Dans une nouvelle édition actualisée et complétée de l’ouvrage «Le vieux Kram» (paru en 2016), l’auteur persévère dans sa quête insatiable d’un passé ignoré par ceux qui sont venus, d’ailleurs, par vagues successives, bien après l’indépendance et plus tard après 2011.
D’emblée, l’auteur Abdelaziz Bey, descendant des beys issus de la dynastie des Husseinites, se demande dans son ouvrage si Le Kram avait un passé, car, de nos jours, rares sont ceux qui lui en connaissent un ou le lui reconnaissent. Les témoins ne sont plus là et le dernier à tirer sa révérence fut son ami et son camarade au collège Sadiki, le journaliste critique, historien et chroniqueur Tahar Melligi.
La quête insatiable du passé
La réponse à la question de l’auteur nous parvient de Mohamed El-Aziz Ben Achour, ancien ministre de la Culture à la belle plume et directeur à l’Institut national du patrimoine, qui, en préfaçant cet ouvrage, dévoile que l’auteur nous relate avec simplicité et émotion «l’histoire fort attachante de cette villégiature où il naquit et qui, jusqu’au milieu du 19e siècle, n’était encore que le vaste domaine de Mustapha Bach Agha, haut dignitaire beylical».
Les figuiers semblent avoir occupé, dans l’exploitation de cette propriété, une place éminente puisque le nom de ce qui devint la localité présentée dans le livre est tiré de l’expression «Kram al Agha», autrement dit «Les figuiers de l’Agha». Outre un rappel historique et une reconstitution fidèle de la vie dans cette charmante banlieue de Tunis, cet ouvrage nous donne une idée claire de ce que fut jadis et naguère la vie citadine en Tunisie à partir de ce bel exemple du Kram : un attachement à l’identité arabe et musulmane allié à un art de vivre, hérité d’une histoire millénaire, ajoute Ben Achour.
Dans cet ouvrage, l’auteur persévère dans sa quête insatiable d’un passé ignoré par ceux qui sont venus d’ailleurs, par vagues successives, bien après l’indépendance et plus tard après 2011, mais aussi, ajoutons-le, par les décideurs. L’auteur dissimule mal entre les lignes un vœu bien cher, celui de voir à nouveau une cité longtemps marquée par la tolérance et la cohabitation entre musulmans, juifs et chrétiens. Abdelaziz Bey s’échine à remonter le cours du temps en frappant à la porte des beaux souvenirs de son enfance pour nous raconter l’histoire de cette cité qui a commencé avec Mustapha Bach Agha et évoque, non sans regret, son déclin à partir du début de l’exode dès 1951 des anciens Kramistes, généralement vers la France.
Et pourtant on ne parlait que du Kram…
Combien d’ouvrages consacrés à Carthage, La Goulette, La Marsa, Sidi Bou Said et autres lieux ? se demande Abdelaziz Bey. Au fait, peu de récits autour du Kram en dépit des vestiges de grandeur qui résistent encore. Si cette cité n’attire plus les visiteurs, c’est qu’elle a été délaissée au fil des ans. Le Palais construit par Sadok Bey pour son ministre Kheireddine existe encore et le dernier à l’avoir habité fut le doyen de la famille husseinite, le prince Hamouda Ben M’hamed Bey. Cette demeure princière située face à la mer a été classée récemment monument historique, mais elle se trouve actuellement dans un état déplorable, souligne l’auteur. Malheureusement, il en est de même pour d’autres monuments.
Et pourtant entre les deux guerres mondiales, on ne parlait que du Kram, de sa très belle plage et de son sable fin. Le Kram fut une station balnéaire par excellence. Les notables citadins et beldis de la Médina, les juifs de la Hara, les livournais de la Petite Sicile, les Maltais de Bab Carthagène, les colons français de toutes les régions prenaient d’assaut la petite cité, nous éclaire l’auteur.
Ce livre constitue une nouvelle édition actualisée et complétée de plus de 500 pages (IHE éditions) riches en témoignages et en illustrations. «Ce livre permettra aux plus jeunes d’apprendre comment l’on vivait autrefois au Kram, heureux, dans une atmosphère de joie, d’amitié, voire de fraternité et de respect des différences», témoigne Louis Xueref, l’un des amis de l’auteur qui a vécu dans cette cité et qui réside actuellement à l’étranger.
L’ouvrage a été présenté le 25 novembre lors d’une séance de dédicaces par le diplomate et ancien secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, Mohamed Ali Nafti (lui-même originaire du Kram) à l’emblématique salle «Ciné Vog» qui a été fondée par l’Italien Lombardo entre 1948 et 1950. «Se livrer à un exercice de mémorisation du vieux Kram, à quelques centaines de mètres de la grande cité de Carthage, s’apparente beaucoup plus à une aventure aussi complexe que compliquée. Cependant, grâce à un travail de recherche scientifique exemplaire, l’auteur a réussi à relever le défi et à exaucer un vœu cher à tout habitant fortement attaché à ses racines ancrées dans l’histoire de cette cité», a commenté le diplomate au moment de la présentation du livre en présence notamment du cheikh Hichem Ben Mahmoud, Mufti de la République tunisienne, des historiens, des écrivains, de journalistes et des habitants de cette ville en quête de découverte de l’histoire de leur commune.
M’Rad Ben Hassine Bey (Abdelaziz) est né au Kram. Cadre supérieur de l’État, il a exercé à Tunis et à l’étranger en qualité de fonctionnaire, de diplomate, de coopérant, d’enseignant et de formateur. Il est l’auteur d’un travail de recherches approfondies sur les vestiges disparus de la Chapelle St Louis de Carthage publié en 2010. Il est également l’auteur de la première édition de l’ancien Kram parue en 2015 et d’un ouvrage intitulé Ali Turki, père du fondateur de la dynastie des beys husseinites, édité en 2022 par l’Institut des hautes études, IHE Éditions.