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FMI: Un prêt contre des réformes impopulaires

Depuis quelques semaines, une importante délégation composée de négociateurs tunisiens sont à Washington aux Etats-Unis, pour tenter de convaincre le Fond monétaire international de concéder à la Tunisie un nouveau prêt de 4 milliards de dollars. Un prêt désormais vital pour un pays affublé d’une dette qui gangrène la quasi-totalité d’un Produit intérieur brut bancal.

Dans leurs valises, les hauts cadres tunisiens ont emporté une note de 26 pages, qui constitue une première base des négociations techniques avec le FMI.

Des négociations d’ailleurs entamées mardi.

Le gouvernement tunisien explique que l’objectif de ce document est d’exposer «les politiques économiques et les réformes structurelles que les autorités comptent mettre en œuvre au cours de la période à venir afin de restaurer les équilibres macroéconomiques et renouer avec une croissance saine, durable et inclusive». S’il reconnaît les mérites du gouvernement de Youssef Chahed qui a assuré «une maîtrise relative des équilibres financiers, avec notamment une palpable baisse des déficits budgétaire et courant, il estime que les conséquences du confinement total décrété entre le 20 mars et le 4 mai 2020, ont été plus importantes qu’initialement prévues, «avec un coût économique et social très élevé».

Selon les estimations du gouvernement tunisien, la crise sanitaire aurait coûté jusqu’à présent 5.300 millions de dinars, soit 4,5% du PIB du pays. Conformément aux chiffres présentés par l’Institut national de la statistique, la Tunisie est en récession et le taux de chômage a fortement augmenté pour atteindre 17,4% contre 14,9% en 2019. Un chômage qui frappe d’ailleurs particulièrement les jeunes.

En dépit de ces chiffres alarmants et de cette conjoncture particulière, les négociateurs tunisiens défendent, devant le FMI, l’idée d’une économie tunisienne résiliente, capable de rebondir, si elle est aidée.

«La Tunisie, par son imbrication industrielle dans plusieurs chaînes de valeurs européennes, doit pouvoir attirer de nouveaux investisseurs étrangers et être rapidement de nouveau excédentaire dans ses échanges avec l’Union européenne», peut-on lire dans le document.

Pour parvenir à remettre sur pied une économie en berne, le gouvernement tunisien sollicite le soutien du FMI, pour la mise en œuvre d’un programme qui “devra trouver un équilibre entre les mesures de soutien économique et social d’une part, et les mesures de relance de la croissance et de maîtrise des équilibres financiers d’autre part”.

En vue de donner une bouffée d’oxygène au budget de l’Etat, le gouvernement prévoit, notamment, la création d’une agence chargée de la gestion de la dette publique, avec, pour point de mire, une inflexion de la trajectoire de la dette dès 2022. L’idée est de faire en sorte de réduire peu à peu l’écart entre le taux de croissance et les services des dettes contractées.

Des propositions de réformes

qui ne font pas l’unanimité

Le gouvernement cherche également à prouver au FMI qu’un effort est fait pour une optimisation de la collecte des recettes fiscales, notamment à travers une homogénéisation des taux d’imposition, un élargissement de l’assiette fiscale et, pourquoi pas, une amnistie sur les pénalités fiscales, comme cela a été fait auparavant.

Le gouvernement propose également la généralisation de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à un maximum de produits, ainsi que l’instauration de deux taux uniquement, à savoir 17 et 7%. Pour faire redécoller la croissance et l’emploi, le gouvernement songe aussi à réduire le poids de l’impôt pour les entreprises, et ce, en supprimant l’Impôt sur les sociétés de 35% et d’appliquer les taux de 10 et 15%. Une mesure qui serait accompagnée d’une traque des “forfaitaires fictifs”, qui seront redirigés vers le régime réel et une traque, tout aussi sévère, de ceux qui rechignent à payer leurs impôts.

“Ces mesures obéissent à un principe d’équité fiscale et visent à augmenter le consentement à l’impôt, ce qui permettra de réduire la part de l’informel et la fraude et d’augmenter les gains au niveau des recettes de l’Etat”, peut-on lire dans le document.

Mais la réforme qui fait le plus bondir les syndicats et la classe moyenne, est très certainement la proposition d’une levée progressive des subventions dans l’énergie et les produits de base. Ainsi le gouvernement souhaiterait un meilleur ciblage des bénéficiaires, en passant de la subvention des prix à la compensation des revenus «en procédant au versement direct».

«L’objectif cible est de parvenir à zéro subvention et à un passage à la vérité des prix d’ici à 2024 et le remplacement de l’ancien système de subvention des prix par un cash transfert pour les ménages», indique le document.

Pour l’économiste Hakim Ben Hammouda, il s’agit là d’une fausse bonne idée. En effet, la levée des subventions et le ciblage des catégories les plus vulnérables, frapperaient de plein fouet la classe moyenne qui verrait ainsi se réduire considérablement son pouvoir d’achat. Selon lui, la subvention est devenue une véritable composante du pouvoir d’achat. Autre plaie du budget de l’Etat, le poids de la masse salariale. Le gouvernement tunisien ambitionne de la ramener de 17,4% actuellement à 15% du PIB d’ici à 2022.

Pour y parvenir, outre le gel de la masse salariale, le gouvernement propose un plan de départ à la retraire volontaire, offre la posibilité aux fonctionnaires de rejoindre le secteur privé tout en  conservant 25% de leur salaire.

Selon le député et ex-ministre du Commerce et de l’Industrie, Zied Laâdhari, il s’agit d’une hérésie. Pour lui, la logique voudrait que le salaire ou une partie du salaire soit versée pour un travail effectué.

L’Ugtt et les sorties malheureuses

du ministre des Finances

Au moment d’entamer des réformes, il est important d’avoir des techniciens, de hauts cadres compétents, mais aussi et surtout de bons communicateurs. Or, le ministre des Finances, M. Ali Koôli, principal concerné, n’est pas outillé au niveau de la communication pour affronter l’opinion publique.

Lors de ses dernières sorties médiatiques, il s’est distingué par son inaptitude à communiquer. Sa sortie médiatique sur la chaîne Attassia a même créé une nouvelle tension inutile entre le gouvernement et la centrale syndicale par ses affirmations selon lesquelles l’Ugtt serait en accord total avec le gouvernement sur les réformes à mener. Le secrétaire général de l’Ugtt était alors contraint d’intervenir en direct à la télévision pour  le contredire. Une situation inédite qui jette le discrédit sur le gouvernement tunisien, et affaiblit la position de la Tunisie à l’égard des partenaires internationaux qui exigent un consensus avec les partenaires sociaux avant la mise en place de toute réforme.

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