Dans une action ferme, le ministère du Commerce et du Développement des exportations a décidé, mercredi dernier, de procéder à un gel des prix de plusieurs biens de consommation. Si cette mesure vise à ralentir l’inflation, des voix se sont élevées pour mettre en garde contre ses répercussions négatives sur l’ensemble de l’économie.
Touchant directement le panier du consommateur, la décision englobe une variété de produits, allant des denrées alimentaires, telles que les conserves, les biscuits, les jus, les dérivés du lait, jusqu’aux matériaux de construction, passant par les produits d’hygiène. L’objectif de cette intervention est, on ne peut plus, clair : préserver le pouvoir d’achat des citoyens dans une conjoncture sociale et économique marquée par une inflation persistante.
Stabiliser les prix et soutenir les consommateurs
Selon Houssem Eddine Touiti, directeur général de la concurrence et des enquêtes économiques au ministère du Commerce, cette batterie de mesures s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par le département visant à endiguer la déferlante inflationniste observée pour certains produits. “Le ministère a décidé d’intervenir, à la lumière des résultats du suivi de l’évolution des prix sur le marché qui ont révélé un recours répétitif à l’augmentation des prix. Dans une première étape, le département a, donc, décidé de rationaliser ces hausses en procédant à un gel des prix. Ensuite, nous allons faire un audit de la politique des prix afin de prendre des mesures sectorielles qui garantissent la pérennité des diverses filières économiques tout en tenant compte du pouvoir d’achat des citoyens”, a-t-il déclaré sur les ondes d’une radio privée. Il a ajouté que ces mesures interviennent sur fond de forte perception de la hausse des prix, affirmant que ces derniers ont atteint des seuils inacceptables. “C’est un effort continu que nous n’avons cessé de déployer depuis le début de l’année et qui a commencé à porter ses fruits. Il faut noter que l’inflation est passée de 10,4% au mois de mars dernier à 8,6% actuellement”, a-t-il ajouté. Rappelons que le ministère du Commerce a également décidé de plafonner les frais de services de coopération commerciale entre les distributeurs et les fournisseurs à une marge comprise entre 5 et 10 % du montant des transactions, et ce, selon le système de tarification des produits (encadré ou libre). Pour le responsable, il s’agit d’une première, d’autant plus que cette mesure permet, selon ses dires, de maîtriser les coûts de production, et par ricochet, les prix de vente.
Les agents économiques de petite taille en font les frais
Avec ces mesures, que beaucoup ont qualifiées de courageuses, le ministère tape-t-il en plein dans le mille ? Ou s’agit-il d’un faux pas ? En tout cas, ces récentes décisions font polémique. Car, si elles visent à soutenir le pouvoir d’achat du citoyen, leurs répercussions économiques sont à redouter. C’est ce qu’a affirmé Louay Chebbi, président de l’organisation Alert, dans une déclaration à La Presse. Il a, en somme, précisé que dans une économie de marché, le renforcement du pouvoir d’achat des citoyens passe inévitablement par l’appui à la productivité et à l’activité économique, avant de procéder à une administration des prix. “Administrer des prix ne peut être qu’une mesure parfaitement exceptionnelle, très ciblée et extrêmement étudiée pour qu’elle n’ait ne serait-ce qu’un impact relatif sur l’économie. Si on veut soutenir le pouvoir d’achat, il faut aider directement les revenus des citoyens et il faut encourager la productivité. Lorsque le gouvernement prend des mesures pour empêcher l’importation de produits semi-finis ou de matières premières par les petites et moyennes entreprises en exigeant des factures directement auprès des industries, cela freine la productivité et entraîne une baisse de l’offre et, donc, une augmentation des prix. C’est pour cette raison qu’en 2023, nous n’avons fait que 0,9% de croissance de PIB”, a-t-il déclaré. Pour Chebbi, de telles mesures ont un impact négatif sur les acteurs économiques de petite taille qui en font les frais. “Nous ne pouvons pas ignorer les impacts dangereux que ces mesures peuvent avoir sur l’économie tunisienne. En ce qui concerne les produits vendus sur le marché, deux situations se présentent. Soit le gouvernement arrive à maîtriser toute la chaîne de production, allant de la matière première, à la vente, passant par la transformation et la distribution, et, dans ce cas, il y a une possibilité de fixer un prix indicatif ou administré; soit ce sont les produits qui sont soumis à l’intervention des agents et entreprises privés et là, le gouvernement ne dispose pas d’assez de marge de manœuvre pour fixer le prix. Car s’il fixe un prix trop peu élevé, il va comprimer les marges, et ce sont toujours les acteurs économiques vulnérables qui vont payer les pots cassés. Les petits producteurs et les petits commerçants vont disparaître parce qu’ils n’auront pas assez de latitude financière pour résister à cette compression de marge. Ce sont les grands intervenants et producteurs qui ont cette capacité d’adaptation à de tels prix”, a-t-il expliqué. Il a ajouté que cette situation va contribuer à la raréfaction des biens de consommation et à l’augmentation de leurs prix sur les marchés noirs, comme cela s’est produit avec les bananes. Lorsque le gouvernement a voulu fixer les prix de vente à 5 dinars par kilo, les fruits ont disparu du marché et leur réapparition s’est accompagnée par la suite d’une très forte augmentation des prix atteignant 18 dinars, poursuit-il. “Il faut savoir que les prix fixés des œufs ne concernent pas ceux qui sont produits par les grandes entreprises. Cette décision va directement impacter les commerçants du quartier”, a-t-il indiqué. Chebbi a ajouté que ces mesures ne sont pas en liaison avec une situation économique pragmatique. Il a affirmé que le gouvernement souhaite anticiper une augmentation des prix, dont il est lui-même l’origine. “Il souhaite, par exemple, anticiper une hausse des prix de certains produits qui aura lieu suite à l’augmentation du prix du sucre, qui a été décidé par le gouvernement lui-même”, a-t-il conclu.