Lutte contre la torture : Ni sanctions ni poursuites judiciaires !

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Officialiser le 8 mai de chaque année journée nationale de lutte contre la torture, adapter les textes de loi aux contenus des conventions internationales en matière de droits de l’homme déjà ratifiées par la Tunisie et dévoiler les vérités sur les violations des droits humains et sanctionner leurs auteurs, voilà les recommandations phares d’un collectif associatif ayant agi contre le laxisme de l’Etat.

On célèbre, chaque année, la journée nationale de lutte contre la torture en commémorant ainsi, en ce 8 mai, une de ses victimes, feu Nabil Barakati tombé sur l’autel de la justice dans les geôles de la police à Gaâfour, à Siliana. Ce crime, survenu alors six mois avant la prise du pouvoir par Ben Ali, n’avait pas, à l’époque, fait assez de bruit, vu la  politique répressive adoptée par l’Etat face à toute manifestation d’expression. Après 35 ans, l’affaire Barakati fait encore du surplace. Pire, elle a été suivie d’innombrables crimes et procès similaires, jusque-là sans suite. Sévices et supplices se poursuivent, semble-t-il, dans nos prisons qui n’ont jamais été des centres de rééducation. La torture en Tunisie est-elle méthodique ? Ni oui ni non ! Aucun écho sur ce qui se passe derrière les verrous. Silence radio.

Laxisme et impunité

Des exactions et des mauvais traitements si humiliants et dégradants sont aussi présents, matant des victimes, sans leur rendre justice. On les a dénoncés et pointés du doigt. Mais le laxisme et l’impunité l’emportent. On n’a pas encore retenu la leçon ! Violence institutionnelle, jusqu’à quand ? Le 5e rapport 2020-2021 du Sanad, programme d’assistance directe aux victimes de torture et de mauvais traitements de l’Omct en Tunisie, en dit long. Son bilan est assez critique : « Ces deux dernières années, Sanad a pu documenter 103 victimes agressées dans des lieux publics à des fins punitives par des agents de police agissant dans le cadre de leurs fonctions ou même à la suite d’une dispute d’ordre privé, des cas de personnes torturées ou maltraitées en garde à vue pour obtenir des aveux, violentées en détention, rouées de coups ou harcelées en raison de leur orientation sexuelle, de leurs croyances religieuses supposées ou de leur activisme en faveur des droits humains ». Et la liste des victimes demeure aussi longue : des violations des droits humains cruellement subies en flagrant délit. Sans sanction ni poursuites judiciaires !

Justice transitionnelle : le ver est dans le fruit !

Dans un communiqué publié par un collectif associatif à l’occasion de ce 8 mai, qu’il voudrait décréter journée nationale de lutte contre la torture, les signataires ont imputé à l’Etat son entière responsabilité. Pourquoi n’a-t-il pas pris les choses en main, afin d’accélérer la reddition des comptes pour dédommager les victimes ? L’affaire Omar Laâbidi, jeune supporter de foot, en est un cas parmi d’autres, où les inculpés ont toujours manqué aux audiences. Autant dire, la justice transitionnelle a failli à ses objectifs. Quatre ans déjà, ses chambres criminelles spécialisées, siégeant dans les cours d’appel de Tunis, Sfax, Gabès, Gafsa, Sousse, Le Kef, Bizerte, Kasserine et Sidi Bouzid ont fini par devenir un facteur bloquant. Le ver est dans le fruit. Cela est dû, en grande partie, à l’instabilité de leur composition, du fait du mouvement annuel opéré dans le corps des magistrats. S’y ajoute l’absentéisme des tortionnaires, ostentatoirement, incités par leurs syndicats sécuritaires.  «Il a fallu mettre en application, au plus tard fin juin dernier, toutes les recommandations de l’IVD relatives à la réforme institutionnelle. L’objectif étant de mettre un terme à la répétition des violations, mais aussi de conserver la mémoire nationale», ainsi reprochent une trentaine d’associations actives en justice et droits de l’homme.

Y a-t-il un problème juridique ?

L’impunité est aussi une double torture dont la tolérance n’est qu’un crime désavoué. L’Etat y est pour quelque chose, à vrai dire. A commencer par la réforme de la loi et son application d’une manière équitable. L’article 101 bis du code pénal, si obsolète soit-il, n’est plus à la mode, vu qu’il réduit la torture à des pressions exercées aux fins d’arracher des aveux. Le problème est plutôt d’ordre juridique, disait, maintes fois, Mokhtar Trifi, vice-président de l’Omct-Tunisie. Et combien de non-lieux ont été prononcés en faveur des policiers, pourtant reconnus impliqués dans des actes de violence et d’agression ? De tels verdicts ne sont guère une victoire. Au-delà, c’est un mauvais signal d’une justice à deux vitesses. Cela nécessite bel et bien un complément d’enquête. « Nul n’est au-dessus de la loi » demeure, hélas, une sentence figée.

Tous les signataires dudit communiqué s’accordent sur nombre de recommandations : officialiser le 8 mai de chaque année journée nationale de lutte contre la torture, adapter les textes de loi aux contenus des conventions internationales en matière de droits de l’homme déjà ratifiées par la Tunisie, dévoiler les vérités sur les violations des droits humains et sanctionner leurs auteurs. L’injustice qu’avaient subie Omar Laâbidi et Abdessalem Zayene, ce jeune Sfaxien trouvé mort dans sa cellule, n’a pas cessé de susciter sympathie et compassion à leur égard. Une autre recommandation et non des moindres, la protection des chambres spécialisées en justice transitionnelle et leur appui, afin qu’elles puissent accomplir leur mission.

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