« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » (Baudelaire): «Baba’woussou», de retour

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Soudain apparaît un homme à la chevelure imposante flottant dans l’air, à la barbe blanche fournie, éperonnant, à l’aide d’un trident,  une douzaine de puissants et fiers chevaux blancs, tirant son char au milieu de la mousse salée des vagues; ça y est ! Baba’woussou arrive.


Cruel duel, entre la brise du large et le siroco qui sort tout droit de cette mer de sable infernale qu’est le Sahara. Air brûlant qui avance telle une coulée de lave vers les flots de la mer un peu agitée, que le mouvement des vagues fait ressembler à une eau bouillante.

Il est presque midi, ce dimanche de juillet sous ce frêle parasol, planté face à la Méditerranée. Il ne reste plus que quelques jours pour que la saison d’«Aoussou» débarque et le duel semble s’éterniser. Et avec lui celui des sensations. Fraîches brûlures au visage et sur le reste du corps, qui ne se ressentent qu’en bord de mer.

Rancunier, mais impuissant face à la fraîcheur de l’eau de la mer, le soleil se fait alors aider par son rejeton gazeux, pour faire monter, sans succès la température de l’eau et surtout lécher cruellement nos peaux. Cruel duel que nous ressentons tout le long de nos corps fatigués.

La torpeur qui nous enveloppe de sa lourde cape nous entraîne, alors dans les fins fonds d’un univers onirique que traverse le brouhaha de la plage, mélange de cris de rires et bruits des vagues. Le temps s’arrête, le temps de se reposer au pied de ces vagues qui viennent mourir au bord de la plage.

Soudain apparaît un homme à la chevelure imposante flottant dans l’air, à la barbe blanche fournie, éperonnant, à l’aide d’un trident, une douzaine de puissants et fiers chevaux blancs, tirant son char au milieu de la mousse salée des vagues ; ça y est ! Baba’woussou (Père Aoussou) arrive.

Nous écarquillons nos yeux, la scène représentant Poséidon, le dieu grec des mers (Neptune chez les Romains, pour lequel une fête était dédiée, le 23 juillet de chaque année) s’estompe et le même spectacle des baigneurs barbotant allègrement dans l’eau réapparaît. L’assoupissement était éphémère et la scène aussi.

Ce jour-là, le 24 juillet de l’année solaire et du calendrier grégorien, débute pour nous autres Tunisiens la fameuse saison, dite «Aoussou». Période à laquelle est associée la légende de notre sympathique Baba’woussou. Lui aussi a eu droit à une fête, à l’instar de celle dédiée à Neptune.

Fruit de nos légendes plusieurs fois millénaire, nées dans nos zones côtières, elle est appelée ainsi en référence, sans doute à Augustus, pour le mois d’août (ghosh’t pour l’appellation locale se référant au calendrier aajmi, qui est en fait le calendrier romain de Jules César ou calendrier julien).

«… Mid’da li n’hessou»

Une saison au climat bien spécifique qui s’étale, chaque année du 24 juillet au 2 septembre et qui se caractérise par sa canicule et sa forte humidité dans les zones côtières. Saison au début de laquelle, il est recommandé par la sagesse populaire de plonger dans l’eau de mer à des fins thérapeutiques et de purification.

Tous les démons des mers et les créatures maléfiques, qui y vivent, déguerpissent sans discussion, au début de cette période de l’année pour céder la place aux vertus duliquide originel, qui tout au long de la journée, se laisse harponner par les dards d’Hélios.

«Ya baba woussou dawini mid’da li n’hessou» (Père Aoussou, guéris-moi de tous les maux). Formule magique que devait prononcer celui qui plongeait dans l’eau de mer au cours du début de ladite saison, afin de bénéficier de son pouvoir de guérison.

Rite de passage composé essentiellement d’une série d’immersions qui, tel le baptême, va donner une nouvelle vie à celui qui le pratiquera. De vieilles croyances qui ont traversé les siècles témoins de la fragilité des humains face aux aléas du temps et de la vie.

Mais un bain «aoussien» ne possède pas uniquement un pouvoir guérisseur, dans notre imaginaire collectif, aussi bien pour les humains que pour leurs animaux domestiques, il jouit également de la réputation de posséder des vertus préventives contre les divers maux de l’hiver.

Un bain «aoussien» est donc réputé capable de nous prémunir contre les maladies liées au froid de l’hiver et des changements de temps entre les saisons.

Rien à voir, du moins côté caractère, avec Poséidon, qui lui, est réputé violent, souvent furieux, «irascible, vindicatif et dangereux» (Voir : Dictionnaire de la mythologie : M.Grant et J.Hazel, Paris, Seghers, 1975). Notons que les Romains s’étaient quasiment approprié le mythe grec après leur expansion méditerranéenne.

Dieu du Panthéon grec, identifié comme étant le fils de Cronos et de Rhéa, et aussi frère cadet de Zeus, détenteur du pouvoir suprême, il était aussi le dieu des tremblements de terre. La mythologie grecque le mêle à de nombreux événements belliqueux et violents, dont celui lié au fameux Ulysse, le roi d’Ithaque et l’un des héros de l’Iliade et le principal personnage de l’Odyssée.

Selon elle, «Poséidon châtia les Phéaciens, peuple de marins, pour l’aide qu’ils apportèrent à Ulysse et d’autres voyageurs, en comblant leur port avec d’énormes rochers et en pétrifiant le navire dans lequel ils avaient ramené Ulysse» (Idem).

Etant la période la plus chaude de l’année, «Aoussou» va, ainsi, permettre à la terre et aux plantes de se débarrasser de bon nombre d’insectes, y compris ceux très nuisibles vivant dans les eaux stagnantes, de parasites, d’acariens, de champignons, de bactéries et autres microbes, et ce, afin qu’elles puissent entamer un nouveau cycle productif, en meilleure forme.

«Aoussou» n’est donc pas liée à la mer et à la baignade seulement. Aucune espèce sauvage autochtone n’y peut fleurir, c’est la fin d’un cycle de vie botanique et la chaleur qui y règne va permettre la maturité de plusieurs fruits, tels que les figues de Barbarie et les raisins.

«Crrrr, crrrr…», a fait dire le Crétois, Nikos Kazantzakis à Zorba, héros de son célèbre roman éponyme. Ce dernier décrivait le bruit que devaient faire les pastèques, en se développant à vue d’œil sous les élans du vent chaud et qu’il imaginait en les regardant, une nuit durant laquelle soufflait le siroco.

Cette période de l’année est aussi réputée par la lassitude des corps vivants, y compris chez les humains. Même les rapports intimes sont très souvent ignorés, surtout quand l’humidité est très élevée. Alors bon «Aoussou» à tous.

Par Foued ALLANI

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