« Le relèvement de la note souveraine de la Tunisie est un processus qui devrait s’inscrire dans la durée. Restaurer l’image de la Tunisie est une entreprise difficile qui nécessite, avant tout, la mise en œuvre de réformes structurelles. Autant dire que c’est encore jouable ». C’est ce qu’a affirmé, Moez Hammami, CEO de la regtech Quantylix en marge de la conférence-débat sur le thème “Dégradation de la note souveraine de la Tunisie : comment s’en sortir”, qui a été organisée récemment par l’Association tunisienne pour la promotion de la culture financière (Atcf).
Après la révolution, la dégradation de la note souveraine de la Tunisie se faisait pratiquement de manière systématique. Comment expliquez-vous cet abaissement ?
Le suivi de la note souveraine est effectué de manière continue. Il ne s’agit pas de rendez-vous annuels fixés au préalable, mais il s’agit plutôt d’un suivi continu. En effet, dès qu’un nouvel événement survient, les agences de notation réalisent des missions pour analyser et étudier l’impact de cette nouvelle information sur la solvabilité du pays. La révision de la note est souvent effectuée dès lors qu’un changement important (politique social ou économique) survient. On peut dire, qu’aujourd’hui, les agences de notation financière ont tendance à réagir plus rapidement aux changements qui peuvent avoir des répercussions négatives sur l’économie d’un pays pour éviter une sous-estimation des risques. Dans le cas d’un changement positif, elles prennent alors plus de temps à réagir, et ce, afin de disposer du temps nécessaire pour analyser correctement son impact potentiel.
Si on prend le cas de la Tunisie, on voit que, lors du déclenchement de la révolution, les trois agences de notation financière ont dégradé la note souveraine de la Tunisie parce qu’il y avait des risques notamment d’instabilité politique mais aussi des risques d’interruption de la chaîne de production et de baisse du PIB. Donc, les agences procèdent souvent à l’intégration des nouvelles informations pour prendre une décision quant à l’abaissement, le maintien ou le relèvement de la note souveraine d’un pays.
Pour le cas de la dernière dégradation qui a eu lieu le 14 octobre 2021, il ne faut pas oublier qu’un changement politique est survenu le 25 juillet 2021. Les agences de notation financière étaient dans l’expectative pour analyser son impact. D’ailleurs, elles ont publié un rapport qui détaille les raisons de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie où on évoque l’incapacité du gouvernement à lever les fonds nécessaires pour garantir le bon fonctionnement des rouages de l’Etat. Le rapport a, cependant, salué le maintien des réserves de change à un niveau appréciable.
Donc, pour simplifier, avant la révolution, la Tunisie faisait partie des pays “Investment grade” avec une note équivalente à la moyenne de 12 sur 20. Aujourd’hui, après la dégradation continue de notre note souveraine, on est passé à 5 sur 20, sachant qu’avec une moyenne de 3 sur 20, le pays est en défaut. La note souveraine a été abaissée de 7 crans au cours des 10 dernières années. Aujourd’hui, l’amélioration de la note souveraine de la Tunisie, et le retour au niveau d’avant-révolution, prendra beaucoup de temps. C’est un processus qui peut durer une quinzaine, voire une vingtaine d’années.
Quels sont les secteurs les plus touchés par cette dégradation ?
L’impact direct sera ressenti au niveau de la capacité du gouvernement à s’endetter. L’accès à l’endettement se durcit à cause des taux d’intérêt élevés. Après, il y a le secteur des banques qui est touché et dont la capacité à lever des financements extérieurs sera, également, altérée. Puis, il y a les entreprises qui sont touchées. Par définition, une entreprise ne peut avoir une meilleure note que celle du pays où elle opère. Cela se traduit, par la suite, par des difficultés à pénétrer et acquérir des marchés étrangers. L’impact peut être, également, ressenti par les ménages. Tout d’abord en raison de l’augmentation des coûts de production que vont subir les entreprises. Mais aussi, à cause de la dégradation du taux de change. On ne peut pas avoir une mauvaise note tout en défendant sans arrêt le taux de change. A un moment donné, il peut y avoir une dévaluation du taux de change, ce qui peut générer de l’inflation. Et bien entendu, ceci touche les ménages.
Mais cette dégradation est-elle réversible?
Oui. En effet, il y a des pays qui ont vécu cette expérience et ont réussi à renverser la vapeur. Par exemple, en 2013, la note souveraine de l’Egypte a été abaissée au même niveau que celle de la Tunisie (C). Au bout de sept ans, l’Egypte est parvenue à améliorer sa note de deux crans. La restauration de l’image d’un pays est un processus qui s’inscrit dans la durée et qui prend beaucoup de temps. Si on veut un quick win, il faut améliorer immédiatement notre image. Après, on travaille sur tout ce qui est structurel, pour améliorer les déficits, la dette, etc. Il y a des réformes à mettre en œuvre, mais il ne faut pas s’attendre à une amélioration instantanée. Ce qu’on est en train de subir ne peut pas changer en un seul coup. Il nous faut beaucoup de temps pour revenir au niveau de notation d’avant la révolution.