La loi de finances est un acte à travers lequel l’Assemblée des représentants du peuple vote le budget de l’Etat, d’une durée d’une année, et autorise les services fiscaux de recueillir divers impôts des contribuables. Des dépenses publiques sont prévues suite aux recettes publiques telles que les impôts, les taxes, les cotisations sociales, les emprunts étrangers et locaux, les recettes parvenues des biens de l’Etat et aussi de l’excédent public en ressources financières. La question qui se pose est : «Comment assainir le budget et réduire le déficit dans un contexte de crise qui risque de se prolonger ?»
Le gouvernement doit justifier toutes les ressources et les dépenses publiques par la négociation et la persuasion, ce qui constitue véritablement un travail de longue haleine, surtout si les ressources du pays sont très rudimentaires. Il faut absolument recourir à des emprunts et des crédits à travers les diverses instances monétaires internationales et nationales, telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et aussi les banques nationales. A cet effet, et pour mieux comprendre la situation économique et financière de notre pays ainsi que les principaux axes du projet de la nouvelle loi de finances 2021 et les solutions à proposer en amont, nous avons contacté M. Ridha Chiba, conseiller international en exportation, pour nous donner plus de détails sur toutes ces données. Interview.
Comment pouvez-vous évaluer la situation économique et monétaire actuelle en Tunisie ?
Assurément, la situation économique du pays est très difficile, voire chaotique. Les chiffres avancés par les autorités tunisiennes inhérents à la loi de finances 2021 sont virtuels et jugés très optimistes et s’élèvent à 52 617 millions de dinars. Ainsi, ce budget prévoit une hausse de 13,9% des recettes fiscales, pour atteindre 29.725 millions de dinars, ce qui ne va pas véritablement avec la situation réelle du pays caractérisée par un recul de 16,6 % au niveau des exportations à cause de la pandémie du Covid-19, la baisse du dinar tunisien par rapport aux devises étrangères, le taux de croissance de cette année estimé à -8%, la loi de finances complémentaire nécessitant à peu près 10.000 millions de dinars, la masse salariale qui sera en hausse de 5,7%, passant à 20.118 millions de dinars en 2021 contre 19.030 millions de dinars en 2019, la crise aiguë qu’a connue le secteur touristique avec le report de la plupart des réservations, les baisses étonnantes des recettes et la chute spectaculaire des nuitées globales dépassant moins de 75%.
Tout cela dans une économie caractérisée par le marasme à tous les niveaux et le désaccord entre le gouvernement et la Banque centrale tunisienne sur les moyens de financer le déficit budgétaire supplémentaire ainsi que d’autres problèmes financiers et économiques entravant carrément le développement du pays et rendant la mission du gouvernement très difficile et nous laissent évidemment loin d’être optimistes quant à la nouvelle année 2021.
Est-ce que la Tunisie est passée auparavant par des moments difficiles sur le plan
financier, comme c’est le cas actuellement ?
La Tunisie qui passe par des moments critiques économiquement et financièrement demeure dépendante des instances financières internationales, telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la banque européenne, etc. Dans certaines situations, ce sont les Etats-Unis qui se portent garants pour la Tunisie pour la faire bénéficier d’un crédit. Ce qui est très grave et nous rappelle vraisemblablement la situation financière de notre pays à l’époque du Protectorat français en Tunisie lorsque cette dernière était incapable de rembourser ses créanciers du moment que l’Etat se retrouvait endetté vis-à-vis de l’étranger pour un montant très élevé. Ainsi, Sadok Bey a été contraint d’accepter le 5 juillet 1869 la création d’une commission financière internationale chargée de gérer les finances. Ce comité exécutif était composé de deux Tunisiens et d’un Français. Quant au comité de contrôle, il comprenait deux Italiens, deux Anglais et deux Français. Le texte du décret du 5 juillet 1869 constitue un véritable acte de soumission aux créanciers, principalement l’article 9 qui indique très clairement que la commission percevra tous les revenus de l’Etat sans exception. L’une des tâches principales de la commission, voire la plus urgente, est de restructurer la dette. La création de ce comité représente l’une des étapes les plus importantes qui ont précédé le Protectorat en Tunisie. C’est pourquoi, d’ailleurs, les responsables tunisiens doivent tirer les meilleures leçons de l’Histoire.
Quels sont les axes sur lesquels
va se baser la loi de finances 2021 ?
La loi de finances 2021 est basée principalement sur les questions suivantes : les réformes fiscales, l’encouragement de l’investissement et de l’épargne, la modernisation de l’administration, le renforcement des ressources de l’Etat et l’amélioration du recouvrement fiscal, la lutte contre l’évasion fiscale et la promotion du decashing. A vrai dire, le projet du budget de la loi de finances 2021 est estimé à 33.009 millions de dinars émanant des ressources fiscales (29.725 millions de dinars), des ressources non fiscales (2.484 millions de dinars), des dons (de l’ordre de 800 millions de dinars) et de 19.608 millions de dinars sous forme de crédits extérieurs et d’emprunts intérieurs. Les principales réformes fiscales de la loi de finances 2021 sont axées sur ce qui suit:
L’unification fixée à 18% des taux d’imposition sur les entreprises. A cet effet, la loi prévoit la suppression du régime forfaitaire et l’instauration d’un régime fiscal spécifique aux petites entreprises individuelles, dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas les 100 mille dinars.
• Le paiement de la taxe de circulation moyennant l’assainissement de la situation fiscale des personnes, et imposer une taxe sur les jeux et les paris sur internet.
• La lutte contre l’évasion fiscale et l’interdiction des transactions en cash dont la valeur est supérieure à 3.000 dinars.
• Le renforcement de l’administration numérique, l’encouragement de l’épargne à moyen et long terme et l’encouragement des investissements.
A la lumière de ce qui précède, nous affirmons d’emblée que ces réformes sont virtuelles et difficilement réalisables, surtout celles relatives au paiement de la taxe de circulation moyennant l’assainissement de la situation fiscale des personnes étant donné les conditions matérielles lamentables dans lesquelles vivent les Tunisiens dont la plupart sont au-dessous de la ligne de pauvreté ainsi que la suppression du régime forfaitaire et l’instauration d’un régime fiscal spécifique aux petites entreprises individuelles dont l’application s’avère très complexe et qu’une telle réforme a été déjà essayée auparavant mais, malheureusement, vouée à l’échec.
Une loi de finances comme celle de l’année 2021 basée principalement sur la fiscalité et les emprunts nationaux et étrangers et aucunement sur la plus-value et la création de la richesse ne peut engendrer que des répercussions négatives sur l’économie tunisienne et affecter assurément la vie matérielle des Tunisiens et la rendre très difficile, surtout si nous prévoyons un taux d’endettement qui pourrait dépasser les 100% du PIB en 2021, outre le déficit budgétaire, le déficit commercial et l’inflation dont les taux ne peuvent que s’accentuer négativement.
D’après vous, comment le gouvernement tunisien peut-il remédier à la situation économique et financière en Tunisie ?
C’est uniquement lorsque ce gouvernement cesse d’être un gouvernement de gestion d’affaires quotidiennes et accorde une grande dimension aux citoyens tunisiens en tant que moyen et finalité et s’éloigne des solutions faciles nuisant au peuple et au pays.
Ce gouvernement doit travailler conformément à une stratégie préalablement préconisée et des options claires, réalisables et axer ses efforts sur toutes les questions importantes, comme le bâtiment, l’agriculture, l’économie verte, l’économie numérique, l’exportation, les investissements réels, etc. Bref, c’est tout ce qui engendre une plus-value et crée la richesse, l’emploi et l’exportation. Ceci, outre l’amélioration continue entre autres des domaines de la santé, de l’enseignement, du social, de la jeunesse et de la justice qui reflètent à vrai dire une image sombre et pessimiste qui ne va pas réellement avec les desseins et les aspirations de chaque Tunisien. A cet effet, le gouvernement doit procéder immédiatement à ce qui suit :
• Opter pour une politique fiscale encourageante et souple basée sur le dialogue, la persuasion et la motivation et non pas sur la dissuasion en vue d’assurer le meilleur recouvrement.
• Inciter et encourager les hommes d’affaires à investir et à créer de nouvelles entreprises dans les différentes régions de Tunisie.
• Prendre les mesures strictes et agir d’une manière intransigeante et ferme contre le commerce informel, la concurrence déloyale, le dumping et la contrebande.
• Protéger les produits tunisiens et imposer des restrictions légales et fiscales à toutes les importations entravant la vente des produits locaux tunisiens.
• Instaurer un programme de sauvegarde de toutes les entreprises tunisiennes visant principalement à leur restructuration, leur modernisation et leur accompagnement en renforçant leur pérennité et leur compétitivité.
• Faire augmenter le taux d’encadrement des entreprises pour assurer une bonne production, une meilleure productivité et une organisation optimale.
• Adopter la méthode de la réallocation dans l’administration et les entreprises publiques.
• Faire un audit concernant toutes les terres agricoles publiques et opter pour leur redistribution en faveur de ceux qui sont du domaine, entre autres, les techniciens et les ingénieurs agronomes en assurant un contrôle strict et rigoureux.
Le mot de la fin…
Nous croyons fermement qu’il est encore temps pour sauver la Tunisie et sans perdre de temps, et ce, en prenant les mesures adéquates qui vont de pair avec l’intérêt du pays et du peuple tunisien et non pas en faveur d’un groupe réduit qui a tout obtenu sans rien donner à ce pays.