Forum de l’Académie politique : Lutter contre la pauvreté et renforcer le pouvoir d’achat, priorité n°1

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Une rencontre-débat sur la pauvreté, le pouvoir d’achat et les solutions de sortie de crise à envisager a été organisée vendredi dernier par le Forum de l’Académie politique (Foap) et la Konrad-Adenauer-Stiftung Tunisie, au siège de Beit el-Hekma à Carthage, dans le cadre des soirées romanesques thématiques.

Un thème récurrent qui ne manque pas de susciter les débats, d’autant que les indicateurs économiques ne font que démontrer la persistance des difficultés économiques, en dépit d’un léger mieux lié au recul du taux d’inflation. Mais, ce taux reste élevé par rapport à la norme estimée à 3%, selon l’expert Moez Joudi, président de l’Institut tunisien des administrateurs qui a animé le débat. Il a, au cours de son intervention, établi un diagnostic de la situation et les différentes solutions préconisées.

«Si aujourd’hui on entend souvent évoquer le pouvoir d’achat du citoyen, c’est parce que ce dernier s’impose dans l’agenda politique. Chaque hausse des prixdévoile non seulement les inégalités sociales croissantes, mais surtout le sentiment qu’il devient impossible d’atteindre le niveau de vie promis à ceux qui travaillent en se considérant comme intégrée à la société», souligne le Foap dans son argumentaire, pointant à cette occasion les gouvernements qui se sont succédé et «les mesures à l’emporte-pièce» qu’ils ont prises durant plus d’une décennie.

Le Nord-Ouest se distingue par une réduction sensible du taux de pauvreté

Les statistiques présentées lors du débat ne laissent pas de doute, un taux d’inflation qui a reculé à 7,8% en janvier 2024 contre 8,1% en décembre 2023, un taux de pauvreté qui est passé de 15,2 % en 2015 à 16,6% en 2021, alors qu’on note une stabilisation du taux de pauvreté sévère ou extrême qui est de 2,9%, soit le même taux enregistré en 2015, selon l’Enquête nationale du budget consommation et niveau de vie des ménages 2021 publiée en 2023 par le l’INS.

Une lecture des résultats par grandes régions reflète une augmentation de la pauvreté dans plusieurs régions du pays entre 2015 et 2021. Le Centre-Ouest demeure la région la plus touchée, avec 37% en 2021, contre 30,8% en 2015, contrairement à la région du Nord-Ouest qui se distingue par une réduction sensible du taux de pauvreté, passant de 28,4% en 2015 à 22,5% en 2021.

En termes d’inégalité entre individus (ou ménages), une légère réduction des disparités a été enregistrée au niveau national, alors que dans toutes les autres régions du pays, les inégalités auraient légèrement augmenté, selon la même source.

Une classe moyenne qui se défend malgré des conjonctures difficiles

Partant de ses statistiques et se référant au tableau de bord économique élaboré à cette occasion, indiquant les taux d’inflation en 2023 (9,3%) et en février 2024 (7,5%), l’expert Moez Joudi a tenté de peser au trébuchet les causes et les conséquences de certains choix économiques depuis 2011 qui ont conduit à la hausse de l’inflation. Il explique à ce titre que l’un des points forts de l’économie nationale a été la classe moyenne qui a évolué au fil des ans, ensuite a reculé, au point qu’une partie de cette classe s’est paupérisée et a basculé dans la pauvreté.

Cette situationest la conséquence de plusieurs facteurs. Le premier est relatif à cette tendance haussière de l’inflation depuis 2011 au moment où la norme internationale est située à 3%. A cet effet, il pointe le déséquilibre entre l’offre et la demande.  L’offre provient de la production et celle-ci est issue de l’investissement qui doit prospérer dans un climat marqué par les incitations fiscales, l’efficience et la rapidité des formalités administratives ainsi que la bonne gouvernance, la stabilité politique et sécuritaire, ce qui a manqué au pays depuis 2011, selon lui.

Sous l’effet de ces facteurs et l’absence de vision claire pour faire face à cette situation, l’offre a baissé, alors que la demande a continué à grimper. D’autres facteurs exogènes sont à prendre en compte, notamment en 2012 et 2013. Ils sont inhérents à la situation en Libye qui a conduit à une vague de migration vers notre pays, augmentant ainsi la demande face à une offre qui a considérablement baissé. Il rappelle aussi les effets dévastateurs de la pandémie de Covid-19 sur l’économie tunisienne et partout ailleurs.

La baisse de la compétitivité du produit tunisien et les facteurs précités ont provoqué la dépréciation du dinar tunisien face à l’euro et au dollar, ce qui a conduit au phénomène de l’inflation importée (une hausse générale et durable des prix due à une augmentation des coûts des produits importés). Plus il y a de pression sur le dinar tunisien, plus l’inflation importée risque d’augmenter, analyse-t-il.

Les augmentations salariales  de l’époque ont été aspirées par l’inflation

Il faut dire que la montée des contestations et pressions syndicales depuis 2011 a conduit à l’augmentation non étudiée des salaires, au moment où l’appareil productif était pratiquement en panne. «Quand on augmente les salaires, on stimule encore plus la demande et si l’offre ne suit pas la demande, on va avoir des pressions inflationnistes, cela traduit bien la mauvaise réponse des gouvernements de l’époque qui se sont succédé face à la crise économique», souligne l’expert. Et d’ajouter «ils ont augmenté les salaires au moment où il n’y avait pas les moyens budgétaires et il n’y avait pas un cycle de croissance économique».

Ainsi, l’augmentation des salaires n’a pas eu l’effet escompté et n’a pas contribué pour autant à consolider le pouvoir d’achat des ménages, puisque les prix étaient sur une tendance haussière parallèlement. En augmentant les salaires, les gouvernements successifs ne faisaient qu’augmenter l’inflation, puisqu’ils ont stimulé la consommation face à une offre qui était toujours en baisse. L’État a emprunté de l’argent en devises auprès des institutions financières internationales avec des taux d’intérêt élevés pour financer non pas l’investissement mais les dépenses publiques.

Parmi les autres facteurs qui ont conduit à la hausse de l’inflation, Moez Joudi évoque les circuits de distribution qui sont toujours pointés du doigt par le Président de la République. Ces circuits, dont une bonne partie s’adonne à des pratiques douteuses pour ne pas dire hors-la-loi, impactent négativement les prix et il est grand temps, selon lui, d’appliquer fermement la loi et prendre des décisions courageuses.

Quelques mesures à prendre

S’attardant sur le rôle de la Banque centrale et des banques en général, Joudi explique que le rôle de la Banque centrale est de juguler l’inflation, mais l’augmentation du taux directeur qui  est actuellement de 8%, demeure une arme à  double tranchant, met-il en garde, puisqu’elle pourrait freiner la croissance. En effet, le coût du financement de l’investissement devient plus cher au moment où le coût du crédit devient beaucoup plus onéreux pour les moyennes et petites entreprises.

Cela est de nature à impacter systématiquement la croissance.  

Quant aux solutions préconisées, l’orateur insiste sur la nécessité de procéder à des réformes au plus tôt et à des transformations qui touchent certains pans de l’économie nationale.

L’État doit jouer le rôle de régulateur et libérer encore plus l’initiative privée, alléger les mesures et restrictions administratives, transformer le secteur financier bancaire, les services publics, la caisse de compensation, les caisses de sécurité sociale, et notamment la fonction publique, d’autant que la masse salariale est d’environ 22 milliards de dinars. Les mots clés sont donc la transformation, la production, l’investissement. Il faut éviter les solutions de rechange et travailler sur la transformation de notre système économique pour aboutir à un système plus fiable, plus performant et plus pertinent en mesure de répondre aux ambitions et aux attentes des Tunisiens, conclut-il.

Le Forum de l’Académie politique indique, dans un document distribué, que selon les avis de certains experts économiques, il faudrait mettre en place un système bancaire solide qui exerce un effet visible sur la réduction de l’inflation. D’autres facteurs à l’instar de la stabilité macroéconomique et du développement des marchés financiers sont à mettre en œuvre pour contrer du hausse des prix des services et des produits sur le marché afin de pouvoir lutter contre la dégradation du pouvoir d’achat et la hausse de l’inflation.

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