Accueil Société Moez Cherif, Président de l’Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant(ATDDE), à la presse: « Les enfants payent de leur personne les dérives du système éducatif »

Moez Cherif, Président de l’Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant(ATDDE), à la presse: « Les enfants payent de leur personne les dérives du système éducatif »

La réforme de l’éducation est un sujet auquel la société civile participe activement. Quelle éducation offre notre école aujourd’hui ? Pourquoi la réforme tarde à venir ne serait-ce que pour rassurer les parents sur l’avenir de leurs enfants ? Quelle éducation pour demain ? A ces questions, répond l’un des militants pour cette réforme, le docteur Moez Chérif, président de l’Atdde     

Votre association vient d’animer une émission sur l’éducation  qui n’a pas manqué de susciter l’intérêt  sur Rtci…..

L’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant produit en partenariat avec  Rtci depuis plus de 5 ans une émission intitulée «Chronique des droits de l’enfant».

Par ailleurs et depuis son lancement, nous suivons de près le dialogue sociétal pour l’éducation puis la réforme sans y être associés officiellement. Tout le monde constate le piétinement de la réforme de l’éducation malgré des indicateurs alarmants. Plusieurs opportunités ont été ratées par la Tunisie pour bénéficier d’une aide financière des bailleurs de fonds pour faire avancer ce dossier. Le dernier est un don de la Banque mondiale dont les délais d’octroi sont dépassés et ceci faute de remplir les conditions nécessaires pour l’éligibilité à cette aide ! Actuellement, la Tunisie a adhéré au Partenariat mondial pour l’éducation (PME) qui pourrait nous faire bénéficier de 10 millions de dollars pour financer la réforme.

Cependant nous devons remplir certaines conditions qui sont par ailleurs en concordance avec le cadre légal et constitutionnel de la Tunisie. Il s’agit d’organiser un dialogue tripartite associant l’Etat, des partenaires du secteur privé et un groupe local pour l’éducation (GLE), constitué par un réseau de la société civile composé par les associations qui s’intéressent à l’éducation et qui défendent des principes de citoyenneté.

Un délai est fixé pour le mois de novembre. La représentation de l’Union européenne est chargée de représenter les partenaires techniques et financiers qui contribuent au financement du PME.

Plusieurs tentatives de rapprochement du ministère de l’Education ont échoué. L’Atdde, en accord avec le GLE et l’UE, a décidé de consacrer une émission radio de 2 heures sur Rtci pour présenter le projet à l’opinion publique et inviter, à travers les médias, le ministère de l’Éducation à participer en invoquant le droit d’accès à l’information.

Pourquoi y-a-t-il  tant de difficultés à instaurer un dialogue ?

Les difficultés d’instaurer un dialogue témoignent, s’il est nécessaire, de la distance qui existe entre la société civile, les familles, les enfants et le ministère de l’Éducation pour dégager une vision commune, consensuelle nécessaire pour la réforme de l’éducation. Tout se passe en vase clos au sein du ministère de l’Éducation entre les cadres du ministère, les représentants syndicaux et l’Institut arabe des droits de l’Homme (Iadh) qui est censé représenter la société civile à travers le réseau  «AHD» qui l’a mandaté depuis 2016.

Or, la plupart des associations du GLE ne sont pas signataires de ce mandat, d’une part. D’autre part, et depuis qu’il a été chargé de représenter la société civile, l’Iadh n’a jamais communiqué sur l’avancement de la réforme, n’est jamais revenu pour rendre compte ou sonder l’opinion de la société civile pour faire avancer une réforme qui se résume à la satisfaction des revendications syndicales des enseignants, certes indispensables pour rendre justice à ce noble corps de métier mais tout à fait insuffisantes pour améliorer la qualité de l’éducation en matière d’accessibilité, d’équité, de parité des chances pour les enfants.

L’intérêt supérieur de l’enfant s’est laminé au cours des différentes crises qui ont opposé le ministère au syndicat. L’abandon scolaire devient un mal chronique qui compromet le droit des enfants, la baisse de la qualité de l’enseignement reconnu par l’Etat l’amène à se soustraire aux évaluations internationales et l’angoisse des parents est à son comble car sans réussite scolaire, l’avenir de leurs enfants est compromis. Le silence de l’arbitre désigné il y a quatre ans par la société civile est troublant !

Selon vous le système éducatif

tunisien est-il encore solide ?

Malgré  la crise, le socle du système éducatif tunisien est solide et résiste. La Tunisie a, depuis les années 1960, scolarisé la quasi-totalité de ses enfants avec une égalité de genre. Le cadre législatif qui gère la vie scolaire est encore d’actualité s’il était réellement mis en œuvre. L’école a été conçue comme un espace républicain, dédié aux enfants, qui permet à la fois l’accès au savoir, l’apprentissage de la citoyenneté par la participation et une ouverture sur la réalité locale, régionale et nationale.

L’école avait une vocation d’ouverture sur les autres cultures et sur les valeurs humaines universelles. Et un mécanisme permettait aux familles de participer à la vie de cet espace d’apprentissage malgré l’état d’indigence de la plupart des Tunisiens quand ces lois ont été mises en place.

Ces textes votés dans les années 1960, je le rappelle, étaient d’avant-garde et répondaient parfaitement aux exigences de la Convention Internationale des droits de l’enfant (Cide) proclamée en 1989 et rapidement signée et ratifiée par la Tunisie. C’est, entre autres, ce qui faisait de notre pays un leader en matière de respect des droits de l’enfant. L’école permettait aussi, à travers la médecine scolaire, aux enfants d’accéder à la santé et  pour plus d’équité un grand nombre d’enfants avaient droit à un apport nutritif pour leur permettre une croissance équilibrée.

Le budget de l’éducation était le plus important des budgets de l’Etat et montrait l’option prise pour un développement durable basé sur l’investissement dans le capital humain. Cela a permis l’émergence d’une importante classe moyenne, et rapidement la capacité de former ses propres cadres et compétences pour répondre à ses besoins et même au-delà. De pays indigent, la Tunisie a pu accéder au statut de pays émergent grâce à cette vision dans l’investissement dans une société de savoir. La réussite du modèle a été appropriée par la population qui consent encore à tous les sacrifices pour assurer une éducation de qualité à ses enfants. Cet effort familial a compensé pendant une période la dérive du système éducatif. Mais la paupérisation de la classe moyenne, la baisse d’investissement de l’Etat par rapport à l’inflation, d’une part, et par rapport au budget global, d’autre part, ont causé une sinistrose qui a vu se dégrader l’infrastructure éducative.

Un système sélectif et à deux vitesses qui s’est installé avec une option libérale a favorisé l’émergence d’un enseignement privé offrant une alternative aux parents soucieux de la réussite de leurs enfants. Les dérogations à la mise en œuvre du règlement interne des écoles qui organisait la vie scolaire ont fait perdre à l’école sa capacité d’éduquer à la citoyenneté pour devenir une institution d’enseignement et de délivrance de diplômes dont la valeur a progressivement baissé sur le marché de l’emploi.

Les réformes urgentes passent d’abord à notre avis par le choix par l’Etat d’un nouveau modèle de développement. Le modèle actuel du système éducatif a montré ses limites et ne répond plus ni à l’aspiration des citoyens, ni au besoin de pallier les inégalités régionales générées, ni à la réalité économique régionale, continentale ou internationale.

L’école est un instrument de la République pour la mise en œuvre de ce modèle de développement. En l’absence d’une vision claire, on ne peut pas développer une politique ou déterminer des objectifs qui seront mis en œuvre par des programmes. Toutefois il faut rétablir certains impératifs d’accessibilité, d’équité et d’égalité des chances. Par ailleurs, la garantie de la qualité ne peut se faire que par la formation impérative des formateurs, la formation initiale et continue ainsi qu’une formation complémentaire pour tous ceux qui sont en place et qui n’ont pas les compétences requises pour donner une éducation de qualité.

Il est aussi impérieux de redonner sa place à chaque enfant à l’école et lui permettre de participer à la vie de l’institution que la République lui a dédiée. Enfin, il faut rapprocher les familles et les autorités locales de la gestion de l’école et instaurer un mécanisme de redevabilité.

Cette institution est garante des droits humains et responsable en premier lieu d’un développement durable par l’impact qu’elle a sur le renforcement de capacité des ressources humaines.

Les enfants payent de leur personne le piétinement de la réforme et les dérives de l’éducation. Depuis la révolution, plus d’un million d’enfants ont abandonné l’école. 2/3 des enfants n’ont pas d’éducation préscolaire. Le système sélectif mis en place fait que 50% des enfants inscrits au primaire n’arriveront pas au BAC. 50% des élèves de 7e année ne réussiront pas au BAC. Le niveau de tous les enfants est en nette régression. En effet 40% des enfants scolarisés de 7 à 14 ans ne savent pas lire et 60% ne savent pas calculer ! On peu dire que la révolution, à force de considérer que les enfants ne sont pas une priorité, a sacrifié une génération et s’apprête à compromettre les chances de la suivante.   

Si on se demande ce que doit être l’éducation ?

Dans un monde qui va de plus en plus vite, un savoir qui se développe à très grande vitesse et une mondialisation de l’information à travers les Tics, l’école perd son monopole comme source des apprentissages. Elle est incapable de couvrir l’étendue immense de la connaissance et d’évoluer aussi vite que l’innovation.

Par ailleurs la famille tunisienne est devenue nucléaire à 80% des cas. Il y a une rupture de transmission du savoir intergénérationnel. Dans ce contexte, l’école doit assumer le rôle de transmettre la mémoire qui est à la base du sentiment d’appartenance. Elle doit transmettre la culture locale, régionale et nationale pour nourrir l’identité de chaque enfant et préserver les différences. C’est de ce difficile équilibre que peut renaître la fierté de ses origines et la tolérance envers l’Autre ainsi que l’apprentissage du vivre-ensemble et du bannissement de la violence. L’école doit autonomiser les enfants, leur apprendre à apprendre, développer leur esprit d’analyse, de synthèse et de critique. L’école doit enfin transmettre des valeurs. Celles qui font le consensus du groupe, de l’Etat et qui s’inscrivent dans l’universalité de l’être humain sans discrimination aucune. Une école pour tous, une école amie de l’enfant est la seule institution garante de l’accès aux droits pour chaque enfant sans considérations ethnique, de genre de race, de religion ou d’intégrité corporelle. Une école capable de s’adapter aux besoins spécifiques de chaque apprenant car chaque enfant doit être considéré comme le projet d’une nation !

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