Hommage à la stylisticienne, poète et cavalière, Laurence Bougault : Mourir à l’insu de ses rêves

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Comme son inspirateur Arthur Rimbaud, sa référence de prédilection, en plus de ses brillantes recherches académiques, beaucoup de poésie … Comme lui, elle a aimé aussi les routes, les pays lointains et le risque.

Laurence Bougault était  professeur des universités à Rennes II, en France, chercheuse de bonne renommée, présidente de «L’Association Internationale de Stylistique» (AIS) dont elle est la co-fondatrice avec Judith Wulf, poète de vision et de tonalité quelque peu rimbaldiennes, mais aussi cavalière, «une Amazone de la paix», comme elle a aimé dire d’elle-même au magazine français  «Paris Match», le 17 septembre 2009, après être rentrée, agrandie et plus célèbre, d’une longue et victorieuse traversée à cheval depuis Ispahan en Iran et jusqu’à Fontainebleau, en France. Quelques années avant, elle était allée, à cheval aussi, en Afrique du Sud. Des milliers et des milliers de kilomètres à cheval, seule avec «Almila», sa fidèle compagne (son beau cheval) ! C’est époustouflant  et cela forçait l’admiration de tous ! Femme singulière, rêveuse, vaillante, qui avait le courage inouï de ses rêves démesurés et beaux de poète et d’humaniste croyant être investie d’une mission de paix. Comme son inspirateur Arthur Rimbaud, sa référence de prédilection, elle avait écrit, en plus de ses brillantes recherches académiques, beaucoup de poésie (Le Grand Jouir, Eclats, Les Métamorphoses de l’Amour-Cheval,  Eclats de chevauchées, Poèmes d’Amour-Cheval, etc.). Comme lui, elle a aimé aussi les routes, les pays lointains et le risque. Chez elle, l’attendait sereinement son enfant de lumière qui a hérité, de son courage et de sa grandeur et  qu’elle a baptisé «Loup». Seulement, un jour, alors qu’elle n’avait encore que 48 ans, cette  maladie innommable, cruelle et irrévocable comme un destin, qui avait déjà emporté, l’un après l’autre, ses amis stylisticiens, Georges Molinié et Joëlle Gardes Tamine, la frappa, à l’insu de ses rêves de poésie, de voyages et de bonheur. Sa souffrance fut grande. Elle l’assuma avec sa vaillance habituelle. A un ami vivant de l’autre côté de la mer, elle destina un bref message, le 24 août 2018 : « (…) Je suis en partance (…)  Je serais heureuse jusqu’au bout malgré les douleurs physiques, car la vie est merveilleuse». Plus loin, elle ajouta : «J’ai toujours aimé le péril, celui-ci (sa maladie) est assez intense mais ne me chagrine pas. Je profite de chaque seconde». Incroyable femme, extraordinairement sereine, plus forte que la mort ! Puis, ses mots tombèrent dans le silence, presque 3 mois, et ne parvinrent plus à son ami de l’autre côté de la mer qui apprit soudain, sur le tard, qu’elle s’en était allée, un jour du mois de novembre 2018, quelques jours avant son collègue tunisien, stylisticien comme elle, Nebil Redhouane, sur «Le chemin dont nul n’est revenu» (L. Ray). C’est trop tôt de mourir à 48 ans ! Trop triste ! D’aucuns, à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, se souviennent encore  d’elle qui était venue, heureuse et belle, en mars 2007, au colloque international sur «L’émotion poétique» où elle avait donné l’une des meilleures communications sur «Ce que  la neurologie et l’éthologie modernes nous apprennent de l’émotion poétique». Et il y avait, pour l’apprécier,  notre poète fétiche, Lionel Ray, et d’autres notoriétés de la recherche universitaire : Michel Collot, Brigitte Buffard-Moret,  Philippe Zard, Samia Kassab-Charfi, Agnès Fontvieille, etc. Il y avait aussi feue Nedra Lejri, qui s’était éteinte avant elle.

Pour lui rendre l’hommage que nous lui devons, je vous présente ici son recueil «Eclats» où on pourrait lire une poésie de la plus belle eau :

«Eclats/ Ce qui blesse, qui agresse l’œil/ Ce qui se fige dans les chairs moroses/ Ce qui éclaire puis retombe dans la nuit/ Telles sont les paroles qui cherchent à venir/ Irriguer sans tarir/ Eclats de ce qui échappe » (p.11).

Ceci est le morceau liminaire qui ouvre cette semence de diamant de Laurence Bougault et qui annonce cette lumière soudaine et sensuelle, fugace comme une émotion, et qui jaillit dans ces villes de grande solitude hantées par une mort sournoise et silencieuse, cachée pour les yeux, que Rimbaud «l’éphémère citoyen d’une métropole crue moderne» aime à nommer «La mort sans pleurs » (Ville) où, déclame encore Laurence en pensant peut-être à l’auteur des Illuminations qu’elle connaît sur le bout du doigt : «La mère est triste/ Elle ne sait pas pleurer/ L’enfant pleure/ A la place de la mère» (p. 19).

Il y a, dans cette poésie de Laurence Bougault, une quête constante de l’amour, une marche douloureuse de femme à la recherche de l’Autre qui jouirait d’elle et la ferait jouir dans un seul mouvement vers une joie extatique et fusionnelle qu’elle veut pleine, telles le sont ses courbes en désir, tel l’est son ventre plein de faim et de soif de cet Autre qu’elle a dans la peau et qui, terriblement, lui manque, quant à son absence, elle s’enlise dans la médiocrité grise des jours sans âme et de ces «Villes» (pp. 15-37) stressantes qu’elle traverse avec peine, sous un «ciel maussade blanc» (p.21) et qui, désertée par la tendresse, deviennent «Prisons» (pp. 39.50), avant que, «En chambre» (pp.51-94), apparaissent «la flamme bleue» (p.54) de l’Amant, «ses yeux gourmands» (p. 57), «Le lac très pur de son regard» (p.59) où miroite, telle une chimère, « l’instant d’éternité » (p.55), pour n’être, au bout du parcours, qu’une « Présence absente » (p. 108). Mourir après la passion portée à son extrême, après l’étrange gloire que donne l’assurance vague et furtive d’être aimée, prise à fond dans les filets d’un désir poussé à son comble, possédée «jusqu’à la nausée/ jusqu’à la tétanie» (p.81), se jetant à corps perdu dans les délices de la chair, offerte sans mesure.

En quatre sections d’égale valeur expressive, Laurence Bougault, qui manie le verbe avec délicatesse, sans enflure, procède à une érotisation de son langage poétique qui, comme dans la séduction, mobilise souvent une subtile dialectique de l’apparent et du caché, de l’explicite et de l’implicite, du dit clair, quelquefois cru qui nomme sans métaphores, sans détours rhétoriques, les choses du sexe, et du non-dit qui flotte sur l’arête vaporeuse des mots voilés mettant à mal la tranquille lisibilité sémantique. Il y a là, dans cette érotisation, comme dans cet entrelacement de mots à la syntaxe minimale et qui privilégie la déconnexion, une saveur singulière, malgré ces éclats d’amour cassé, de rêves brisés, qui viennent se figer dans les âmes moroses et qui, à la clausule de ce livre, nous restent au travers de la gorge, tel un relent de mort : «Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure », écrivait Jean Genet en parlant de Giacometti !

Stylisticienne de haut niveau et bonne connaisseuse de cet artisanat du langage qu’est l’écriture littéraire, Laurence Bougault, afin de faire naître en nous ce même appétit pour le manque qui la porte dans ses poèmes et qui lui donne cette jouissance d’encre découlant de ces feuilles chaudes et vivantes, quelque peu lascives, magnifiquement illustrées par les dessins en noir et blanc, très suggestifs, de Luc Perez, s’applique à créer une vive tension poétique qu’elle parvient à maintenir tout au long du recueil, grâce surtout à sa distribution des vers de manière inégale et sans aucun souci de symétrie ou d’équilibre, au gré de son souffle, tantôt court, tantôt long, saccadé par moments, lorsque les mots se substituent à l’orgasme et, comme une semence, gicle sur le blanc des pages : « Agrippée à ton corps/ Transportée/ Propre et figuré/ Enfin je respire/ Le chant de nos cris/ frémir frémir/ Sans se retirer/ Sans débander (…)/ Tes yeux/ Minuscules/ Perles noires/ Collier/ De mon corps (…)/ En très gros plan/ Tes yeux/ L’applat de tes joues/ Ta bouche (…) /Au ciel de ton regard/ Une dilection » (pp. 71-88).

Dans cette ravissante poésie de Laurence Bougault, fortement travaillée, on souligne aussi une riche palette de figures où trône surtout la répétition sous toutes ses formes. «C’est la plus puissante des figures », disait le maître Georges Molinié. On y souligne aussi d’innombrables phonèmes pointus et sombres ou vibrants, liquides et ouverts agglutinés par grappes autour des mots et qui révèlent, tantôt,  l’enfermement, «l’horreur quotidienne» (p.17) et «l’existence en bas-relief» (p.17) grillagée, tantôt, le désir qui vibre dans le ressac du corps assoiffé, le secoue tel le choc électrique et l’ouvre à une sensualité incommensurable, divine.

Laurence Bougault, Eclats, Paris, éditions du Sandre , publié avec le concours du Centre National du Livre.

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