…et qui n’est pas près de ressusciter, ni sortir du marasme sans de grandes décisions politiques et une stratégie globale en faveur du secteur artisanal et touristique, de l’aveu des artisans résignés et pleins d’amertume.
L’activité des artisans et des petits métiers annexés est frappée de plein fouet par la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 qui sévit en Tunisie depuis mars 2020. Déjà qu’en 2019, le secteur avait montré des signes de grande fragilité, le branle-bas continue et le péril menace de plus en plus tout un secteur. Lundi 22 mars, à l’entrée du souk de La Médina, Porte de France, aux alentours de midi, l’ambiance citadine est pleine d’effervescence et l’animation toujours gaie et joyeuse autour de la fontaine, sauf pour les commerçants et les artisans de la place qui font la moue et ont grise mine. Au souk «Chaouechine », les artisans de sacs à main en cuir, mergoums, tapis en peaux de mouton, d’ustensiles de cuisine et d’objets de décor en céramique, de bibelots ou encore de chéchias et autres vêtements traditionnels comme la djelleba ne font plus recette.
Ils se plaignent de l’effritement du pouvoir d’achat du tunisien qui s’amenuise en peau de chagrin au fil des ans. L’activité des artisans est étroitement liée à la bonne marche du tourisme en Tunisie. La fermeture des frontières avec l’Algérie et la perturbation de l’activité aéronautique ont eu une incidence néfaste sur le secteur. La consommation locale ne peut pas absorber à elle seule tous les produits artisanaux et traditionnels tunisiens chers à nos compatriotes. Les artisans le savent et l’avouent.
Manque d’appui et désintérêt de l’Etat
Le travail sur place d’un artisan dénommé Mohamed, 48 ans, de caractère débrouillard avec vingt-cinq ans de carrière dans le domaine montre à lui seul leur capacité de résilience face, au manque d’appui de l’Etat. Un compère plus jeune affirme l’air résigné : «Cela ne sert plus à rien de recourir au gouvernement, parce qu’il semble avoir d’autres préoccupations. On s’est plaint mille et une fois de la chute libre de notre activité sans aucun signe significatif».
Plusieurs facteurs ont conduit à la mort lente du secteur depuis 2010 jusqu’à nos jours sans interruption. Les artisans estiment que leur activité végète depuis cette année charnière où tout a basculé pour de nombreuses raisons inhérentes ou pas à leur activité artisanale, conjuguées au ralentissement de l’économie nationale avec les soubresauts nés de la révolution du 14 Janvier-2011.
La promesse du gouvernement, qui a trait au versement d’une pension de 200 dinars pour subvenir aux frais et charges fixes de magasin, n’a pas encore vu le jour. Seule la pension sociale du même montant pour pallier les difficultés économiques nées du confinement général imposé en mars 2020 leur a été servie. Et encore seulement pour les personnes inscrites sur les registres des caisses sociales, croit-on savoir… Différents sons de cloche émanent entre ceux qui affirment que la pension d’aide est généralement servie avec connivence et ceux qui affirment qu’elle est servie unilatéralement sans distinction, ni discrimination aucune.
Les témoignages des artisans portent le sceau du dépit, de la résignation et d’un sentiment de désintérêt des plus hautes autorités de l’Etat à leurs conditions de travail et d’exercice de leur activité. Désarçonnés, ils ne s’avouent pas vaincus et continuent étonnamment d’effectuer leur métier avec la même ferveur et la même passion. Une passion intacte en attendant des jours meilleurs…
Témoignages d’artisans
«On garde l’espoir de jours meilleurs»
Les métiers en voie de disparition dans l’artisanat ne cessent d’augmenter au fil des ans, du graveur au confectionneur de chéchias (couvre-chefs en laine), si bien que l’héritage dans la transmission du savoir de père en fils ne soit plus de mise. Un sentiment de résignation s’empare des artisans qui ne peuvent diversifier leurs produits et n’arrivent pas à s’adapter aux nouvelles exigences du marché du travail.
Lotfi Gharbi, 56 ans, graveur : « J’ai quarante-deux ans d’activité dans la gravure, car j’ai débuté depuis l’âge de seize ans. J’ai hérité ce métier de mon père pour lequel je me suis passionné depuis mon enfance. Il poinçonnait en entaillant une surface de métal devant la maison et je restais à côté de lui pour l’observer jusqu’à acquérir le métier. Aujourd’hui, plus rien n’est comme avant, même si je suis toujours passionné par ce que je fais. Parmi les problèmes qui affectent mon travail, c’est l’absence de ventes pendant les périodes de confinement à cause de la Covid-19, qui a rendu désertes, les allées du souk, et l’absence de touristes ».
Mohamed Hédi, 48 ans : « La Tunisie traverse une crise aiguë. Ça fait vingt-cinq ans que je travaille dans le métier et je n’ai pas entrevu une pareille situation. Depuis 2010, il n’y a aucune amélioration dans le secteur, si bien qu’il régresse. Il n’y a que des catastrophes. L’ouvrier est faiblement payé au rythme d’un dinar l’heure, ce qui est significatif de l’érosion du pouvoir d’achat. De telle sorte que le Tunisien n’a clairement plus le moyen de s’offrir cette myriade de produits». En marge du témoignage, un résident américain, accompagné de son épouse, est venu s’approvisionner dans son échoppe, au grand bonheur de Mohamed.
Ali, artisan, quarante ans : « L’ambiance commerciale n’est pas au beau fixe car les gens qui passent par le souk se rendent essentiellement dans les cafés environnants. Les étrangers sont aux abonnés absents. Pas l’ombre d’Algériens, ni de Libyens qui transitent beaucoup généralement dans ces endroits. Le maigre pouvoir d‘achat tunisien ne lui permet plus d’acheter convenablement et à sa guise. Il consacre son budget à l’alimentation en premier lieu ce qui est légitime. On espère juste que le climat politique et social s’apaise. Il n’y a pas de grandes décisions. On garde l’espoir de jours meilleurs. » Il termine sur un ton poétique en affirmant que « le jour suivra la nuit dans laquelle nous sommes longtemps plongés ».
Moez, artisan, ouvrier de quarante ans : «Je compte me marier prochainement, mais je n’ai pas les moyens de mes obligations. Je n’arrive plus à survivre de mon métier. Je préfèrerais travailler en tant que chauffeur dans une entreprise plutôt qu’au métier actuel. Je n’ai même pas perçu la pension sociale de l’Etat de l’ordre de deux cents dinars contrairement à mes camarades». Pauvre de son état et de sa condition, il survit en espérant des jours meilleurs.