«De notre temps, nous jouions sur terre battue, et les blessures étaient nettement plus fréquentes et plus graves. Nous pratiquions le foot pour le plaisir et pour donner du plaisir au public. Le facteur plaisir était le maître-mot, et ce, dans le respect de l’adversaire et de l’arbitre».
C’est l’ex-meneur de jeu de l’USM, Nouri Besbès, qui s’exprime ainsi. Il a composé avec son alter ego Nouri Hlila un tandem de feu, offrant des assists à gogo à son compère du secteur offensif de l’Union Sportive Monastirienne.
Voyage dans les temps héroïques du foot amateur avec Besbès.
Nouri Besbès, vous rappelez-vous encore de votre dernière rencontre ?
Oui, en 1975-76 dans un match de deuxième division contre la Stia Sousse au stade Maârouf. Nous avons gagné (1-0) grâce à mon but. J’étais pivot, mais je n’hésitais pas à rôder devant la surface adverse. Ce jour-là, j’ai hérité d’un deuxième ballon, j’ai frappé de toutes mes forces, le ballon a fusé sous la transversale. Notre entraîneur était Kamel Benzarti. J’étais tout à la fois, joueur, capitaine et entraîneur adjoint. J’avais étudié à l’INS de Ksar Saïd, et K.Benzarti était mon prof. Avant de terminer mes études à l’INS de Sfax. Une fois les études de sport terminées, j’ai été nommé à Gafsa, mais notre président Allala Laâouiti, qui était secrétaire particulier du président Bourguiba, m’a vite muté à Monastir. C’est ainsi que j’ai commencé comme Prof d’éducation physique et sportive le 15 septembre 1970 au Lycée technique de Monastir. En 1974, nous avons remporté le championnat scolaire, en finale contre le Lycée technique de Sousse, entraîné par Mohsen Hbacha et renforcé par Samir Bakaou. Les finales scolaires et universitaires, en plus de leur aspect festif, étaient techniquement parfois meilleures que le championnat civil. J’ai formé par la suite Salah Rokbani, Ridha El May, Khaled Zrafi, Othmane Kallala, Sadok Tabka, Kamel Toumi, Hammadi Trimech…
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?
Mon père Ahmed, inspecteur des contributions directes et indirectes, a divorcé de ma mère Néjia, enseignante de technique (pour jeunes filles) alors que j’étais tout jeune. Mes parents ne s’intéressaient point au foot. En 1966, j’ai eu une fracture de la clavicule dans un duel avec Bouraoui, du SRS. J’ai joué ce jour-là arrière gauche. J’ai perdu toute une année d’études et fini par être renvoyé du lycée. J’ai pu être intégré à l’Ecole normale supérieure. J’étais interne, mais je sortais deux fois par semaine faire mon footing. Le dimanche, j’étais régulièrement titulaire quoique je ne m’entraînais pas avec l’effectif.
En quoi le foot a-t-il
changé ?
De notre temps, nous jouions sur terre battue, et les blessures étaient beaucoup plus fréquentes et plus graves. Nous pratiquions le foot pour le plaisir et pour donner du plaisir au public dans le respect de l’adversaire et de l’arbitre. Le maître-mot était par conséquent le plaisir. Ali Rtima, Mrad Hamza, Abdelwahab Trabelsi…, j’entretiens toujours des rapports d’amitié très forts avec eux.
Vous étiez connu pour être un milieu défensif intraitable. Quelles sont les qualités requises à un tel poste ?
La vigilance, le placement, le sens de l’anticipation, le jeu simple et sobre. Et puis, il ne faut jamais garder le ballon plus qu’il n’est nécessaire.
Avec qui vous vous entendiez le plus ?
Avec Nouri Hlila, un grand technicien, rapide et bon tireur. Je le sers instinctivement, surtout sur la fin de ma carrière lorsque j’étais devenu organisateur. Je le gavais d’assists. Physiquement, je n’ai pas été gâté par la nature (1,70m), mais je savais compenser cela par beaucoup d’énergie, de mobilité et de technique. J’ai terminé une fois le concours du Meilleur jeune footballeur tunisien à la deuxième place, un demi-point derrière le titulaire.
Avec qui avez-vous joué ?
Au milieu de terrain, il y avait à mes côtés feu Moncef Marzouk ou Said Trabelsi à la récupération. En attaque, il y avait Hamadi Mkada et Nouri Hlila. Avec Ali Sekma et Abdelkader Bouzgarrou, je m’entendais aussi parfaitement.
Quels furent vos entraîneurs à l’USM ?
D’abord, chez les jeunes, Ahmed Chekir et Hedi Gdouda. Et c’est le Hongrois Ferenc Locsey qui m’a promu parmi la catégorie seniors. J’ai commencé dans un match amical organisé dans le cadre des fêtes de l’anniversaire du président Bourguiba. Encore lycéen, je devais au départ me contenter d’un statut de simple spectateur. Un forfait de dernière minute poussa Locsey à me demander de m’habiller et de me préparer à jouer. Mon premier match officiel, je l’ai livré au stade Zouiten le 20 octobre 1966 face au Club Sportif des Cheminots : (2-2) après que l’USM eut mené à la mi-temps (2-0). J’étais encore cadet. Locsey me lança dans le grand bain, au même titre que Moncef Skhiri et Ali Sekma.
A votre avis, quel est le meilleur joueur de l’histoire de l’USM ?
L’attaquant Hedi Merchaoui et le latéral droit Mahfoudh Benzarti dit «Al Moujahid».
Et de l’histoire du football tunisien ?
Tarek, Agrebi, Temime, Diwa, Chetali…
Comment s’est faite votre reconversion d’entraîneur?
Déjà, le jour de mon dernier match, des dirigeants du FC Djerissa se trouvaient au stade, car ils voulaient m’engager comme entraîneur. J’ai obtenu mon 3e degré au stage de Vichy où nous avons été sept techniciens tunisiens : Ahmed Mghirbi, Ahmed Sghaier, Raouf Ben Amor, Mohsen Habacha, Hedi Kouni, Bechir Hajri et moi-même. Je ne gagnais pas beaucoup en tant que Prof de sport pour les classes du premier cycle, à peine 54 dinars. Je ne recevais jamais de mon club les fameux «dessous de table» communément appelés «manque à gagner». Tout juste deux dinars comme frais de déplacement pour rejoindre la ville de Sfax où j’étudiais. Après un match joué par exemple à Bizerte, j’arrivais au foyer à deux heures du matin. Il me fallait de nuit faire sept kilomètres à pied pour le rejoindre.
Après le FC Djerissa, quels autres clubs avez-vous entraînés ?
J’ai coaché Teboursouk, Zeramdine, Jammel avec lequel nous avons raté de justesse l’accession en D2, Tataouine, Menzel Kamel avec lequel nous avons battu le SRS en huitièmes de finale de la coupe (3-2). En 1985, avec Mohamed Jeriri comme assistant, j’ai entraîné trois ans Nadi Al Jioua d’Al Qassim, en Arabie Saoudite. En 1986-1987, ce club a remporté le championnat de la région d’Al Qassim avant d’échouer aux barrages d’accession. De retour en Tunisie, on m’a confié les destinées de l’équipe seniors de l’US Monastir.
Deux semaines avant le début du championnat, on fait recours à l’Allemand Wolfgang Gerhard. Au fond, le vice-président Mohamed El May préparait le terrain pour son frère Ridha qui sera nommé assistant de l’Allemand. Cela a été un très mauvais souvenir pour moi. Puis, direction Teboulba, avant de revenir en Arabie Saoudite à la tête de Kemit de Mirat, et Nadi Ettakaddom d’Al Modhneb. Ensuite, les juniors de l’USM où j’ai formé Frej Bnouni, Salah Mzali, Zrafi, Yassine Dabbabi, Rochdy Laâmari…
Parlez-nous de votre famille…
En 1977, j’ai épousé Habiba, enseignante puis surveillante. Nous avons quatre enfants : Houssam, 43 ans, expert international en comptabilité, Nadia, 41 ans, docteur en techno-biologie, Hatem, 40 ans, dans le commerce international, et Hakim, 33 ans, licencié en Education physique et sportive et détenteur d’un diplôme international comme préparateur physique et d’une licence CAF «B». Il a déjà exercé à l’USMo et au CSH, et en Arabie Saoudite à la tête de Nadi Madhar.
Votre meilleur souvenir ?
Mon expérience d’entraîneur à la tête du club saoudien Al Jioua.
Et vos rares apparitions en sélection «A» ?
Je crois que je n’ai pas vraiment bénéficié d’une chance réelle que ce soit avec Rado ou avec Ameur Hizem. J’ai dû me contenter de quelques rencontres amicales.
Votre devise dans la vie ?
La discipline et le respect d’autrui.
Qu’a représenté l’USM pour vous ?
Notre club méritait tous les sacrifices imaginables de notre part. Une fois, j’ai effectué le déplacement à Bizerte alors que j’avais 40° de fièvre, ce qui n’empêcha pas notre entraîneur Ferenc Locsey de m’aligner. Une autre fois, Ameur Hizem m’a fait jouer alors que je ne m’étais pas entraîné toute la semaine durant.
Comment passez-vous votre temps libre ?
J’aime voyager. Avec l’association des Anciens joueurs de l’USM, nous entreprenons beaucoup d’initiatives et d’activités. C’est ainsi que nous avons joué à Setif et Attaref, à une soixantaine de kilomètres des frontières tuniso-algériennes. Jadis, je lisais beaucoup les bouquins en arabe et en français. Maintenant, c’est l’Internet qui supplante cette passion. J’aime regarder à la télé le Real, Manchester United et la Juve.
Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
L’avenir s’annonce difficile. La roue du développement ne tourne plus rond en raison des grèves, sit-in… Dans un tel contexte instable, l’investisseur hésite beaucoup avant de venir dans notre pays. Il faut espérer que les choses vont un jour s’améliorer.