Les moteurs économiques tunisiens ronronnent toujours. Le choc subi en 2011 a profondément fragilisé la performance économique et donc la solidité de la croissance. Fortement tributaire de la situation sociale, politique et géopolitique, l’évolution de la croissance a connu des périodes d’embellies, où elle est tirée souvent par l’activité agricole, occasionnellement par le tourisme, quelquefois par le retour de l’activité minière. Après le redressement “sain” amorcé en 2017, tiré par les services marchands, le repli de la croissance en 2019 a déçu un bon nombre d’économistes. Le spectre du conflit dans la région, couplée à un ralentissement de l’économie européenne, premier demandeur extérieur, constituent des sources d’inquiétude pour la période à venir.
Malgré les éclaircies que l’économie tunisienne a observées, par à coups, sur les neuf dernières années, on est toujours loin de la performance enregistrée durant la décennie 2001-2010 où la production nationale des richesses croissait avec une moyenne de 5% par an. L’«annus horribilis» qu’était 2011 —telle qu’elle a été décrite par l’ancien gouverneur de la banque centrale Chedly Ayari dans le rapport annuel 2012 de la BCT— a enregistré un taux de croissance négatif de -1,8%, fragilisant, de facto, tous les composants du développement économique du pays. L’analyse sectorielle de la croissance économique réalisée en 2011, une année déterminante sur le plan économique pour la période post-révolution, met l’accent sur la contraction de l’activité des industries non manufacturières, à savoir l’extraction du phosphate et les hydrocarbures mais aussi la baisse drastique de la performance des services marchands, en l’occurrence le tourisme, les secteurs qui lui sont annexés et certaines industries manufacturières, comme les industries chimiques.
Le contexte international, à cette époque-là, s’est distingué par le ralentissement de la croissance économique mondiale et la prédominance des tensions politiques et sociales dans la région Mena. Ainsi, l’économie tunisienne a subi «le contrecoup de l’instabilité politique, sécuritaire et sociale post-révolution et les retombées de la guerre en Libye», précise le rapport 2012 de la BCT. Ce climat d’incertitude politique et sociale a induit un comportement attentiste observé chez les investisseurs qui étaient alors sur le qui-vive. Se traduisant par la baisse des IDE, les turbulences de l’environnement régional et mondial se sont répercutées sur l’évolution des exportations qui ont drastiquement chuté en 2011.
Depuis, la croissance, première arme pour la lutte contre le chômage, n’a pas franchi, sur les huit dernières années, la barrière de 2,5%, à l’exception de l’année 2012 où la production des richesses a crû de 3,6% tirée par la demande intérieure (due, à son tour aux augmentations salariales) ainsi que par la performance des secteurs touristique, agricole et du transport.
Depuis, la croissance, également alliée incontournable lors de la levée des fonds sur les marchés financiers, évolue d’une manière instable reflétant la fragilité de l’économie tunisienne et sa dépendance aux facteurs externes comme le terrorisme et la croissance mondiale. En effet, la moyenne des taux de croissance réalisés sur la période 2011-2019 s’établit à environ 1,5% (si on prend en compte les dernières prévisions de croissance en 2019 qui serait de 1,4% en glissement annuel selon la BCT). Bien loin des 5% observés sur la décennie précédente.
Une croissance tirée par le rétablissement du tourisme et l’amélioration de l’agriculture
Parent pauvre des préoccupations des politiques ou résultante d’un concours de facteurs internes et externes, comme la stabilité sécuritaire et des facteurs naturels, le succès des gouvernements post-révolution était à la merci de la croissance économique. Ses trois moteurs, à savoir l’exportation, la demande intérieure et l’investissement, ronronnent toujours.
Après avoir enregistré des taux de croissance de 2,4% et 2,3% respectivement en 2013 et 2014, la production des richesses a fléchi encore une fois en 2015 pour se situer à 0,8%. En effet, les retombées des chocs sécuritaires engendrés par les attentats terroristes perpétrés en 2015 ont «lourdement pesé sur les principales activités économiques, en particulier le tourisme et le transport dont les indicateurs ont connu une forte détérioration même par rapport aux résultats de l’année 2011», indique le rapport 2015 de la Banque centrale (BCT). La décélération des activités du tourisme et de l’investissement a été compensée par les récoltes agricoles exceptionnelles, notamment d’huile d’olive et de datte.
La croissance s’est raffermie ensuite, d’une manière toutefois lente et progressive, pour passer à 1% en 2016 et 1,9% en 2017. Selon le rapport de la BCT, «la croissance, bien qu’elle soit faible en 2017, a été plus saine car davantage tirée par les activités marchandes, contrairement aux années précédentes où les activités des services non marchands présentaient une contribution importante». Cependant, le redressement de l’économie nationale qui a été amorcé en 2017 et confirmé en 2018, avec un taux de croissance passant de 1,9% à 2,5%, tiré par l’agriculture et le tourisme, a connu encore une fois une récession en 2019. Une année où l’activité économique s’est ralentie et a fini en queue de poisson avec les 1,4 % arrêtés après une révision à la baisse des prévisions de la BCT pour le dernier trimestre.
«Compte tenu de la faible croissance enregistrée durant le premier semestre de 2019, les prévisions de croissance pour l’année 2019 ont été revues à la baisse pour s’établir à 1,4% contre 2,5% réalisés en 2018. La faiblesse de l’activité économique s’explique, d’une part, par des facteurs internes tels que la baisse de la récolte d’olives à huile et de la production des hydrocarbures et, d’autre part, par le ralentissement de la demande extérieure, notamment celle de la Zone Euro, qui a impacté négativement les industries manufacturières destinées à l’export. Encore faut-il noter que l’amélioration de l’activité touristique, le retour progressif de la production du phosphate et dérivés, et la récolte céréalière record ont compensé, partiellement, l’impact de ces facteurs sur l’activité économique», précise la périodique de conjoncture récente publiée par la BCT. Au vu de la conjoncture économique mondiale, notamment la pression exercée par les pays pétroliers pour maintenir la production du pétrole faible et par conséquent, les prix du cours des hydrocarbures assez élevés, outre la résurgence du conflit libyen, l’économie tunisienne, désormais fragile, pourrait subir les contrecoups de ces chocs. A-t-elle la résilience lui permettant d’y faire face?