Avec le confinement, les temps sont déjà durs autant pour les salariés que pour les employeurs et les investisseurs. Que dire alors des chômeurs et des catégories vulnérables? Les Tunisiens issus des couches sociales démunies avaient suivi le discours du chef du gouvernement, scotchés aux écrans télé ou de leurs téléphones portables. Ils avaient applaudi les mesures sociales annoncées en faveur des citoyens dans la précarité afin de ne laisser « personne au bord de la route ».
Suspendus aux lèvres du chef du gouvernement, ils étaient plus ou moins rassurés par ses propos clairs et sans équivoque.
Eux qui, depuis près de dix ans, prenaient leur mal en patience malgré le fait que chaque jour qui passe emporte dans son sillage leur rêve en des lendemains meilleurs.
On sait déjà qu’à chaque fois que leurs espoirs volent en éclats, ils laissent place à un désespoir qui creuse davantage le lit de l’extrémisme, du banditisme et de la criminalité.
Les gouvernements qui se sont succédé mettent en avant la transition démocratique au détriment de la transition économique, ont fait une mauvaise lecture de l’âme du pays et en ont payé chèrement le coût.
C’est ainsi que nos politiques et hérauts des valeurs citoyennes ont perdu les élections et leurs sièges au parlement. Avant-hier, des habitants des délégations d’Ettadhamen et de Mnihla, deux quartiers chauds, ont protesté contre le retard de versement des aides sociales exceptionnelles décidées par l’Etat au profit des familles démunies pour surmonter les difficultés liées à la pandémie de Covid-19.
De nombreux manifestants avaient bloqué la route en face du siège de la délégation de Mnihla et brûlé des pneus. D’autres, à Ettadhamen, se sont rassemblés devant le siège de la délégation et le poste de police pour réclamer les aides sociales et les permis de transport afin de pouvoir travailler. Ce qui a nécessité l’intervention des forces de l’ordre pour disperser la foule et empêcher les gens de se rassembler par prévention contre le Covid-19.
C’est un coup de semonce qui vient prévenir les autorités que d’autres régions pourraient se mettre en mouvement si rien n’est fait pour venir en aide en temps opportun, comme promis par le gouvernement en cette période de crise que nul ne sait combien de temps elle va durer. C’est que par effet d’entraînement, la colère risque de gagner d’autres régions.
Une administration récalcitrante
A cause d’une administration récalcitrante et qui carbure à moitié régime, le gouvernement court le risque de se voir coiffé au poteau par la vitesse de propagation des mobilisations dans d’autres localités.
L’on se rendra compte alors que les mesures prises pour calmer les ardeurs des mécontents ne serviraient plus à rien. Puisque la grogne aura pris des dimensions plus grandes dépassant le cadre de la subsistance quotidienne à des revendications plus pérennes telles que l’emploi, la santé, etc.
Voilà ce qui, en vérité, révulse les observateurs et inquiète les bailleurs de fonds. En effet, ce geste gouvernemental, s’il n’est pas immédiatement appliqué, ne semble pas être orienté vers un destin plus ordonné.
Il ne s’agit, au fait, que d’une trêve ou d’un armistice de quelques jours: on calme le jeu; on observe et, le feu ayant cessé, on négocie le passage d’une situation à son contraire sans pour autant extirper le mal qui ronge les régions d’une façon beaucoup plus profonde.
Et pour cause, les verrous qui entravent la mise en œuvre de ces mesures sociales sont toujours en place et ne sont pas nouveaux.
En effet, la lourdeur administrative, la bureaucratie d’un système central qui a fait long feu ne changeront en rien le quotidien des citoyens et ne baliseront guère la voie à cette précieuse dynamique qu’on souhaite mettre en place pour entrouvrir toutes les lucarnes essentielles à l’espoir pendant cette crise inattendue.
Car ce n’est que quand les mesures entrent en vigueur que leur sens se diffusera pour rejaillir positivement sur des couches sociales sinistrées.
Car, tant que les gens souffrent, la Tunisie ne sera pas à l’abri de troubles et de soubresauts. Il s’agit donc de donner un coup de pied dans la fourmilière administrative pour mettre tous les acteurs en mouvement et trouver un nouvel équilibre, et vite. Il doit être proactif, inventif et capable de faire avancer les mesures.
Et l’illusion des aides mondiales ou le recours à un endettement extérieur inconsidéré et excessif serait malheureusement synonyme d’un exploit financier à même de « lubrifier » la machine de l’État, et ne doit pas nous faire oublier cette douloureuse réalité.
Du fil à retordre
Car en dépit de l’approbation du recours à l’article 70 de la Constitution qui donne au chef du gouvernement des pouvoirs élargis, la responsabilité qui pèsera sur les frêles épaules de ce jeune gouvernement sera plus lourde de conséquences. En effet, l’absence de circulaires émanant des tutelles concernées par les nouvelles dispositions que préconisent les mesures sociales et financières rend leur mise en œuvre douteuse et impossible.
En effet, la multiplication accentuée des intervenants, l’absence de coordination, la lenteur administrative, la divergence au niveau de l’interprétation donnent du fil à retordre tant aux acteurs économiques qu’au citoyen lambda.
L’indifférence glacée aux conséquences ravageuses du pouvoir exécutif face à la situation d’urgence que connaît le pays sacrifie sur l’autel de la passivité les intérêts recherchés par de telles structures étatiques pour apaiser les esprits chagrins. Les exemples des flops des annonces politiques vidées de leur sens par de tels procédés administratifs éculés ne manquent pas.
En effet, la liste des doléances est longue et ceux qui pensent que de telles mesures dans leur forme purement biblique seraient telle une pluie d’or qui déversera ses bienfaits sur ces citoyens aux abois se mettent le doigt dans l’œil. Car l’heure des demi-mesures est révolue.