Théâtre | « Le quatrième pouvoir » d’Abdelkader Ben Saïd, d’après une idée de Néji Zaïri : Les liaisons dangereuses

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Avant-première, le mercredi 22 juin, au 4e art de la pièce de théâtre «Le quatrième pouvoir», mise en scène par Abdelkader Ben Saïd, d’après une idée de Néji Zaïri. Un monodrame habilement incarné par l’acteur Khaled Houissa, de retour sur les planches.

Comme son titre l’indique, «Le quatrième pouvoir» («Assolta Al Rabiaâ») nous transporte dans le monde très particulier du journalisme de presse écrite. Et ce, à travers le parcours du personnage central, Ali Chamekh, un journaliste dont la carrière s’est égrenée durant deux décennies (1990-2010), entre rêves de grandeur et de célébrité, désillusions et décadence.

Du genre monodrame, oscillant entre narration et interprétation du personnage central et autres personnages stéréotypés, la pièce narre l’itinéraire de ce chevalier de la plume qui, déjà sur les bancs de l’université, rêvait de devenir un éminent journaliste reconnu et influent.

Altier, fier et orgueilleux comme le suggère son nom, Ali Chamekh est passionné de poésie et de grands classiques de la littérature arabe, imbu de principes et de valeurs, il fait ses premiers pas dans le métier, la tête pleine d’idées et déterminé à accomplir sa noble mission de journaliste du mieux qu’il pourra.

Ses credos dans la profession sont la qualité, la vérité, la rigueur, l’intégrité, le respect de l’éthique et des lecteurs.

Mais, très vite, le protagoniste est confronté à la dure réalité loin, loin d’être idyllique.

Le récit est construit en mode flash-back, un procédé emprunté au cinéma ; Ali Chamekh est ici et maintenant un vieil homme brisé et solitaire, courroucé et irrité, barbe hirsute et cheveux blancs, engoncé dans une vieille robe de chambre, il remonte le temps en criant sa colère et en narrant son parcours, entre nostalgie et regrets. Il raconte ses rêves et espoirs, ses premiers pas dans le métier, le début des désillusions, les contraintes, la pression des pouvoirs politique et économique, ces antagonistes considérant les journalistes, et par-delà les médias, comme de simples courroies de transmission.

Leurs rôles, résidant à leurs yeux, à faire reluire l’image du régime et du pays, en faisant sa propagande.

Le protagoniste subira la colère du patron du journal, la censure et les exactions du régime. Résistera-t-il, cependant, aux contraintes et au harcèlement du régime ou cédera-t-il à la compromission,  à la tentation de l’argent et du confort social ?

Style narratif et descriptif

En fait, Ali Chamekh s’avère un anti-héros désillusionné et désabusé, prétextant l’indifférence de ses collègues, confrères et autres activistes des Droits de l’homme, à toute la violence et les sévices d’ordre psychologique et physique qu’il a subis, il foulera aux pieds tous ses credos de principes. Il tournera le dos à l’éthique professionnelle pour instaurer des liaisons dangereuses avec le pouvoir politique et le monde du business.

Pis, se déchargeant de toute responsabilité, il nous assènera sa sentence, sa vérité : «Je ne suis qu’un boulon dans la mécanique du système».

A l’orée de la révolution, prêt à tous les opportunismes, il retournera sa veste, prompt à mettre autant de vestes et de cravates, de toutes les couleurs, et les formes, avec une facilité déconcertante. A l’évidence, il n’a ni retenu la leçon, ni tiré les enseignements nécessaires.

La pièce véhicule des traits autobiographiques. Néji Zaïri, auteur de l’idée, aujourd’hui chroniqueur à la radio et à la télé, a travaillé avant la révolution dans la presse écrite. Et il en connaît quelque chose. Ecrit collégialement avec le metteur en scène et l’acteur, le texte, au style plutôt descriptif et narratif, ne brasse pas large, il colle à la trajectoire du personnage central en posant plusieurs questionnements sur l’indépendance du journaliste, la censure, la liberté d’expression, l’éthique, la dépendance des médias du pouvoir politique et du capital.

La pièce fait également allusion, sans trop s’appesantir, aux journalistes opposants, poursuivis et harcelés par le régime.

D’ailleurs, tous ces questionnements se sont posés, encore une fois, après la révolution, concernant l’opportunisme des uns et des autres, la liberté d’expression et l’accointance entre le politique, le capital et certains médias. Doit-on s’attendre à un épisode 2 de «Le quatrième pouvoir» ?

Toutefois, l’ensemble, malgré l’essence tragique de certaines situations, ne manque pas d’humour et de traits tragi-comiques : La signature du journaliste qui disparaît lors de la phase de l’impression, ce qui est arrivé à plusieurs d’entre nous, la scène de l’obtention de la carte professionnelle, la cacophonie et la confusion des rôles et des fonctions entre journalistes, animateurs, acteurs, avocats et autres intrus, très médiocres, dans le métier.

Quoi qu’il s’agisse là d’un anachronisme, le phénomène d’intrusion s’étant ancré et amplifié après la révolution.

Le miroir a double sens

Les respirations aèrent le spectacle en rendant le récit plus fluide, malgré quelques lenteurs qui seront gommées, une fois la pièce rodée.

Dans ce huis clos au décor unique, trône un grand miroir accroché au mur et où se mire, par moments, le personnage central.

Cet objet génère un double sens, suggérant d’abord que le journalisme et les médias ont pour rôle et mission d’être le miroir de la société, et ensuite que le théâtre est le reflet de la réalité et de la vie.

Le journalisme et le 4e Art se rejoignent dans leur noble mission mais chacun d’entre eux agit et œuvre selon ses propres spécificités et caractéristiques.

Le metteur en scène a donc misé sur une scénographie dépouillée et sobre, mais qui génère du sens. L’éclairage et les lumières entre pénombre et clarté tantôt reflètent l’état d’âme du personnage, tantôt suggèrent un lieu avec force (scène dans «La maison du journaliste») (par exemple).

La bande-son se déroule entre effets et musiques accompagnant les moments de la vie intime ou professionnelle du personnage, sauf que certains passages de la voix off, représentant la conscience du protagoniste, pèchent par redondance.

Or, les passer à la trappe n’aura aucune incidence sur la compréhension de la pièce.

Et comme tout monodrame est tributaire en grande partie de l’acteur, seul sur scène, le metteur en scène a, également, misé sur Khaled Houissa, qui revient à ses premières amours, les planches, après une éclipse de douze ans dédiés, au petit et au grand écrans.

Dans ce rôle, le comédien a pleinement assuré en faisant étalage de générosité, d’énergie et de sincérité dans le jeu. Une belle prestation et un heureux retour aux sources.

«Le quatrième pouvoir» effectuera bientôt une tournée dans plusieurs régions du pays.

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