Pour Hichem Snoussi, il s’agit d’un plan visant à mettre à genoux tout le secteur médiatique. « Nous vivons une reproduction des ghazwa (raids) sur les médias tunisiens et ciblant tout le secteur médiatique en Tunisie, je vous rappelle que le siège de la Haica a été également victime de ce genre d’attaque », explique-t-il à La Presse.
Depuis la révolution, le secteur médiatique a toujours été au cœur des tiraillements. De la campane de «purification» de la télévision nationale, aux atteintes et agressions contre les journalistes, passant par le lynchage et la stigmatisation de certains médias, dix ans après les événements de 2011, la liberté de la presse est plus que jamais menacée.
Jeudi, aux Berges du Lac, de nombreux agents municipaux relevant de la municipalité du Kram, où le très controversé Fathi Lâayouni règne tel un empereur, se sont rassemblés devant le siège de la radio Shems FM. Ils ont en effet encerclé la radio et agressé son personnel verbalement et physiquement, accusant l’animateur de la station Hamza Balloumi d’avoir porté atteinte aux agents municipaux.
Les scènes, à dénoncer, rappellent sans aucun doute les agissements des membres de la Ligue de protection de la révolution, juste après 2011. Mais c’est l’animateur Hamza Belloumi qui était particulièrement visé par ce mouvement. Les protestataires municipaux sont venus exprimer leur colère et exiger des excuses après les critiques de l’animateur qui les a qualifiés de « bandits » suite à un incident. L’animateur vedette de la station de radio avait, en effet, dénoncé, lors de son émission «El Matinale», la décision prise par un groupe « d’agents municipaux en civil » de fermer le commerce d’un citoyen qui avait osé critiquer la municipalité du Kram, photos et vidéos à l’appui.
Des accrochages avec les journalistes et les employés de la radio ont d’ailleurs eu lieu à l’entrée des locaux de la chaîne. Face à une telle situation de tension, le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a ordonné d’assurer la sécurité du siège de la radio, alors que des députés et personnalités politiques se sont déplacés sur place pour atténuer la tension. La députée du Courant démocratique Samia Abbou était en effet présente sur les lieux. Essayant de raisonner les sit-inneurs, elle leur a expliqué que Hamza Balloumi a fait ces déclarations car les agents ne portaient pas leurs uniformes au moment de l’exécution de la décision de la mairie.
Si la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) a émis, hier vendredi, un communiqué pour condamner ces actes ciblant la liberté de la presse, Hichem Snoussi, membre de cette Instance de régulation de l’audiovisuel, pense qu’il s’agit d’un plan visant à mettre à genou tout le secteur médiatique. « Nous vivons une reproduction des ghazwa (raids) sur les médias tunisiens et ciblant tout le secteur médiatique en Tunisie, je vous rappelle que le siège de la Haica a été également victime de ce genre d’attaques », a-t-il expliqué à La Presse. Lui qui craint pour la liberté d’expression et de presse en Tunisie, rappelle que ces personnes qui ont conduit cette attaque contre Shems Fm sont les mêmes qui menaient les mouvements de la Ligue de protection de la révolution.
Vives condamnations
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) et la Fédération générale de l’information ont décidé, jeudi, de poursuivre en justice le maire du Kram, Fethi Laâyouni, sur fond de cette affaire. Dans une déclaration commune, les deux syndicats ont imputé la responsabilité de ces agressions au gouvernement dès lors que « des moyens de l’Etat ont été utilisés au vu et au su des ministères de l’Intérieur et de la Justice ». Ils ont appelé le gouvernement et le ministère de l’Intérieur à assurer la protection du siège de Shems FM et l’équipe journalistique de «La Matinale».
Ils ont, aussi, tenu le maire de la commune du Kram et ses « milices » pour responsables de toute agression qui pourrait cibler le personnel de la radio qui fait l’objet de menaces.
Les deux structures syndicales ont, à cet égard, exprimé leur totale solidarité avec le personnel de Shems FM, se disant disposées à se mobiliser pour défendre la liberté d’expression et l’indépendance du travail journalistique en réponse à toute tentative d’intimidation ou d’assujettissement.
Le Snjt et la Fédération générale de l’information ont réclamé l’adhésion ferme des forces nationales et démocratiques au combat contre les tentatives de retour des « milices de destruction » qui menacent la stabilité du pays et les acquis de l’Etat de droit et des institutions. « Cette agression n’a pas visé Shems FM, uniquement, mais aussi l’Etat civil et l’Etat de droit ainsi que la liberté d’expression à travers des actes de banditisme », ont-ils déploré.
Plusieurs partis ont pour leur part condamné ces agissements conduits par ces agents municipaux. Le Courant populaire, le mouvement Machrou Tounès et Afek Tounès ont tenu le Chef du gouvernement Hichem Mechichi, en tant que ministre de l’Intérieur par intérim, pour responsable de la détérioration des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Tunisie.
La Liberté menacée
La Tunisie est passée de la 72e à la 73e place dans le classement mondial de la liberté de la presse au titre de 2021, établi par Reporters sans frontières (RSF). Le classement concerne 180 pays. Il s’agit du premier recul de la Tunisie depuis la révolution de 2011. D’après le rapport, le climat de travail des journalistes et des médias s’est nettement détérioré en Tunisie, particulièrement pendant la crise sanitaire, provoquée par le coronavirus.
« Les parlementaires et les politiciens d’extrême droite n’hésitent plus à s’en prendre ouvertement aux acteurs des médias. Les députés d’extrême droite ont un discours de haine envers l’Instance de régulation de l’audiovisuel (Haica) et les violences contre les journalistes perdurent », avait averti RSF dans le même rapport.