L’huile d’olive et les dattes certifiées bio accaparent 99% des exportations des produits bio tunisiens, d’où l’impératif de diversifier l’offre, de renforcer la réglementation et d’orienter l’agriculture vers un tournant imminent.
L’Union nationale des opérateurs de la filière bio (UNObio) a signé, le 23 janvier 2020, un accord de partenariat avec l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat), en vue de créer de nouvelles perspectives de coopération entre ce syndicat, fraîchement créé, et l’une des plus prestigieuses universités agronomiques en Afrique. Cet accord a été signé au cours d’une conférence de presse, tenue au siège de l’Inat et qui avait pour optique de présenter UNObio et de médiatiser ses objectifs et ses challenges pour une agriculture biologique au diapason des avancées internationales et à même de s’imposer avec plus d’assurance sur le marché, aussi bien local que celui mondial.
M. Fayçal Ben Jeddi, directeur de l’Inat, a indiqué, dans son mot d’ouverture, que la filière bio acquiert en importance tant au niveau de l’enseignement agronomique qu’au niveau des travaux de recherche. Dans un marché qui regorge de produits composés, infectés par les excès des pesticides, par la pollution et du sol et des ressources hydriques, l’agriculture bio représente la meilleure alternative permettant d’assurer aux consommateurs des produits de qualité, de doter l’agriculteur de fertilisants biologiques nettement moins coûteux que ceux, chimiques et, de loin, plus sains. «A l’Inat, nous disposons de sept départements incluant le développement de l’activité bio, d’où le précieux apport de la formation dans ce domaine », a-t-il souligné. Il a salué l’initiative d’UNObio en mettant l’accent sur l’impératif, désormais, de consolider le partenariat entre les universitaires et les professionnels pour un développement de la filière, que l’on veut durable.
Pour une filière zéro faille !
De son côté, M. Leith Tlemçani, président d’UNObio a indiqué que le présent partenariat avec l’Inat traduit, outre l’efficacité escomptée d’une collaboration entre les universitaires et les professionnels, l’importance d’une double symbolique : il s’agit, à son sens, d’une université de renommée internationale mais aussi d’une université qui regroupe des jeunes compétences, aptes à développer de nouvelles techniques et de maîtriser les nouvelles technologies essentielles à la promotion de l’agriculture biologique. Quant à UNObio, elle consiste en un syndicat indépendant, créé en octobre 2019 et rassemblant tous les intervenants dans la filière bio afin de contribuer positivement à sa restructuration, à garantir un terrain favorable à la synergie entre les différents acteurs — notamment les agriculteurs, les agronomes, les industriels, les distributeurs — et de veiller à la promotion des produits bio tunisiens tant sur le marché local que sur celui de l’exportation. «Certes, la filière est caractérisée par des points de force notables. Toutefois, il convient, dorénavant, de garantir une qualité, une éthique et une traçabilité zéro faille», a-t-il insisté.
Une plateforme numérique pour un travail en synergie
De son côté, Mme Yousra Hamza Chaïbi, secrétaire générale d’UNObio, a attiré l’attention sur l’état des lieux de la biodiversité et la dégradation des ressources fondamentales à l’agriculture, notamment le sol et l’eau. La sécurité alimentaire pose, à son sens, un sérieux problème à l’avenir, et ce, en raison de l’appauvrissement du sol, de la pollution hydrique et de la disparition de milliers d’espèces d’insectes utiles à l’agriculture dont les abeilles. «Nous devons anticiper sur les dix prochaines années en tablant sur le développement de l’agriculture bio. Nous allons, prochainement, lancer une plateforme numérique afin de regrouper le plus grand nombre possible d’intervenants en les invitant à travailler en synergie pour hisser le rendement de cette filière prometteuse, voire salvatrice», a-t-elle indiqué.
Place à la diversification des produits !
En effet, l’agriculture bio suit une courbe croissante en dépit de sa lenteur. Selon les chiffres de la Direction générale de l’agriculture biologique, les surfaces exploitées dans cette filière sont passées de 18 mille ha en 2002 à 336 mille Ha en 2018. Le nombre des opérateurs dans ce domaine est passé de 481 à 7.970 durant la même période. S’agissant des revenus enregistrés via l’exportation des produits bio, ils sont passés de 10MD en 2002 à 677MD en 2018, soit de 2.610 tonnes à 60 mille tonnes. Cependant, et parallèlement à cette recrudescence, des lacunes persistent et entravent le développement d’une filière qui se doit d’être stratégique. L’huile d’olive et les dattes certifiées bio accaparent 99% des produits bio exportés contre seulement 1% de fruits, de légumes et autres produits biologiques. «Il est inadmissible de ne compter, de nos jours, qu’un ou deux producteurs d’agrumes bio», s’est indigné M. Tlemçani. D’où la nécessité de se pencher davantage sur la diversification des produits bio voués à la commercialisation locale mais aussi à l’exportation.
Si la Direction générale de l’agriculture biologique dispose de chiffres relatifs à l’exportation, l’évaluation de l’évolution de la commercialisation des produits bio à l’échelle locale laisse à désirer. Les consommateurs semblent être, certes, de plus en plus demandeurs de ces produits. Néanmoins, la production se trouve dans l’incapacité de répondre par la favorable à ces besoins. D’autant plus que les unités de vente se font rares et se concentrent surtout dans certaines villes balnéaires. Les prix des produits bio ont, aussi, tendance à restreindre cette qualité pourtant sollicitée, car saine, à la seule classe sociale aisée. « La diversification des produits bio est cruciale dans la mesure où elle garantira une meilleure offre au marché local, une meilleure exportation mais aussi un enrichissement du sol», a ajouté Mme Chaïbi. Et d’ajouter que les enjeux environnementaux sont au cœur de ce choix judicieux.
L’agriculture conventionnelle est responsable de 99% de l’émission des gaz à effet de serre alors que l’agriculture bio assure le captage du CO2 ce qui prouve, encore une fois, son impact salutaire sur l’environnement. «Les petits agriculteurs, qui représentent 80% de l’ensemble des agriculteurs tunisiens, tireront profit de cette filière vu qu’ils auront à dépenser moins d’argent pour s’approvisionner en intrants et bénéficieront, ainsi, d’un commerce équitable, à même de combler leurs charges tout en leur assurant de meilleurs revenus», a-t-elle souligné.
Renforcer la réglementation, stopper la fraude !
Sur le plan législatif, un cahier des charges spécifique à la filière se fait toujours attendre. Pour M. Mohamed Bannani, vice-président d’UNObio, il est temps d’améliorer et de renforcer la législation réglementant la filière surtout que de nouvelles réglementations européennes seront établies en 2021 et qu’il conviendrait, par conséquent, de s’y conformer afin de préserver la fiabilité des produits tunisiens bio sur le marché importateur. «Encore faut-il créer une coordination performante entre le ministère de l’Agriculture et le ministère du Commerce afin de faire face aux produits pseudo-bio, présents dans les rayons des supermarchés», a-t-il insisté.
Faire face aux produits étiquetés bio et qui ne le sont point mais aussi aux pesticides bannis en Europe depuis 1993 et qui sont toujours disponibles et utilisés en Tunisie ! «Ces pesticides de contrebande sont inefficaces. Ils sont pourtant utilisés par les agriculteurs à grandes doses au point de rendre les produits agricoles inappropriés à la consommation. D’autant plus que l’homologation de certains pesticides se fait, souvent, dans la hâte, d’où l’urgence d’intervenir pour stopper ces faux pas et orienter les agriculteurs vers des sessions de formation adaptées. Une fois sensibilisés, les agriculteurs prendront connaissance des avantages de l’agriculture bio et de la nocivité des pesticides aussi bien sur la santé de l’humain, de la faune, de la flore et du sol», a expliqué M. Tlemçani.