Comment le Président de la République compte-t-il concrétiser sa conception populaire et sa vision des choses? Saura-t-il forcer le cours des événements pour entamer la mise en place d’un cadre juridique clair et pour restituer les fonds spoliés? En tout cas, des décrets présidentiels sont attendus pour mettre tout au clair.
Il semble que le Chef de l’Etat ait remporté son pari risqué. Accusé par certains partis au début de sa manœuvre politique de retournement contre la Constitution, maintenant le vent commence à tourner, et le Président de la République jouit désormais du soutien de tous ou presque.
En effet, à l’exception d’Ennahdha et de ses alliés, notamment Al-Karama, le Président de la République a su convaincre tous les protagonistes de la nécessité de ses décisions, notamment à la lumière des risques économiques, sociaux et sanitaires auxquels est exposé le pays. Depuis le 25 juillet, le Président de la République ne cesse de multiplier les messages rassurants destinés à l’intérieur comme à l’extérieur. Pas question de toucher aux libertés collectives et individuelles, garanties constitutionnelles et autres, Kais Saied passe la vitesse supérieure dans la mise en place de son coup de passage en force. Mais il faut agir, et surtout il faut prendre des décisions à caractère social tout en rassurant le capital financier tunisien.
Le locataire de Carthage semble jusqu’à présent trouver le juste équilibre. En recevant, mercredi, le chef de l’Utica, Samir Majoul, il a envoyé des messages dans tous les sens. Mais une simple interprétation de ses propos nous révèle que Kais Saied veut aller jusqu’au bout dans cette prise d’initiative politique en invitant tout le monde, même les hommes d’affaires corrompus, à y adhérer.
Le président de la République a appelé dans ce sens les grossistes de produits alimentaires et les commerçants de vente au détail à baisser les prix. Selon ses dires, ces commerçants doivent impérativement contribuer aux efforts nationaux visant à faciliter la vie du citoyen et lui garantir un revenu. Tout contrevenant devra toutefois en subir les conséquences.
Il a dans ce sens précisé : « Les spéculateurs seront poursuivis et sanctionnés à juste titre. Il faut qu’ils fassent un geste pour soutenir les catégories les plus vulnérables qui ont souffert depuis plusieurs dizaines d’années. Il est intolérable que, durant cette période, certains osent encore faire des bénéfices au détriment du citoyen tunisien…». « Les commerçants auront ainsi la chance d’inscrire leurs noms dans l’histoire en choisissant d’être solidaires avec le peuple. Ils sont patriotes et ils vont répondre à cet appel », a déclaré Saied.
Un appel hautement populaire et félicité sur les réseaux sociaux, d’autant plus que la baisse des prix et la lutte contre la cherté de la vie étaient parmi les principales revendications de la révolution. Mais trouvera-t-il un écho favorable dans les rangs des commerçants ? En tout cas, le Chef de l’Etat a promis une ferme application de la loi.
Sauf que pour le Président de la République il était important de faire la nuance. Ces appels et décisions ne doivent pas être pris comme une menace au capital économique tunisien ni aux investisseurs. Il a dans ce sens rassuré sur les principes de l’Etat de droit en Tunisie garantissant tous les droits aux hommes d’affaires et présentant sa fameuse conception de la réconciliation financière.
Des mesures populaires ou populistes ?
En effet, cette conception de la réconciliation financière qu’il va expliciter dans un décret présidentiel cible notamment 460 hommes d’affaires qui seraient impliqués dans des affaires de corruption. Selon sa conception, «chacun d’entre eux devra s’engager dans le cadre de cette réconciliation pénale à réaliser des projets dans toutes les délégations de la Tunisie, qui seront classées par ordre décroissant de la plus pauvre à la moins pauvre, celui qui est le plus impliqué réalise des projets dans la délégation la plus indigente «. Ces mesures sont-elles réalisables ? Pouvons-nous facilement engager une telle procédure de réconciliation en tenant compte de la lourde machine de la bureaucratie et de l’administration tunisienne ?
En tout cas, le Chef de l’Etat semble se baser uniquement sur le rapport de 2011 de Abdelfattah Amor, président défunt de l’ancienne Commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversation.
Élaboré dans une conjoncture politique bien connue, ce document ne pourrait en aucun cas servir de point de référence pour engager des poursuites contre des hommes d’affaires. C’est ce que notent plusieurs économistes, laissant savoir que les mécanismes de restitution de ces 13.500 millions de dinars spoliés évoqués par Saied s’annoncent compliqués. Or, ce rapport de 350 pages, publié fin octobre 2011, est un document engagé contre l’ancien régime et ses hommes d’affaires. Il ne comporte pas, cependant, les hommes d’affaires qui seraient liés à des affaires de corruption pendant l’ère post-révolution. Comment le Président de la République compte concrétiser sa conception et sa vision des choses ? Saura-t-il sortir des propos jugés populistes pour entamer la mise en place d’un cadre juridique clair pour restituer ces fonds ? En tout cas, un décret présidentiel est attendu pour mettre tout au clair.