU. Pourtant rien n’est fait pour simplifier la tâche au quotidien de ces « faiseurs de miracles » : manque de matériel, pénurie de personnel, surcharge de travail, plateau parfois non fonctionnel….Les lacunes qui freinent le bon exercice des médecins sont, en effet, innombrables.
A ces tracas qui donnent des sueurs froides aux praticiens viennent s’ajouter la prise en charge en urgence de pathologies difficiles et non suivies qui peuvent être accompagnées de graves complications. Alors que les conditions de travail sont souvent très difficiles, des médecins ayant cumulé plusieurs heures de garde peuvent se retrouver confrontés du jour au lendemain à des cas très compliqués, contraints, en quelques minutes, de prendre la bonne décision pour sauver un patient hospitalisé d’urgence et dont l’état de santé s’est brutalement dégradé.
Docteur Maria Chamli fait partie de ces médecins qui ont décidé contre vents et marées de braver ce type de difficulté par passion pour leur métier. Pour cette gynécologue d’origine bulgare mariée à un médecin tunisien rien n’est insurmontable. Alors qu’elle menait il y a quelques années un train de vie bien organisé entre les consultations de jour dans son cabinet de Menzel Temime et les opérations dans les cliniques du gouvernorat de Nabeul, ce médecin spécialiste, mère de trois enfants, répond à l’appel du ministère de la santé et décide de faire des gardes dans le service de gynécologie obstétrique de l’hôpital régional de Jendouba.
50 consultations en 24 heures
Son professionnalisme, son sérieux, sa dextérité et son abnégation dans le travail lui valent le respect et l’estime de ses collègues et du personnel paramédical de l’établissement. Le mois de février 2019, elle est intégrée officiellement dans le service de gynécologie obstétrique et de maternité de l’hôpital régional du gouvernorat du Nord-Ouest dont elle a la charge. La tâche n’est pas aisée. L’hôpital draine toute la population féminine provenant des différentes délégations du gouvernorat. Les conditions ne sont pas au top. Le personnel médical et paramédical est contraint de travailler plusieurs mois dans un service où des travaux sont effectués pour l’aménagement d’un nouveau bloc opératoire, augmentant, ainsi, le risque des infections nosocomiales.
L’hygiène est loin d’être irréprochable avec un service de gynécologie obstétrique qui est doté uniquement de trois sanitaires pour huit chambres. Les lacunes ne s’arrêtent pas là. Le service fonctionne avec uniquement la moitié de l’effectif de sages-femmes qu’il devrait y avoir pour assurer convenablement la prise en charge de toutes les patientes qui sont admises dans le service. Il en faudrait plus pour démonter le docteur Chamli qui passe la moitié de la semaine à l’hôpital loin de son mari et de ses trois filles.
Outre les consultations externes matinales_ elle en assure une cinquantaine en 24 heures_ la gynécologue obstétricienne effectue entre dix et douze césariennes à chaque garde ce qui n’est pas de tout repos pour la praticienne qui alternent les succès et les moments de blues dans le service.
Le stress est, en effet, intense. La gynécologue doit faire appel à toute son expérience et son professionnalisme et faire preuve d’un sang-froid à toute épreuve pour sauver des patientes de la mort, d’autant plus que le matériel adéquat vient, parfois, à manquer….Près d’un tiers des femmes qui se présentent à l’hôpital ou qui sont amenées en urgence sont, en effet, des grossesses à haut risque pouvant entrainer des complications sérieuses. Qui plus est la majorité d’entre elles n’ont généralement effectué aucun suivi ni contrôle médical avant l’accouchement, observe la praticienne.
Grossesses à risques et pathologies difficiles
Des nuits blanches accompagnées de sueurs froides, Docteur Maria Chemli en a eu plusieurs. Ruptures d’utérus avec des saignements hémorragiques, parturientes hypertendues, bébés qui se présentent au cours de l’accouchement en position de siège…. C’est le lot quotidien de ce médecin qui doit avoir les bons gestes en un temps express pour ne pas perdre ses patientes sur la table d’accouchement. La gynécologue se rappelle tout particulièrement de cette femme enceinte pesant 150 kilos et qui a été admise dans un état comateux. La praticienne qui venait d’arriver à l’hôpital a à peine le temps de se changer avant de débouler dans la salle d’accouchement en catastrophe. Elle et le personnel qui l’accompagne sauvent in extremis le bébé et la maman qui finit miraculeusement par se réveiller à la fin de l’opération. Un autre cas lui aura également marqué l’esprit. Il s’agit de cette jeune femme venant d’accoucher d’un bébé à l’hôpital de Ain Draham et qui est transférée d’urgence dans son service en raison de complications. Le ventre impressionnant de la jeune femme interpelle le médecin qui lui fait un toucher et découvre à sa grande surprise deux autres bébés au fond de l’utérus! Les triplets se portent aujourd’hui à merveille.
Faire preuve de sang-froid
Ces moments d’intense émotion ne sans pas sans effet sur le moral de la gynécologue qui rentre, parfois, chez elle « dévastée de l’intérieur ». « Il y a des moments où je me retrouve face à des patientes qui sont entre la vie et la mort. Il s’agit d’une question de minutes et même de secondes au cours desquelles il faut faire preuve d’un grand sang-froid pour trouver les bons gestes et les sauver. Ce sont des moments où le stress et la pression sont à leur top. Et des journées comme cela il y en a beaucoup à l’hôpital. Il faut savoir accuser le coup. Ce n’est pas aussi évident qu’on le pense ».
Lorsqu’elle quitte l’hôpital, la praticienne se réjouit d’une seule chose: que ses patientes et leurs bébés soient en bonne santé. « Lorsque je rentre chez moi, je ressens certes beaucoup de fatigue en plus du contrecoup du stress et de la pression accumulées tout au long de mes journées à l’hôpital. Mais je suis surtout heureuse et soulagée que les femmes que j’ai accouchées se portent bien et que leurs bébés soient en bonne santé. C’est tout ce qui m’importe », raconte cette gynécologue avec un sourire en coin. Et de poursuivre: « Ce qui m’aide également à supporter les conditions parfois c’est de travailler en équipe avec des infirmières et des sages-femmes exceptionnelles qui ont beaucoup d’expérience ».
Il faut souligner que celle-ci a eu le temps de préparer un projet médical appuyé d’un rapport d’une vingtaine de pages qui comporte plusieurs recommandations sur les moyens de développer le service de gynécologie obstétrique de l’hôpital régional de Jendouba. « J’espère que j’en aurai l’occasion d’en parler un jour avec le ministre de la santé par intérim ».