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« On ne se sauve pas seul »

Editorial La Presse

Avant même sa sortie officielle début janvier, le nouveau film Moi capitaine de Mateo Garrone a raflé deux prix prestigieux : le Lion d’argent de la meilleure réalisation et le prix du meilleur espoir pour l’acteur Seydou Sarr à la Mostra de Venise. Plus important, il a été projeté au Vatican, spécialement pour le Pape François, et présenté également au siège du Parlement européen. Qu’a-t-il de spécial Moi capitaine pour avoir ces honneurs avant d’être encensé par le public ?

D’une actualité brûlante, le film traite de l’immigration clandestine, une histoire (lit-on) qui tire ses racines dans la réalité quasi quotidienne, celle d’une traversée de l’Afrique par deux jeunes Sénégalais de 16 ans qui décident de quitter leur famille et leur terre pour rejoindre l’Italie. Dans cette odyssée moderne, les deux migrants vont découvrir le pire de l’humanité et frôleront la mort à chaque étape de leur voyage. Pourquoi un film devant le Pape ?

Parce que le discours de chaque nouvel an est attendu par le monde entier et entendu par tous les chrétiens, parce qu’il est très écouté dans plusieurs pays (il a en l’occurrence participé à la libération de prisonniers de guerre entre la Russie et l’Ukraine). Son homélie de l’année 2022 sur l’esclavage est passée inaperçue, ou presque ; elle n’a apparemment pas eu l’écho ni l’éclat qu’elle méritait ; la voix n’était pas soignée, faible et tremblante, mais le sens du discours était frappant et pertinent.

Après avoir exprimé sa compassion et embrassé des Africains handicapés de guerre, devant une population emplie d’enthousiasme, le pape des pauvres déclare que les habitants du continent africain sont « la proie du colonialisme économique ». En même temps que la sortie du film, l’Assemblée nationale française a durci l’entrée des étrangers, en adoptant une loi inédite, d’une ampleur telle qu’elle divise le pays : démission de ministres, fronde de l’opposition, contestation dans les universités et insoumission d’une bonne partie de la population. Où l’on constate que la loi sur l’immigration adoptée réfute et abroge l’un des commandements de la chrétienté : l’hospitalité. Au cours de cette année, on a recensé 2.500 êtres humains morts ou disparus en Méditerranée. A qui la faute ?

Au bouleversement climatique notamment, au « colonialisme économique » cité par le Pape ; et la guerre ? Plus de 20.000 morts à Gaza, des milliers d’errants qui ne peuvent pas sortir de l’enclave. Dans son homélie prononcée dimanche dernier, lors de la messe de Noël en la Basilique Saint-Pierre, le Pape déplorait déjà « le fracas des armes » dans la bande de Gaza qui a terni les célébrations à Bethléem — où, selon la tradition, est né JésusChrist —, en Cisjordanie occupée. Il a incessamment insisté sur la protection de nos semblables, les plus faibles et sans défense. «Personne ne peut se sauver seul», dit-il.

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