Le secteur industriel a toujours occupé une place prépondérante dans l’économie tunisienne et a toujours participé considérablement au développement de l’économie nationale, dépassant à un certain moment le 1/3 du PIB.
L’Etat a accompagné sans cesse ce secteur en mettant en œuvre plusieurs réformes principalement le cadre réglementaire, le système d’incitation, la fiscalité ainsi que le système financier. Ces mesures ont évidemment tenté d’accompagner les entreprises tunisiennes tout au long des différentes phases de leur activité, ce qui leur a procuré des atouts majeurs sur le plan microéconomique et a assuré ainsi la promotion de ce secteur à l’échelle nationale et internationale pendant plusieurs années.
Néanmoins, ce secteur connaît à l’heure actuelle des difficultés énormes sur les plans économique, social et financier et tend à disparaître petit à petit laissant sa place au secteur tertiaire.
A cet effet nous avons contacté M. Ridha Chiba, Conseiller international en exportation, pour nous communiquer son avis sur la situation actuelle de ce secteur, les origines de ses handicaps et comment y remédier pour sauver définitivement ce secteur et le relancer de nouveau. Interview.
•Comment jugez-vous le secteur industriel actuellement en Tunisie?
•De prime abord, je peux affirmer que ce secteur traverse des moments très difficiles voire graves. Nous assistons actuellement à la fermeture de plusieurs entreprises industrielles et la mise en chômage de leurs employés ce qui les a amenés à une situation économique, financière et sociale très critique.
A titre d’exemple, je peux citer des entreprises industrielles dans la région de Sousse qui, normalement, doivent être des fleurons de l’industrie tunisienne et qui passent actuellement par des moments très difficiles comme les AMS, Icar (ancienne Stia), la Stip, Meublatex, Tunisie Lait, etc.
En fait, la pandémie du Covid-19 qui a été une cause déterminante et qui a eu une répercussion néfaste sur toute l’économie tunisienne, demeure à mon avis une raison compréhensible due à une force majeure, mais en revanche, nous ne pouvons pas tolérer les autres raisons qui ont incité certains hommes d’affaires à ne plus opter pour l’activité industrielle, et tenter de changer la vocation de leurs entreprises d’une entreprise industrielle en une entreprise commerciale ou foncière. Cette raison ne peut aucunement être soutenue surtout pour les entreprises qui ont été vendues dans le cadre du Carep avec des prix bradés en deçà de leurs valeurs réelles. Au lieu de les promouvoir en élargissant leurs activités et créer de nouveaux produits, tout en trouvant de nouveaux marchés locaux et internationaux, nous constatons que certains chefs d’entreprise pensent changer la vocation notamment dans le secteur tertiaire.
A titre d’exemple, la société Icar (ancienne Stia) a changé, récemment, une partie de son terrain en vocation commerciale. Ce qui est diamétralement opposé à l’objectif de sa vente en tant qu’entreprise industrielle.
Les propriétaires de ces usines ne cherchent, en fait, que la facilité de gain et l’enrichissement sans cause en valorisant les terrains des entreprises industrielles.
•Quelles sont, d’après vous, les raisons qui freinent l’évolution du secteur industriel ?
•A vrai dire, le tissu industriel de Tunisie compte plus de 5.000 entreprises dont plus de 2.200 totalement exportatrices, ce qui constitue une importance considérable et un maillon de taille pour l’économie nationale.
Toutefois, et malheureusement, il ya plusieurs raisons qui ont freiné le secteur industriel dans notre pays dont, entre autres, la responsabilité de l’Etat tunisien à plusieurs niveaux à savoir:
•L’ouverture économique à outrance sans aucune stratégie et la signature de plusieurs accords avec des pays ou groupements économiques internationaux, entre autres, l’accord institué en 1996 et appliqué intégralement à partir de 2008 entre l’Union européenne et la Tunisie ainsi que le Partenariat Euromed dit aussi Processus de Barcelone qui a été institué en 1995 à Barcelone, à l’initiative de l’Union européenne (UE) et de dix autres Etats riverains de la Méditerranée
En fait, l’Etat tunisien a accéléré la privatisation des entreprises industrielles et les a vendues en deçà de leurs valeurs dans une courte durée et a signé avec certains pays ou groupements économiques des accords par lesquels il s’engage à établir une zone de libre-échange qui vise l’exonération des droits et taxes douanières. Actuellement tous les produits industriels demeurent totalement exonérés entre la Tunisie et l’Union européenne.
Véritablement, ces accords ne sont nullement à l’avantage de la Tunisie vu les rapports de force déséquilibrés et le volume d’échange qui est largement en faveur de l’Union européenne. Ce qui a affecté considérablement l’évolution du tissu industriel.
– Le silence absolu devant le commerce informel qui a influencé négativement l’économie nationale et qui a instauré une concurrence déloyale.
-L’instabilité politique, économique et sociale du pays.
-Les cours de devises qui sont en perpétuelle augmentation par rapport au dinar tunisien et qui ont engendré une augmentation des coûts des produits.
-L’absence de réaction de l’Etat tunisien vis-à-vis des hommes d’affaires concernant leurs engagements à améliorer industriellement les entreprises vendues dans le cadre du Carep et le changement de certaines entreprises de vocation industrielle en vocation commerciale.
-L’absence de prise de mesures strictes contre le commerce informel, la concurrence déloyale, le dumping, la contrebande, et ce, pour mettre un terme définitif à cette situation économique qui demeure chaotique.
•Comment, d’après vous, pouvons-nous relancer de nouveau le secteur industriel ?
-Réellement, si nous voulons que le secteur industriel reprenne son importance et aille au diapason avec une nouvelle politique économique du pays et les attentes du peuple tunisien, il est nécessaire, à notre avis, d’appliquer immédiatement les recommandations suivantes:
– Instaurer un programme de sauvegarde de l’industrie tunisienne visant principalement une restructuration et une modernisation du tissu industriel tunisien et un renforcement de la compétitivité des entreprises tunisiennes.
– Instaurer une relation avec l’Ugtt et l’Utica basée sur le respect mutuel tendant à créer une paix sociale en résolvant tous les problèmes entravant la bonne marche du secteur industriel.
– Encourager les investissements locaux pour ce créneau à l’instar des avantages accordés aux investissements étrangers.
– Combattre sans relâche le commerce parallèle, la concurrence déloyale et le dumping.
– Imposer des droits et taxes douanières et des licences d’importation pour contrecarrer tous les produits concurrents similaires aux produits tunisiens.
– Arrêter définitivement le changement de vocation des entreprises tunisiennes industrielles en vocation commerciale.
– Eviter la concentration de l’emploi industriel dans les gouvernorats du littoral oriental.
– Octroyer des subventions et accorder des privilèges aux entreprises industrielles en difficulté financière.
– Assurer un accompagnement à toutes les entreprises industrielles, consolider leurs forces et remédier à leurs faiblesses.
– Faire augmenter le taux d’encadrement des entreprises industrielles pour assurer une bonne production, une meilleure productivité et une organisation optimale.
•A votre avis, les entreprises off-shore peuvent-elles compenser le manque enregistré par les entreprises industrielles tunisiennes?
•A mon avis, il est nécessaire de donner l’importance aux entreprises off-shores en Tunisie du moment qu’elles font travailler beaucoup d’employés et ont un impact financier et social sur l’économie tunisienne. Mais ceci ne nous empêche nullement de réorganiser le secteur industriel tunisien. Les entreprises industrielles off-shores demeurent toujours un créneau très aléatoire et sont beaucoup plus bénéfiques aux investisseurs étrangers, et ce, pour plusieurs raisons à savoir :
-C’est une industrie de transformation qui ne présente pas une forte valeur ajoutée.
-C’est une industrie basée sur la main-d’œuvre abondante et le paradis fiscal.
-Le choix de la Tunisie est, entre autres, basé sur la proximité du marché. (L’Europe est à deux heures de vol et à 24 heures par voie maritime).
-Le coût dérisoire de la main-d’œuvre et le professionnalisme des employés.
-Le marché tunisien lui-même (l’investisseur a le droit de vendre jusqu’à 50% de sa production).
-Les avantages que procure la loi de non-double imposition aux investisseurs.