Opposition obstinée de la société civile
Cofinancé par la Banque européenne d’investissement (BEI), le projet d’aménagement de la pénétrante Nord-Sud, (PNS) à Sfax, a pour objectif d’améliorer et d’assurer une meilleure fluidité du trafic sur les axes structurants du gouvernorat : « De manière plus spécifique, la PNS va permettre le basculement d’une partie du trafic de transit et d’assurer ainsi la décongestion du centre-ville de Sfax. », précise, à ce propos, la direction générale des Ponts et Chaussées. Il serait utile de rappeler que l’aménagement de cette voie urbaine fait partie, depuis plus de deux décades, des revendications régionales : « La proposition, inscrite dans le schéma directeur du Grand- Sfax, remonte à 1997 », précise Mahmoud Gdoura, ex-président de la commission des autorisations de bâtir et de l’aménagement urbain à la municipalité de Sfax, et actuel activiste de la société civile. Par conséquent, le lancement de sa mise en chantier, qui a démarré à la fin 2018, a été bien accueilli par les habitants de Sfax, d’autant plus que les différents intervenants avaient été conviés à une large consultation et que les autorités, aussi bien régionales que nationales, s’étaient engagées à tenir compte de toutes les remarques, réserves et autres suggestions formulées.
Volte-face déloyal
L’exécution des travaux, au niveau de la tranche Nord, avait déjà démarré en 2018 et celle de la tranche Sud a été attribuée, fin 2020, à une entreprise locale. Ainsi, la réalisation du projet semblait conforme aux accords convenus, jusqu’au jour où un pavé fut jeté dans la mare par le ministère de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, suite à la publication d’un appel d’offres portant sur l’exécution des travaux de la troisième tranche, en l’occurrence la tranche centrale, celle qui traverse le centre-ville sur une distance de 1.000 mètres.
En effet, la société sfaxienne a été prise de court par cet appel d’offres, perçu comme une volte-face déloyale et sournoise, voire comme une trahison : « C’est un coup de poignard dans le dos de la ville ! Nous sommes décidés à nous y opposer par tous les moyens légaux possibles ! », clame Dr Anouar Abdelkéfi, membre du Collectif Environnement et Développement, à Sfax.
Pour comprendre les tenants et aboutissants de la polémique exposée ci-après, il serait utile, d’abord, de savoir que la genèse de la réalisation des grands projets urbains entrepris à Sfax est souvent marquée par des protestations nées des divergences de points de vue, de visions, de conceptions et d’approches opposant les décideurs centraux à la société civile. Avec le projet de la pénétrante Nord-Sud (PNS),outre les ONG, les rangs de la controverse sont même ralliés par la municipalité, l’Utica régionale, et d’autres structures locales. La nouvelle levée de boucliers de la contestation se focalise sur le tronçon central de cette voie express, long de 1.000 mètres, alors que les tronçons Nord et Sud font l’objet d’un consensus quasi général.
Il faut dire que cette levée unanime de boucliers a sa raison d’être : la nouvelle voie, sur ledit tronçon, sera aménagée en surface, selon la décision prise par la Direction des ponts et chaussées, auprès du ministère de tutelle, et non pas en tunnel, « Comme décidé précédemment à l’unanimité», enchaîne notre interlocuteur.
A ce propos, même « S’il s’agit d’un aménagement provisoire », comme le précise Rjeb Aroud, directeur régional de l’Equipement, l’unanimité marquant le rejet catégorique de l’option décidée par le pouvoir central semble bien fondée.
En effet, d’une part, on sait pertinemment que le provisoire a toujours tendance à perdurer. D’autre part, nombreux sont les arguments qui justifient cette opposition sociétale. Tous nos interlocuteurs sont unanimes à dénoncer les dégâts pouvant découler de la construction de cette route large de 32 m sur deux voies qui va se dresser comme un obstacle à la communication entre la ville et ses extensions futures vers le littoral : « Ce sera un frein au développement urbain de Sfax en direction de la mer. Or, pour créer du développement, il est nécessaire de créer de la vie», avertit Houcem Kamoun, activiste au sein du Collectif Environnement et Développement.
Et le réquisitoire de se poursuivre: la nouvelle voie en surface est de nature à compromettre la complémentarité souhaitée entre Taparura et le Casino, deux composantes capitales du futur développement urbain de Sfax, et de porter préjudice au projet de construction de la gare multimodale et aux démarches d’inscription de la ville au patrimoine mondial auprès de l’Unesco.
Or, de son côté, le directeur régional de l’Equipement tient des propos rassurants et ne cesse de mettre l’accent sur le caractère provisoire du troisième tronçon, indiquant : «Nous avons récemment lancé un appel d’offres pour l’étude d’aménagement global de la zone, dans le cadre du projet de la PNS, sachant que les deux appels d’offres précédents avaient été infructueux. Ce sera aux études effectuées de déterminer la variante la mieux indiquée.»
Levée de boucliers de la société civile
Peine perdue, les protestations ne font que se cristalliser : « On ne le sait que trop, le provisoire qui s’installe une fois pour toutes, répond Dr Abdelkéfi, d’autre part, les intentions du ministère ne sont pas crédibles vu que les termes de référence de l’appel d’offres ne mentionnent pas le refus catégorique de la variante d’aménagement du troisième tronçon en surface par les citoyens. L’acceptation sociétale, rappelons-le, est une condition sine qua non pour le bailleur de fonds, en l’occurrence, la BEI ».
Il y a lieu de noter aussi que pour ce qui est du tracé de l’itinéraire de la PNS, nombreuses sont les voix, au sein du Collectif Environnement et Développement à Sfax, à proposer une solution plus simple : opérer la jonction du tronçon Nord avec la ceinture Bourguiba de façon à compléter la boucle, sans avoir à traverser le centre-ville.
Pour terminer, signalons les griefs des composantes de la société civile contre l’absence de coordination entre les ministères de l’Equipement et du Transport, une absence, source de pas mal d’imbroglios d’incompréhensions, d’incohérences, voire d’absurdités.