Si la tendance de relocalisation dans les pays dits « amis », plus connue sous l’appellation « friend-shoring », constitue une opportunité en or pour la Tunisie, il n’en reste pas moins que le pays doit mettre les bouchées doubles et accélérer les réformes pour attirer ce type d’investissements. Car, dans la région d’Afrique du Nord, la concurrence est rude. Et pour la battre, il faut réformer à vitesse grand V.
Outre l’accélération de l’inflation, l’augmentation parfois historique des taux directeurs entraînant un risque croissant de récession mondiale, les conséquences de la crise Covid et de la guerre en Ukraine se font également sentir sur la géo-économie mondiale. Les interruptions successives des chaînes d’approvisionnement ont fait trembler, non seulement les multinationales et les géants de l’industrie, mais également les PME à travers le monde. Les chaînes de valeur de l’industrie automobile, l’une des « supply chain » les plus fragmentées, peuvent en être la parfaite illustration.
En 2021, il a suffi qu’une perturbation de la production des semi-conducteurs intervienne à Taiwan pour que le marché automobile — à peine rétabli des effets de la crise Covid— plonge à nouveau. Tout récemment, la crise que traversent les constructeurs automobiles allemands s’est aggravée, suite à la mise à l’arrêt des usines de câblage électrique en Ukraine après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. Les entreprises françaises étaient plutôt à l’abri, car elles dépendent de l’Afrique du Nord, contrairement aux Allemands qui se fournissent beaucoup plus auprès des pays de l’Europe de l’Est.
Une crise porteuse d’opportunité
La cheffe de division au département économique de l’Ocde, Isabelle Joumard, l’a déjà pointé, lors de son déplacement à Tunis, au mois de mai dernier, pour présenter le rapport économique de l’Ocde sur la Tunisie : « Les questions géopolitiques commencent à avoir un impact de plus en plus important ». Selon les experts, la mondialisation, sous sa forme actuelle, est plus que jamais menacée. Une recomposition des chaînes de valeur mondiales s’annonce désormais avec une nouvelle configuration basée sur la relocalisation dans les pays amis, « le friend shoring ».
Le « friend shoring » a été érigé par la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, mais également par la présidente de la Banque Centrale Européenne, Christine Lagarde, comme solution pour protéger les chaînes d’approvisionnement mondiales des perturbations externes ou de la coercition économique.
Ainsi, les gouvernements européens et américains ont exhorté les entreprises à relocaliser leurs activités dans les pays dits « amis ». Selon Joumard, la Tunisie dispose de beaucoup d’atouts pour tirer avantage de cette recomposition en vue des chaînes de valeur mondiales. D’ailleurs c’est ce qui a été affirmé par la ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, Neila Nouira El Gongi, qui a déclaré que la crise russo-ukrainienne, malgré son impact sur le budget de l’Etat, est porteuse d’un « grand potentiel de développement dans le secteur de l’industrie ». Une cellule qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Economie, la TIA et la Fipa a été créée au sein du ministère de l’Industrie afin de prospecter les opportunités qui découlent de ce changement, apparemment, de bon augure pour l’avenir économique du pays.
Se repositionner sur l’échiquier international de l’investissement
La ministre a, en ce sens, fait savoir que des discussions avec des investisseurs étrangers, sur des projets très avancés de relocalisation dans les secteurs de l’industrie électrique et celle des composants automobiles, mais également sur de nouveaux projets autour de la mobilité, sont actuellement en cours. « Réellement, nous sommes en train de nous repositionner sur l’échiquier international de l’investissement avec une portée sur l’Afrique », a-t-elle précisé, dans le même contexte. Mais, faut-il encore que la Tunisie se penche sur l’assainissement de l’environnement des affaires, l’allégement des procédures administratives, la réforme du port de Radès et, surtout, elle doit assurer la visibilité pour les investisseurs étrangers. Car, ne nous voilons nous la face, la concurrence dans la région de l’Afrique du Nord est rude. Les pays de la région peuvent s’arracher ce type d’investissements. Et comme l’a dit Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la région Mena, il faut faire avancer les réformes, car pour battre la concurrence, il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort.