Violence en milieu scolaire: Une recrudescence inquiétante des agressions physiques et verbales

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Les actes d’agression et de violence connaissent une recrudescence inquiétante dans les établissements éducatifs et leurs abords. Cette violence en milieu scolaire est d’autant plus préoccupante qu’elle se manifeste non seulement entre pairs, mais à l’encontre des enseignants également, qui sont de plus en plus exposés aux agressions physiques et verbales commises par les élèves et leurs parents.

Les réactions sont devenues de plus en plus disproportionnées par rapport aux motifs à l’origine des faits de violence dans les établissements scolaires. Une note qui semble injustifiée où des propos sévères tenus par un enseignant à l’encontre d’un élève inattentif et turbulent en classe peuvent alimenter des scènes d’une violence extrême qui vont au-delà d’une simple altercation verbale. Depuis le début du mois, plusieurs actes de violence ont été observés dans des collèges et des lycées. Il y a une dizaine de jours, dans un des établissements éducatifs du gouvernorat de l’Ariana, un parent d’élève a agressé physiquement un des membres de l’administration scolaire qui a sanctionné son fils à la suite d’une dispute avec un élève d’une bande rivale. L’établissement a porté plainte et l’agresseur a été mis en garde à vue.

Il y a quelques semaines, un autre établissement de la rue de Marseille a été lui aussi le théâtre d’un acte d’une violence inouïe à l’encontre d’une institutrice de l’école. Alors qu’elle venait de commencer le cours à 8h00 du matin, une parente d’élève s’est introduite dans la classe et s’en est prise violemment à l’éducatrice en la giflant et en lui donnant des coups de pied, au motif que cette dernière serait impliquée dans la décision prise par l’administration d’affecter son fils dans un autre établissement. Sidérée, l’enseignante, qui a très mal vécu ce déchaînement de violence qui a eu lieu devant ses élèves, estime qu’il s’agit d’une atteinte à son intégrité et à la sacralité de l’institution scolaire.

La semaine dernière dans le lycée «Enasser» d’El Omrane Supérieur, des élèves se sont acharnés sur un de leurs camarades de classe en lui donnant des coups de poing et des coups de pied parce que ce dernier a refusé de leur donner de l’argent. Profondément traumatisé, ce lycéen, inscrit en deuxième année secondaire, s’en est sorti avec un œil au beurre noir, une fracture du nez et des contusions sur tout le corps. Ses parents s’inquiètent aujourd’hui de l’impact de cette agression sur sa santé psychologique. «L’agresseur a eu lieu à la sortie du cours de maths, raconte Souhayla la mère de la victime. Un camarade de classe de mon fils a voulu lui extirper de force de l’argent. Face à son refus d’obtempérer, l’agresseur fait appel à d’autres élèves qui ont tabassé mon fils. Depuis cet incident abominable, mon fils ne veut plus retourner en cours, de crainte de retrouver ses agresseurs. Il a peur de circuler seul dans la rue et exige à ce qu’il soit constamment accompagné par moi ou son père». Et de poursuivre : «Le directeur de l’établissement dans lequel étudie mon fils a proposé de les passer devant le conseil de discipline et de les renvoyer définitivement de l’établissement. J’ai refusé qu’ils soient sanctionnés aussi sévèrement car le renvoi définitif mettrait un terme à leur parcours scolaire et handicaperait leur avenir. J’ai plutôt préféré qu’ils se présentent au poste de police afin qu’ils signent un acte d’engagement pour qu’ils ne tournent plus autour de mon fils et n’agressent plus personne».

Un comportement violent banalisé dans l’espace public

Selon le Dr Moez Cherif, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant, les causes à l’origine de cette violence en milieu scolaire puisent, entre autres, leurs racines dans l’éducation «violente» des parents basée sur les coups donnés à l’enfant pour lui inculquer ce qui est «bien» et ce qui est «mal» et ce qu’il est autorisé à faire et à ne pas faire. Ce comportement «violent» à l’égard des enfants a été normalisé et est transmis de génération en génération. «D’après les dernières statistiques, 83% des enfants ont été victimes au moins une fois dans leur vie d’une forme de maltraitance, affirme Dr Cherif. Or, l’enfant est le miroir de la société dans laquelle il vit. Il va reproduire dans l’espace public les comportements et les schémas de violence qu’il a  subis et intériorisés depuis son plus jeune âge».

Par ailleurs, l’absence de mécanismes de dialogue au sein de l’institution éducative et la rupture des liens de confiance entre les éducateurs, les élèves et les parents d’élèves auraient pour effet de renforcer le sentiment de frustration chez les enfants, poursuit le médecin. Le comportement violent observé chez certains collégiens et lycéens est le reflet, en effet, de l’échec de la politique de l’Etat, dont l’absence d’une vision claire pour le devenir de l’enfance s’est traduit par l’impuissance de l’institution et des structures éducatives à préparer les enfants à devenir des citoyens responsables, tolérants et respectueux d’autrui. «Dans chaque établissement éducatif, il doit y avoir un conseil d’école qui réunit des représentants de l’administration scolaire, des enseignants et des parents d’élèves afin de discuter des mesures qu’il faudrait prendre pour améliorer les conditions d’enseignement et de la vie scolaire en général, tout en prenant en considération les attentes des élèves. Or, ces conseils d’école sont inexistants, souligne le président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant. «La lutte contre le comportement violent en milieu scolaire doit avoir lieu en amont et revêtir une forme préventive et non punitive. L’institution éducative doit rétablir les moyens de communication avec les élèves et les parents d’élèves et instaurer le dialogue afin d’atténuer les sentiments de frustration et d’injustice. Elle doit mettre en place des activités parascolaires qui répondent aux besoins et attentes des élèves et qui développent chez eux le sentiment d’empathie, ce qui éviterait ainsi de les laisser dans la rue livrés à eux-mêmes. Or le vide qui existe dans ce domaine cède la place au comportement violent», renchérit le médecin.

D’après Moez Cherif, la lutte contre la violence scolaire doit impliquer tous les intervenants dans le secteur de l’enfance qui, au lieu, d’éparpiller leurs efforts, doivent les orienter dans la même direction afin de conférer plus d’efficience aux mesures à mettre en place pour promouvoir l’intérêt de l’enfant et répondre à ses besoins. «Au lieu d’aménager des maisons de la jeunesse qui sont vides parce que leurs activités n’attirent pas les enfants, tous les efforts devraient être concentrés sur les moyens de développer des activités essentiellement au sein des établissements éducatifs qui répondent aux attentes des élèves en matière de loisirs, de sport, de culture…», relève le médecin.

Mais ces perspectives, visant à améliorer la vie scolaire, ne semblent pas pour l’heure figurer parmi les priorités du ministère de l’Education.

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