Accueil Culture Les festivals Culturels au cœur du débat : Quelle locomotive pour quel progrès ?

Les festivals Culturels au cœur du débat : Quelle locomotive pour quel progrès ?

Le nombre de festivals en Tunisie est de 815, recensés sur 13 gouvernorats avec une grande diversité en termes de localisation, de dimension, de programmation, de budgets et de gouvernance. Depuis des décennies, ces festivals ont certainement dû créer une dynamique, mettre en place un écosystème, développer une notoriété variable et capitaliser une certaine capacité d’organisation et d’exécution apprise sur le tas et au fil des années. Mais y a-t-il une réflexion faite en amont ou en aval ? De quelle politique culturelle sont-ils l’expression ? Quelle approche stratégique globale ou spécifique épousent-ils ?

Ce panel de 3 jours, organisé les 25, 26 et 27 mai par le ministère des Affaires culturelles, vient pour poser les questions, affiner la réflexion et proposer des recommandations. Il est grand temps que les politiques culturelles soient enfin définies d’une manière claire et explicite, qu’elles soient adoptées et assimilées, qu’elles aient un écho réel dans des manifestations diverses et qu’elles commencent, même vers le tard, à avoir un impact réel et concret à petite et grande échelle.

Durant ces trois journées, directeurs de festivals nationaux et internationaux, ainsi que des programmateurs, opérateurs culturels, chercheurs, responsables culturels, représentants de structures internationales, responsables du secteur public et privé, experts dans la gestion de projets et de la psychologie du travail sans oublier des partenaires stratégiques, tels que le ministère du Tourisme, le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Enseignement supérieur, le ministère de l’Education et le ministère des Finances, ont pris part à ce large débat.

Faire dialoguer les différentes expériences nationales et internationales pour comprendre les spécificités des festivals, leurs modes de gouvernance et leur écosystème est l’objectif premier de ces rencontres. Plusieurs axes ont été définis en amont, mettant en avant les problématiques posées : faire l’état des lieux, définir le rôle et les objectifs des festivals, questionner les outils de gestion et les mécanismes administratifs en termes de gouvernance, de responsabilisation, d’intelligence collective, de monitoring, d’information et d’outils d’information. 

La question essentielle reste tout de même le rôle que joue l’État dans la pérennité des festivals et des manifestations artistiques et culturelles et la mise en place d’une politique culturelle, éducative, touristique et économique et surtout sa mise en application pour un développement culturel durable, responsable et citoyen.

Dans son allocution inaugurale la ministre des Affaires culturelles, Dr Hayet Guettat-Guermazi, a, précisé, «qu’ outre leur rôle essentiel dans l’amélioration du goût du public, les festivals jouent également  un rôle économique fondamental dans les pays développés dans le sens où ils contribuent à la création de richesses, à l’employabilité, au développement durable. Il y a tant de festivals qui ont servi comme outil de promotion de plusieurs villes, devenues aujourd’hui des vrais pôles d’attraction culturelle, économique et touristique. Nous espérons que cette conférence favorisera un vrai échange de l’expertise pour que nos festivals puissent aller encore loin et atteindre les objectifs souhaités», dit-elle.

La ministre a également annoncé qu’une nouvelle conférence aura lieu en septembre 2022, toujours portant sur les festivals et qu’elle sera précédée de plusieurs rencontres régionales…

Youssef Lachkham, directeur général de l’Etablissement national pour la promotion des festivals et des manifestations culturelles et artistiques, a fait savoir que sa direction a déjà lancé, en 2021, avec l’appui de Tfanen-Tunisie Créative, une étude sur les festivals en Tunisie. «Pourquoi s’interroge-t-on maintenant sur les festivals ?», «Pourquoi questionne-t-on aujourd’hui les festivals ?», la réponse est claire parce que ces manifestations sont devenues des entités, une structure, un système fort et lourd qui s’impose et qui consomme avec nous nos ressources financières comme humaines. Qu’il ait un impact positif ou négatif, ce système doit être remis en question, précise-t-il.

«C’est dans cet esprit de continuité que s’inscrit cette conférence qui cherche dans l’essence des festivals et les mécanismes permettant à ces rendez-vous d’être un vecteur de développement économique. Nous voulons aboutir à des résultats concrets, palpables, applicables pour que le long travail mené depuis 2021 soit concrétisé ».

Et il ajoute : «Les politiques culturelles et les festivals s’entrelacent. Aujourd’hui, il est temps de penser à entretenir les manifestations culturelles par une étude bien ficelée, méthodiquement menée, qui fait le point tous les trois ans. Une étude bien élaborée qui permet d’apporter un éclairage sur la démarche adoptée et sa rentabilité. Nous sommes réunis pour voir loin et tirer profit de vos expériences pour que les festivals assument leurs nouveaux rôles».

État des lieux des festivals tunisiens

L’expert et formateur en gestion des projets culturels, Saber Jemai, lors de sa communication intitulée «Etats des lieux des festivals tunisiens», a noté qu’ «en 2019, juste avant la Covid, la Tunisie comptait 800 festivals dont 48% se déroulent entre les mois du juillet et d’août. Quant aux festivals internationaux, le chiffre a connu une nette évolution de 17 en 2017 à 35 festivals internationaux en 2019. En 2019, également, la Tunisie comptait 19 grands festivals internationaux», a-t-il expliqué, précisant que les festivals tunisiens ont de nombreux points forts dont l’identité, la continuité, l’employabilité, le dynamisme économique, la richesse du contenu….

Faisant également l’évaluation des festivals et soulignant surtout les points faibles, l’expert a précisé qu’il y a de nombreuses lacunes et divers défis à relever, à savoir le financement limité, la faiblesse de l’infrastructure et sa non-conformité aux normes, le manque de compétences spécialisées dans la gestion et la direction de projets culturels, l’absence d’une vision stratégique et l’aspect saisonnier.

Comment remédier à cela ? Comment préserver les acquis et bien replacer les festivals économiquement et culturellement ? L’expert a noté qu’il y a des opportunités à saisir et des normes à respecter et surtout qu’il faut miser sur les partenariats stratégiques, sur le réseautage, sur l’implication directe et palpable de plusieurs parties, telles que la société civile, les mairies, les établissements publics et privés…

La création d’un centre de formation continue pour les équipes des festivals et des projets culturels, la définition claire et précise des normes permettant d’obtenir un financement public, la réalisation d’études régulières sur les festivals et l’action culturelle en collaboration avec le ministère de l’Enseignement supérieur et d’autres propositions à prendre en considération.

Mettre le facteur temps en notre faveur

Bénédicte Dumeige, consultante en stratégies artistiques et culturelles et ancienne directrice de France Festivals, a pris la parole pour présenter une étude réalisée pour le compte de l’Établissement national pour la promotion des festivals et des manifestations culturelles et artistiques (Enpfmca) portant sur trois axes : un état des lieux, une évaluation et des recommandations. Etant un maillon de l’écosystème local, le festival est un vecteur de l’emploi artistique, celui de la sociabilité, avec les différentes générations qui y assistent, il est surtout un maillon de l’économie touristique. Un festival devient, alors, un facteur d’attraction à plus d’un titre et à l’adresse de plus d’une catégorie sociale. Cependant, la programmation tardive de la plupart des festivals constitue une faiblesse de taille et une entrave pour leur bonne gouvernance.

Revenant sur l’institution gestionnaire des festivals en Tunisie, l’Enpfmca, Bénédicte Dumeige a d’abord défini son rôle, dans l’organisation, le soutien, l’accompagnement et l’observation des différents festivals.

Elle a également mis l’accent sur le rôle de cette institution, créée en 2014, dans l’application des politiques culturelles de la Tunisie dans l’organisation des festivals.

Parmi les recommandations les plus pressantes, la désignation des directeurs pour trois ans afin de leur permettre de mener à bien leur projet, renforcer la communication qui reste toutefois très insuffisante pour toucher un maximum de public, et toucher un public étranger qui pourrait faire de notre pays une destination culturelle de taille.

Pour conclure, il est nécessaire pour les différents intervenants dans ce secteur, de procéder à la mise en place de certaines mesures afin de mener à bien tout festival, telles que la formation des divers acteurs et opérateurs, le développement des compétences, avec une incitation fiscale qui contribuera à une autonomie de gestion financière.

L’écosystème des festivals

Attirant de nombreux participants, le panel «l’Ecosystème des festivals» a été une occasion pour les participants de discuter librement de leurs soucis en tant que directeurs des festivals et surtout soulever certaines lacunes et obstacles auxquels ils sont confrontés dans l’exercice de leur mission.   

Une première intervention est signée par Marouen Habita, expert international en gestion de projets. Partageant son savoir-faire avec l’assistance, l’expert a évoqué l’importance de la bonne gestion du projet pour qu’il atteigne ses finalités, précisant qu’il faut dès le départ fixer les objectifs, définir les besoins et les moyens à disposition. «Il faut définir les raisons du lancement du projet, sa faisabilité, sa durée, les ressources humaines et financières disponibles, et bien étudier les bénéfices et calculer les risques… La 2e étape consiste en la planification et la définition de la charte du projet. Cette charte comporte l’estimation du temps nécessaire, la structuration de l’équipe du festival, les mesures de réussite (nombre d’entrées ou l’impact médiatique ou l’employabilité…) ainsi qu’un plan de gestion de risques (financiers, humains, météorologiques…)», a noté l’intervenant. Marouen Habita a également suggéré aux directeurs des festivals de penser à bien clôturer les projets, s’en assurer du bon archivage et la sauvegarde de la mémoire de la manifestation.

Prenant la parole, Hammad Yaghi, représentant du Festival international de «Baalbek» (Liban), a partagé avec l’assistance la philosophie de ce festival qui constitue l’un des piliers de la vie culturelle libanaise. «Phare culturel, le festival s’est adapté aux restrictions sanitaires lors de la pandémie et actuellement aux mesures économiques. Le festival continue cette année malgré tout à résonner», a noté l’intervenant, précisant que le comité d’organisation du festival compote 99 membres qui travaillent dans des commissions spécialisées. Un témoignage essentiel dans la gestion de crise et des conditions extrêmes que vivent certains pays dans la région.

Festivals, un enjeu touristique

Dorra Miled, présidente de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, a souligné dans son intervention les liens étroits et l’intersection entre les deux secteurs culturel et touristique, mettant l’accent sur l’importance de la planification d’un festival considéré comme un produit du tourisme culturel. Dans le même ordre d’idée, Ahmed Bettaïeb, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages et de tourisme (Ftav), s’est exprimé également en précisant qu’un calendrier festivalier bien entretenu à l’avance permettra aux agences de voyages d’organiser des programmes spécifiques, incluant les festivals dans leurs produits proposés.

Des circuits culturels et touristiques, des projets de collaboration entre le tourisme et la culture, de la nouvelle carte culturelle, de l’importance de la collaboration avec le secteur privé, des partenariats possibles, tant de perspectives possibles et envisageables mais, dommage le ministère du Tourisme a brillé par son absence.

Les recommandations

Après deux jours bien rythmés de débats, d’interrogations et surtout d’échanges d’expertises entre les directeurs des festivals tunisiens, les experts internationaux et quelques directeurs des festivals du monde dont l’expérience est référentielle en matière de gestion et de la bonne gouvernance, la 3e journée a été celle de la synthèse et des recommandations en attendant la rédaction d’une feuille de route qui balise les prochaines étapes à venir.

Parmi les points évoqués dans le cadre de ces recommandations, nous citons l’importance de la classification des festivals selon leurs spécificités, leurs mécanismes de travail, leurs impacts. Un appel à instaurer des normes a été formulé par les directeurs des festivals qui ont également noté dans leurs recommandations l’importance de la détermination de leurs relations avec les autorités locales pour éviter les tensions et les tiraillements et également avec les institutions culturelles privées existant dans leur écosystème qui peuvent constituer de futurs partenaires ou mécènes. La liste des recommandations initiales comporte également un point relatif à l’infrastructure, sa mise à niveau selon des normes professionnelles.

Il a été également recommandé de rechercher de nouvelles voies et idées pour renouveler la programmation et fuir le déjà-vu et les solutions de facilité, une erreur que commettent souvent de nombreux festivals. La bonne gouvernance, le rajeunissement des équipes des festivals et l’ouverture sur les compétences dans l’univers estudiantin ont été également sur la liste des recommandations. Une importante et longue liste qui a comporté également plusieurs idées, telles que la transparence dans la relation avec les différents partenaires du festival, l’importance du réseautage pour faciliter la mobilité des artistes et des œuvres en sont des points forts. Sans oublier le rôle pivot des délégués régionaux de la culture, dont l’une des missions consiste à soutenir les festivals locaux, à les aider à concevoir un contenu intéressant, à entrer en contact avec les autorités locales et à promouvoir les manifestations selon un calendrier permettant à la région de vivre au rythme de plusieurs festivités et non uniquement dans une période bien déterminée.

En guise de clôture, Youssef Lachkham, directeur de l’Établissement national pour la promotion des festivals et des manifestations culturelles et artistiques, a fait savoir qu’ «Un livre blanc» paraîtra dans les prochains jours et qui constituera une feuille de route pour les directeurs des festivals.

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