Par Docteur Fathi EL YOUNSI*
La santé en Tunisie continue à errer dans les méandres d’une corruption institutionnalisée, sous les bons auspices des autorités et notamment d’un ex-ministre en permanence à moitié endormi, s’assoupissant régulièrement lors de la courte entrevue accordée comme pour vous signifier son indifférence absolue à votre monologue malgré toute la gravité des faits rapportés, faits mettant en relief la piètre gouvernance qui règne au sein des institutions publiques de santé, minées par des réseaux très élaborés de malversation impliquant des hauts cadres médicaux, paramédicaux et administratifs.
Du chef de service imposteur et ingrat, délibérément promu à l’âge de 70 ans et vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours au poste de directeur d’une importante institution publique, comme pour le remercier de sa gestion calamiteuse d’un prestigieux service hospitalier réduit en quelques années à l’état de ruine (copinage oblige ! «les copains d’abord», dirait Georges Brassens, l’intérêt national attendra !), en passant par une activité privée complémentaire (APC) symbole de corruption sous toutes ses formes et de dilapidation des deniers publics (n’est-ce pas Monsieur l’ancien chef de cabinet du ministre de la Santé en 2017 et actuel chef du gouvernement !), volontairement occultée, voire encouragée par toutes les parties concernées pourtant parfaitement informées sur l’ampleur du désastre, jusqu’à la complicité de hauts cadres administratifs aussi bien locaux, cumulant sans aucune vergogne plusieurs postes aussi importants les uns que les autres comme pour décupler leur incompétence déjà prouvée et faire régner le chaos au sein de ces institutions, que gouvernementaux, guidés par des décisions partisanes d’une ineptie inégalable, sacrifiant impitoyablement l’intérêt national sur l’autel d’un aveugle égocentrisme et confiant l’avenir de la santé du citoyen tunisien entre les mains de ploucs dont la carrière n’a rien de glorieux et dont l’incompétence est criante ; la nomination immonde, même en temps qu’intérimaire, à la tête d’un des plus prestigieux service de médecine que le pays ait connu d’un accro invétéré à l’APC, passant le reste de son temps dans des réunions d’un conseil municipal dont il est membre depuis plusieurs années, le décès tragique d’un jeune résident en chirurgie au fond d’une cage d’ascenseur, le bal des chiens errants qui ont élu domicile depuis quelques années dans un grand nombre d’établissements publics de santé et non des moindres (EPS Charles-Nicolle en tête) avec tout le danger et le climat d’insécurité qu’ils font régner en leur sein, la circulation automobile incessante et incontrôlée à l’intérieur de ces structures étrangement apparentée à celle observée en plein centre-ville aux heures de pointe avec toute la pollution sonore et environnementale engendrée, les ordures amassées çà et là avec tout le cortège de moustiques, d’odeurs nauséabondes et de dangers de contamination (Covid-19 compris) qui les accompagnent, notamment durant les jours de canicule, enfin les repas d’une qualité exécrable, souvent refusés par les malades qui préfèrent rester sur leur faim, acheminés aux différents services dans des récipients le plus souvent non couverts, les mêmes depuis plusieurs années, sont des exemples non exhaustifs de l’extrême médiocrité de la gouvernance de ces institutions (par la nomination scandaleuse de directeurs et directrices… incompétents et corrompus), des conditions de séjour et de la qualité des prestations au sein de ces structures publiques de santé, qui portent profondément atteinte à la dignité même du citoyen tunisien.
Le déficit budgétaire record enregistré au niveau de ces structures, présenté comme étant une fatalité, est en fait l’œuvre acharnée de personnes profondément nuisibles qui détiennent le pouvoir de décision et qui se sont fixé pour principal objectif de détruire ces établissements publics de santé en les transformant en véritables comptoirs de négoce et de profit où la science a tiré sa révérence et la médecine a perdu ses lettres de noblesse pour ouvrir la voie à une médiocrité désolante, au péculat et à la cupidité de certains malfrats organisés en véritables réseaux pour imposer leur hégémonie malgré leur profonde incompétence et faire valoir leur impact extrêmement dévastateur sur le secteur. Où allons-nous former nos futurs médecins et comment maintenir le haut niveau de la formation médicale qui a toujours été une des plus grandes fiertés de ce pays ? Dans ces conditions déplorables, comment retenir nos jeunes médecins et notre élite médicale qui n’hésitent pas à quitter leur terre natale pour aller exercer sous d’autres cieux la vraie médecine, celle dont ils ont toujours rêvé ?
Tant que la situation politique pourrie perdurera, tant que des larbins sans CV notoire et excellant dans le verbiage stérile sont hissés au rang de personnalités nationales, d’autres nominations aussi destructrices les unes que les autres verront certainement le jour pour plonger davantage le pays dans les eaux sombres de la décadence pansectorielle.
En définitive, soyez incompétent, malhonnête, effectuant une activité privée complémentaire sans aucune limite, participant passivement à tous les congrès nationaux et internationaux pour nouer des relations utiles et profitez au maximum de la manne providentielle des laboratoires qui bénéficieront en contrepartie d’une prescription préférentielle et parfois exclusive de leurs produits, n’assurez aucune activité d’encadrement et abandonnez vos consultations et vos malades hospitalisés à de jeunes médecins en formation livrés à eux-mêmes, rangez-vous toujours du côté des mouchards, des corrompus, de ceux qui arrivent toujours en retard et qui s’absentent à leur guise pourvu qu’ils soient influents sur la scène politique, quittez délibérément l’institution et le pays pour des raisons personnelles purement matérielles et y revenir comme un messie tant attendu qu’on assoit sur le trône, et vous aurez toutes les chances du monde de bénéficier du soutien inconditionnel de toutes les parties pour accéder un jour à des hauts postes, chef de service notamment, et recevoir tous les honneurs au nom d’une «démocratie naissante» dit-on dans ce pays mais qui correspond en fait à une voyoucratie à tous les points de vue.
Et on ose encore nous parler de transparence, de grilles de sélection sorties de nulle part, de critères de choix objectifs… et de je ne sais quel autre simulacre pour noyer le poisson et trouver un quelconque justificatif à l’absurdité de ces décisions.
De grâce messieurs les pseudo-décideurs et pseudo-responsables dans les hautes sphères de l’autorité, arrêtez cette horrible mascarade ! Apprenez à respecter vos maîtres et à ne prendre exclusivement en considération que l’avenir de votre pays et son rayonnement parmi les nations !
Tout ceci peut paraître choquant mais c’est malheureusement la douloureuse et amère réalité actuelle de nos institutions publiques de santé.
S’inscrivant directement dans la ligne du fameux adage «le malheur des uns fait le bonheur des autres», la crise du Covid-19 n’aura finalement servi que pour renforcer un populisme effréné et un opportunisme sans limites, utilisant encore une fois ce qui reste des institutions publiques de santé comme un rempart de circonstance et un tremplin pour satisfaire des ambitions politiques peu valorisantes. La recirculation galopante du virus dans le pays à l’origine d’un automne, d’un hiver et d’un printemps funestes est la preuve irréfutable et sans surprise de la gestion catastrophique de la crise sanitaire actuelle.
Des contaminations à la pelle au sein du personnel médical et paramédical, la présence de patients Covid + dans la quasi-totalité des services sans aucun circuit Covid bien individualisé, contribuant dans une large mesure à disséminer la maladie, une prise en charge catastrophique des patients Covid + aux urgences et dans les différents services hospitaliers à l’origine d’un grand nombre de décès dont la survenue est regrettablement banalisée, des lits de réanimation fonctionnels nettement en deçà des chiffres officiels annoncés, des dépouilles abandonnées durant des heures avant de rejoindre la morgue…, telle est la situation sanitaire déplorable, voire apocalyptique, observée sur l’ensemble du territoire national, mettant à nu toutes les défaillances et toute la misère qui règne au sein des structures publiques de santé depuis des années.
Ainsi va la santé en Tunisie, plus de 10 ans après une ravageuse révolution qui a tout détruit sur son passage et vidé le pays de toute son essence, recyclant la médiocrité et le malheur à travers tous les gouvernements qui se sont succédé.
Y a-t-il encore une place à l’optimisme dans ce pays? Avis aux amateurs… de contes de fées.
F.E.Y.
* Professeur hospitalo-universitaire