
Etant donné la contre-performance enregistrée par le pays, depuis plusieurs années, la question de revoir le modèle de développement est d’une actualité brûlante. Vers quel modèle faut-il basculer ? Quels seront ses objectifs et par quels moyens peut-on les atteindre? Le président du Cercle des financiers tunisiens, Abdelkader Boudriga, esquisse les contours d’un nouveau modèle qui doit permettre de retrouver la création de valeur et garantir une meilleure répartition des richesses.
Dix ans après le déclenchement de la révolution, le débat sur l’urgence de repenser le modèle de développement est toujours d’actualité. Tous les indicateurs économiques, une croissance molle et un chômage élevé sur fond de crise des finances publiques, renvoient à une nécessité de retrouver un nouveau sentier de création de valeur, face à ce constat, l’expert en économie et président du Cercle des financiers tunisiens, Abdelkader Boudriga, propose d’esquisser les grands traits d’un nouveau modèle de développement qui jette les bases d’une meilleure inclusivité et justice sociale.
Destruction des richesses
Intervenant lors du webinaire « vers une révision du modèle économique tunisien », qui a été organisé récemment, par l’Institut des hautes études de Tunis (Ihet), Boudriga a fait savoir que les caractéristiques du nouveau modèle prôné doivent permettre de retrouver une création de valeur, garantir une meilleure répartition des richesses et faire du développement inclusif. Expliquant que le modèle de développement actuel a montré ses limites, l’expert a souligné qu’après 2011, les forces en place se sont accaparé une partie des revenus sans parvenir à créer de la valeur. « Avant 2011, on créait de la valeur sans bien la répartir. Mais après 2011, on a détruit les richesses et en même temps, on a créé des inégalités! »,a-t-il commenté. Et d’ajouter « le modèle n’est plus capable de créer de la richesse puisque sur les dix ans passés, on a réalisé une croissance moyenne de 1,7%, ce qui est en deçà du potentiel du pays. Le modèle a atteint ses limites. L’objectif du nouveau modèle de développement doit répondre à la problématique suivante: comment créer de la valeur, une valeur équitable et plus inclusive».
Le secteur privé doit miser
sur l’innovation
Faisant allusion à l’importance de repenser le rôle de l’Etat dans l’économie, Boudriga a affirmé que l’intervention de l’Etat pour gérer l’activité économique, mais aussi, pour assurer la répartition des richesses n’est pas efficace. Ainsi, le modèle recommandé par le financier repose sur trois axes. Le premier concerne le rôle du secteur privé qui doit repenser son rôle et aller vers plus d’innovation et de travail en réseaux. Il explique, à cet égard, que les grandes entreprises privées, jouant pleinement leur rôle de pionnières, doivent changer de cap et miser sur l’innovation et investir davantage dans la recherche et développement. «Il n’est pas normal qu’aujourd’hui de grandes entreprises continuent de profiter des subventions pour participer à une exposition ou une foire à l’international. Au contraire, la grande entreprise doit être la locomotive qui va aider les autres de taille plus petite à s’exporter à l’international. Prenons l’exemple des grandes entreprises allemandes. Elles jouent un rôle pionnier dans la recherche et développement, mais aussi dans le développement de leurs environnements, communautés… Elles travaillent en réseaux avec les petites et moyennes entreprises », fait-t-il observer.
Permettre l’accès
aux nouveaux entrants
Evoquant le deuxième axe qui sous-tend l’ébauche du nouveau modèle, l’expert a mis l’accent sur la nécessité de mettre en place des politiques publiques qui permettent l’agrandissement de la base des acteurs économiques qui participent à la création de la valeur. Pour ce faire, les marchés publics s’avèrent un moyen incontestable qui garantit à la fois la répartition des richesses et l’entrée de nouveaux acteurs. Etayant ses propos, il ajoute: «Nous avons une loi datant de 2005 qui stipule que 20% des achats publics doivent être alloués à des PME, soit l’équivalent de 3 à 4 mille millions de dinars de chiffres d’affaires à donner à ces entreprises, sachant que les marchés publics constituent un des éléments les plus importants pour le développement des PME. Seuls 3% des 20% vont aux PME. Ceci est dû à l’absence de politiques publiques qui consacrent ce principe. La loi de passation des marchés publics n’encourage pas cette orientation. Or, les PME contribuent à plus de 54% des emplois en Tunisie en termes de stock et de 80% en termes de dynamique. Il faut mettre en place des politiques publiques qui permettent aux PME d’accéder aux marchés publics ».
L’économie sociale et solidaire, cheval de bataille
Le troisième axe qui a été mentionné par Boudriga concerne l’Économie Sociale et Solidaire. Pour le président du Cercle des financiers, l’ESS est une autre façon d’organiser l’activité économique. Il a affirmé que l’ESS n’est pas uniquement un moyen de lutte contre la vulnérabilité, mais c’est un secteur à part entière qui contribue de manière significative à la création de l’emploi et de la valeur. Selon Boudriga, le renforcement de ce secteur peut être réalisé à travers des réglementations qui imposent aussi bien à l’Etat qu’aux grandes entreprises privées de consacrer une part de leurs achats auprès des structures de l’économie sociale et solidaire.