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Jeunes et agriculture: Le retour à la terre

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes rêvent d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement qui préserve l’air pur, consomme moins d’énergie et offre un produit sain et nutritif.


Pendant longtemps a prévalu l’argument : «La terre est trop basse» pour expliquer le désamour dont souffrait l’agriculture. Dans notre pays et ailleurs d’ailleurs. D’autres domaines d’activité avaient pris la relève et aidaient à la désertification de nos campagnes. Et puis, avec l’intérêt de plus en plus accru porté à la protection de l’environnement, à l’écologie, aux industries vertes, au goût du terroir, aux vertus du healthy et du bio, on a vu se développer un intérêt renouvelé pour l’agriculture et un retour à la terre s’opérer doucement et sûrement.

Bien sûr, ce n’est plus l’agriculture des grands-pères, tributaire de la qualité de la terre, des saisons et des pluies. Aujourd’hui, on entre dans une nouvelle ère où l’on découvre de nouvelles techniques, où l’on n’hésite pas à introduire des espèces inédites, où l’on accède à des marchés jusque-là inexploités.

Les jeunes sont souvent les premiers à se lancer dans cette nouvelle aventure, se faisant les pionniers d’un mouvement de retour aux traditions, dont ils avaient quelquefois hérité et qu’ils avaient pour la plupart oubliées.

Nous en avons rencontré quelques-uns.

Leïla Ben Attia-Gastli : l’audace d’une jeune pionnière

Leïla est tombée dedans quand elle était petite. Issue d’une longue et belle tradition d’exploitants agricoles, elle faisait de leurs terres ses terrains de jeux. Plus tard, celles de ses promenades dominicales, de ses pique-niques entre amis, à la rigueur de ses week-ends champêtres, mais en aucun cas celles d’un projet de vie. Encore que, quand elle y pense, avoir choisi pour ses études supérieures une école d’horticulture à Uzès, témoignait probablement d’un conditionnement inconscient, et d’un destin caché. Ce ne fut pas faute, cependant, d’avoir été voir ailleurs. Un stage dans une compagnie d’assurances, suivi d’une année dans le journalisme, à Jeune Afrique, une voie qui, on le sait, mène à tout, à condition d’en sortir. Puis, sagement, le retour au pays pour fonder une famille. La terre et l’agriculture restaient pour elle et ses enfants un décor familier, des échappées de vacances et l’objet de longues discussions avec les autres membres de la famille qui, eux, s’y consacraient.

Puis, les enfants ont grandi, et Leïla retrouva le désir de travailler, de créer quelque chose, de réaliser un projet. Un héritage bienvenu lui permit de concrétiser ce qu’elle avait gardé en attente de façon latente. Car l’agriculture, aujourd’hui, est exigeante, et coûte cher. On n’y va plus par pis-aller, nez au vent et mains dans les poches.

«Sans cet héritage, je n’aurais jamais pu concrétiser ce projet. Avoir de la terre et de la volonté ne suffit plus. Les nouvelles techniques de l’agriculture exigent beaucoup de travail, beaucoup de savoir-faire et beaucoup de moyens pour démarrer».

Pensant au début à une plantation d’oliviers, elle changea rapidement d’idée au vu de la surproduction d’huile des dernières années. Conseillée habilement par un bureau d’études agricoles,  elle se lança audacieusement dans la culture d’une nouvelle espèce d’amandier. Il s’agissait de plants américains dont la production atteint le triple de celle de l’amandier traditionnel, et qui a pour particularité d’avoir une coque tendre.

«Cette variété s’appelle Shasta. Elle vient d’être introduite en Tunisie, et cela fait trois ans que je travaille pour tout préparer : l’irrigation au goutte-à-goutte, les traitements phyto-sanitaires… Cette année, j’ai pu enfin voir quelques tout petits bourgeons à la saison de la floraison. Bien sûr, ce n’est pas encore gagné, mais je suis très bien encadrée et conseillée».

Elle attend avec impatience sa première production qu’elle espère pouvoir vendre à l’export, sitôt le retour à la normale et la reprise du calendrier des foires et expositions agricoles.

Aujourd’hui, la vie de Leïla a changé. Elle, qui aimait prendre son temps, se lève tôt pour être sur place, suit un calendrier rigoureux d’arrosage et de soins, surveille jalousement ses 8.500 arbres et s’avoue fière de ce qu’elle a réalisé. Sa famille, un peu dubitative au départ, s’avoue aussi fière de cette relève qu’elle a décidé d’assumer. Et en hommage à l’aïeul agriculteur qui s’appelait Lakhdar, elle a appelé sa société Green Farm.

Hanen Ben Yaghlène ou le rêve du retour à l’agriculture des ancêtres

Hanen a toujours vécu dans une grande ferme, entourée d’arbres fruitiers et d’animaux.

Elle n’y voyait pas pour autant son destin. Elle était graphiste, épousa un juriste et pensa à autre chose jusqu’au moment où peu à peu commença à sourdre en eux le désir de vivre autrement, loin de la cacophonie des cités. Leur choix fut vite fait :

«Notre choix s’est porté sur deux éléments essentiels : Mornag et la grenade. Mornag pour la fertilité et la richesse de sa terre, la douceur de son eau, la beauté de ses paysages. Il est bon d’y vivre. La grenade pour sa saveur, ses vertus inégalées, les multiples dérivés que l’on peut en tirer : jus, confiture, poudre d’écorce, de feuilles…».

Aujourd’hui, Hanen et son époux en sont à leur quatrième année de production. Et on dit que leurs grenades sont les plus belles du pays. Bien sûr, les débuts n’ont pas été faciles. Mais nos jeunes agriculteurs ont eu le privilège d’être bien formés et encadrés.

«Les techniques du XXIe siècle ont, certes, bien évolué par rapport aux techniques ancestrales, mais j’avoue être nostalgique de ce temps-là. Aujourd’hui, nous nous retrouvons face à une série de problèmes qui n’étaient pas d’actualité. Le changement climatique a, en effet, des conséquences directes sur l’agriculture : la baisse des moyennes pluviométriques affecte considérablement le niveau de la nappe phréatique, cependant que le degré de salinité de la nappe s’accroît, suite à la montée des eaux de mer. Nous devons également faire face à une multitude de maladies cryptogamiques, ainsi qu’à des invasions de rongeurs. Sur un autre plan, la chute du dinar, depuis la révolution, a engendré une hausse vertigineuse du prix des engrais et du matériel agricole. Et le manque de main-d’œuvre n’arrange pas les choses».

Alors de quoi rêve Hanen ? D’une agriculture plus respectueuse de l’environnement, qui préserve l’air pur, consomme moins d’énergie et offre un produit sain et nutritif.

«La permaculture : voilà un terme très tendance en ce moment. En fait, le succès de cette technique réside dans la simplicité de ses pratiques qui s’inspirent exclusivement des écosystèmes naturels. La biodiversité, l’association d’aromatiques qui éloigneraient les ravageurs et attireraient les insectes pollinisateurs, la minimisation du travail du sol, l’apport d’engrais en matière organique purement naturelle, la plantation d’engrais verts riches en azote, comme les fèves, la pulvérisation en décoctions saines et naturelles, le badigeonnage à la chaux des pieds des arbres, toutes ces techniques offrent une alternative aux pratiques agressives de ces dernières décennies».

Ce dont rêve Hanen et qu’elle propose, c’est ce choix de la permaculture qui nous ramènerait vers l’agriculture de nos ancêtres, n’est pas, pour elle un vœu pieux, mais une réalité accessible, à condition que tout le monde s’y mette.

Youcef Ben Becher : offrir une histoire, une image à une huile d’exception

Lui aussi est né d’une lignée d’agriculteurs. Mais celle-ci ne s’est jamais interrompue. Son père dirige un syndicat agricole et cultive des terres qui sont dans sa famille depuis plus d’un siècle et demi. Tout en admirant ce choix et en reconnaissant cette passion, Youcef, par contre, n’a jamais pensé que là était son destin. Lui avait d’autres préoccupations, d’autres sujets d’intérêt. Comprendre, par exemple, ce qui rendait certaines personnes, certaines choses, plus attractives, plus séduisantes que d’autres. La parole, peut-être, l’éloquence, le pouvoir d’élocution ? Cela le mena à entamer des études de droit qui dévièrent très vite vers une formation en communication. Youcef avait trouvé là sa voie. Et très vite se lança dans le monde ardu et concurrentiel de la communication. Une expérience au Canada, puis un retour au pays pour se plonger, par son biais personnel, dans la tradition familiale. Il n’allait pas faire de l’agriculture, mais la faire connaître et mettre en valeur ses produits.

Aujourd’hui, Youcef a pris en charge la communication autour de l’huile de leur domaine : Henchir Rebiaa. Une huile qui a remporté la médaille d’argent au concours international d’huiles d’olive de New York, et qui a été sélectionnée, l’an dernier, parmi les cinq meilleurs crus du monde.

A lui de donner une image, une histoire à cette huile. Et bien sûr, de convertir cette histoire, l’émotion et l’adhésion qu’elle peut provoquer, en parts de marché. Henchir Rebiaa, au pied du jebel du même nom, l’histoire familiale de cette huile du terroir, ses consécrations au niveau international, sa conquête du marché américain, si lointain et si inaccessible, tout cela offre à Youcef les éléments d’une belle épopée. Son rôle, le challenge qu’il s’est donné se décline aujourd’hui en un langage de communicateur : plateforme e-commerce, marketing online, page Instagram…

Mais saurait-il aussi bien le faire s’il n’était fils et petit- fils d’agriculteurs ?

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