Au plus fort de la dépression économique et du collapsus financier, la sphère politique, toutes tendances confondues, est obnubilée par les considérations politiques politiciennes, où les besoins sociaux, exprimés un certain 14 janvier 2011 sont jetés aux oubliettes.
Aucun courant politique n’a jusqu’à aujourd’hui, présenté une sorte d’alternative à la libéralisation économique et financière où les fruits de la croissance sont accaparés par les intérêts privés, ce que les économistes appellent dans leur jargon «la face cachée du néolibéralisme».
Un néolibéralisme déviant qui a occulté la demande sociale qui s’est exprimée ce même 14 janvier. Et qui s’exprime encore aujourd’hui.
L’examen des différents documents publiés, tout au long de cette interminable transition (10 ans), amène à relever un certain nombre de points :
En premier lieu, au niveau des différentes orientations, les programmes “basés sur le développement et la promotion de l’initiative individuelle” s’appuieraient sur une politique de libéralisation. Mais aucun courant ne met en avant la socialisation des moyens de production (publics et privés) via une diffusion du capital en Bourse.
Il est certain qu’une libéralisation économique (privatisation-socialisation) accroîtra le potentiel de croissance de l’appareil productif tunisien. Plus de libéralisation-socialisation se traduira par plus de «profits sociaux», plus d’investissements et plus d’emplois… ce qui implique que les fruits de la croissance seront socialement répartis et que les entreprises seront socialement responsables ; en tout cas plus «responsables» qu’elles ne l’étaient avant le 14 janvier, en matière de négociations salariales, de fiscalité, de fixation des prix…
Certes, les différentes orientations socio-économiques ont été bien accueillies par les partenaires et les investisseurs étrangers. Sauf que l’on peut se demander si ces orientations ne seraient qu’une pâle imitation des orientations néolibérales des deux décennies passées.
En deuxième lieu, au niveau de l’objectif final: un taux de croissance soutenu et durable et une relative stabilité des prix sont complètement marginalisés, sinon occultés. Cet objectif final est pour l’instant irréaliste, dans la mesure où il ne répond plus à la conjoncture du moment. La crise des déficits publics et la dette des pays de la zone euro (premier partenaire de la Tunisie) amènent les pouvoirs publics de ces pays à privilégier une austérité sous-tendue par une compression des dépenses publiques et/ou un accroissement de la pression fiscale. L’impact en sera relativement fort en termes de récession, d’où une régression des exportations tunisiennes à destination des pays de la zone euro (75% des échanges extérieurs de la Tunisie).
Autre conséquence : l’affaiblissement de l’euro par rapport au dollar et au yen se traduit par un renchérissement des prix des matières premières et de l’énergie facturés dans un dollar devenu relativement plus cher. D’où, au niveau national, un accroissement de l’inflation importée via le renchérissement des prix des matières premières et de l’énergie, et des goulots d’étranglement au niveau de la production et de l’offre générés par l’instabilité sociale et le repli de la productivité globale des facteurs. Il s’ensuit que l’objectif de désinflation préconisé par les différents courants politiques est pour le moins irréaliste.
En troisième lieu, au niveau des objectifs intermédiaires : booster le taux d’investissement, les besoins en financements, l’épargne nationale et les financements extérieurs à des niveaux conséquents, impliquent une politique monétaire d’accompagnement et des taux d’intérêt compatibles avec les objectifs d’emploi productif.
Certes au niveau de l’effort d’investissement, il convient de relativiser les objectifs, de 25% du PIB pour certains courants et à 30% pour d’autres. La structure de la demande finale réelle ne l’a jamais permis. A tout le moins, ce taux d’investissement (global : public et privé) n’est pas réaliste dans un pays émergent où la société est incline à consommer plus qu’à accumuler. A moins que l’investissement public ne se substitue à l’investissement privé, auquel cas, ce serait en contradiction avec les orientations de libéralisation économique et de soutien à l’entreprise privée.
Au niveau du financement des investissements, les besoins de financement semblent démesurés compte tenu des habitudes d’épargne et de la propension à épargner de l’argent. Sauf si l’effort d’investissement est supporté par les administrations, il s’ensuivrait un déficit public (ce qui est le cas présent), source d’effets d’éviction de l’investissement privé. En d’autres termes, les entreprises privées ne pourront pas investir au-delà de leur capacité d’investissement, et dans ce cas, l’investissement public surabondant découragerait l’investissement privé créateur d’emplois et de richesses réels.
Les points faibles concernent toujours le flou qui entoure les instruments budgétaires (et fiscaux ?) dont les grands projets orientés vers le développement régional.
Enfin, en ce qui concerne le rôle de l’Etat et du secteur public, le cadre de libéralisation économique et financière dans lequel ils s’insèreraient, reste dans le flou artistique. Il convient finalement de retenir que tous ces programmes économiques évincent l’aspect social, comme si l’économique et le social procédaient de deux paradigmes différents.
En cela, ils ressemblent à une réplique «augmentée» du modèle néolibéral des deux décennies passées lequel modèle a montré ses limites de durabilité sociale.
Dr Tahar El Almi :
Economiste-universitaire