La crise du lait a encore frappé, elle ne cesse de se manifester au moindre blocage opposant les différents intervenants : lait déversé dans les rues, manifestations et même accrochages avec les forces de l’ordre. Une solution à ce «feuilleton interminable» s’impose aujourd’hui plus que jamais.
En colère, des producteurs de lait ont tenté, mercredi dernier, de bloquer l’accès au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche à Tunis en signe de protestation contre la détérioration de leurs conditions professionnelles provoquée notamment par ce qu’ils appellent le manque de rentabilité de leur activité. Ils réclament notamment une augmentation du prix du litre de lait. Dispersés et empêchés par les forces de l’ordre de bloquer l’accès au ministère, ils ont alors décidé de déverser des quantités de lait stocké dans des citernes sur la voie publique, des scènes qui se reproduisent pratiquement à chaque crise.
En fait, outre l’augmentation du prix du lait, ces producteurs sont en colère contre le manque de réactivité du gouvernement à leurs revendications, à savoir le versement des arriérés au titre de l’indemnité d’exploitation, de collecte et de stockage du lait et la révision des prix de l’industrialisation et de l’indemnité de collecte. En outre, des éleveurs, collecteurs et autres industriels réclament la libéralisation progressive du prix de vente du lait mais aussi la prise en charge par l’Etat du stock actuel estimé à 60 millions de litres.
C’est dans ce contexte que Oussama Kheriji, ministre de l’Agriculture, a annoncé récemment que le ministère a présenté, en coordination avec le ministre du Commerce, une proposition pour augmenter le prix du lait à la production et à la collecte. Selon ses dires, cette proposition devrait garantir une marge bénéficiaire à l’agriculteur et sauver le secteur laitier de la crise qu’il traverse. Mais au vu de l’actuelle situation et des divergences opposant tous les intervenants, cette simple proposition n’est pas en mesure de résoudre le problème.
Face à cette situation de blocage, les représentants du gouvernement, l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) et l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) ont décidé de tenir, hier, une réunion «cruciale» pour mettre fin à cette crise. Selon l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) qui annonce avoir reporté la grève nationale du secteur laitier, prévue prochainement, cette réunion intervient dans le dessein de conclure un accord et trouver une solution qui réponde aux demandes et aux attentes des intervenants du secteur, dont notamment les producteurs de lait. D’ailleurs, les représentants des ministères de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce et des Finances prendront part, du côté du gouvernement, à cette réunion qui intervient suite aux mouvements de protestation observés par les professionnels de la filière. Mais encore faut-il souligner que cette réunion se déroule dans une période d’instabilité politique et de transition de gouvernement, d’autant plus que les producteurs de lait ont toujours dénoncé le fait que chaque nouveau gouvernement fait fi des décisions prises par le précédent.
Crise cyclique et secteur précaire
En Tunisie, la crise du lait est devenue cyclique et ce sont notamment les images du lait déversé sur la voie publique qui choquent le plus l’opinion publique. Mais derrière ces scènes, une crise interminable qui pourrait même, selon certaines parties impliquées, mener à l’effondrement du système de production laitière.
En juin dernier, les représentants de la production et de l’assemblage à l’Utica avaient déjà annoncé qu’ils ne seraient plus en mesure de respecter leurs engagements envers les éleveurs et de payer leur dû pour le lait frais à partir du 1er juillet 2020. Un déficit qui, selon eux, devrait entraîner la suspension totale de l’activité industrielle laitière, tenant la partie gouvernementale pour responsable de l’effondrement du système et de la situation future de ce secteur.
En 2018, une autre crise du lait sans précédent avait encore frappé le secteur lorsqu’une pénurie avait touché tout le pays en raison de la surconsommation et la vente conditionnée alors que la Tunisie produit deux millions de litres de lait quotidiennement, avec une consommation nationale oscillant entre 1,7 et 1,8 million de litres. Mais selon les explications des responsables, cette pénurie s’expliquait par une baisse de 25% du cheptel des vaches laitières ainsi qu’un recul de 20% de la production nationale de lait. La crise avait à l’époque obligé le gouvernement à recourir à l’importation de lait pour combler le déficit enregistré dans la distribution et réguler le marché et les prix.
La surproduction provoque également des crises en Tunisie. En 2015, face à des stocks records de lait, les industriels avaient décidé de ne pas acheter la totalité des quantités de lait des éleveurs et des collecteurs de peur de se retrouver avec des invendus. Et en l’absence de mécanismes efficaces d’exportation et de stockage, le secteur était confronté également à une crise ayant lourdement impacté les petits éleveurs, qui représentent 80% du nombre des éleveurs de vaches.
A l’origine de ces crises, donc, une incapacité à gérer les stocks de lait en cas de pénurie, ou encore en cas de surproduction mais aussi à réguler les prix de manière à garantir une rentabilité à tous les intervenants de la chaîne de production qui commence par les petits éleveurs et agriculteurs arrivant jusqu’au géant de l’industrie laitière. Et en l’absence d’une décision radicale et stratégique, le secteur se maintient dans une situation de précarité ouverte à des crises au moindre blocage.