Accueil A la une Santé publique : Lutter contre la rage, les solutions existent malgré tout

Santé publique : Lutter contre la rage, les solutions existent malgré tout

 

Il est compréhensible que la résurgence de la rage suscite des craintes, voire une certaine psychose, mais l’essentiel est que cette situation ne se transforme pas en panique générale. Des réactions extrêmes, comme des campagnes d’abattage de chiens, pourraient non seulement être inefficaces mais également contre-productives. 

La Tunisie est confrontée à une résurgence alarmante des cas de rage, une maladie contagieuse et mortelle qui avait été largement contrôlée dans le passé. Cette recrudescence soulève des questions en lien avec la santé publique, la gestion des animaux errants, et l’efficacité des politiques de vaccination. Cependant, il ne faut pas céder à la panique qui commence à s’installer et qui pourrait se traduire, entre autres, par une maltraitance des animaux errants et même domestiques.

A cet égard, le Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, a présidé, lundi 19 août 2024, au Palais du gouvernement à La Kasbah, un Conseil ministériel restreint consacré à l’examen des mesures à prendre pour prévenir la propagation de la rage. Il est surtout question de l’activation de la cellule de crise du ministère de la Santé et la mise à disposition de numéros verts pour informer, orienter et sensibiliser les citoyens, et assurer un soutien psychologique par des spécialistes si nécessaire.

Le Conseil ministériel a également décidé de renforcer les axes du programme national de lutte contre la rage, révision et mise à jour en fonction des développements actuels. Ces mesures portent également sur des interventions afin d’améliorer l’environnement et éliminer les dépotoirs sauvages des déchets ménagers. Toujours selon la présidence du gouvernement, le Conseil ministériel a décidé d’élaborer un cadre juridique pour réglementer la détention d’animaux dangereux et de chiens.

Fin tragique d’un jeune bachelier

La semaine dernière, le décès d’un jeune bachelier à Sousse à la suite d’une griffure d’un chat enragé a provoqué un choc. En effet, ce jeune de 19 ans, originaire d’Enfidha, est décédé jeudi 15 août des suites de la rage après avoir été griffé par un chat. Selon les déclarations du directeur régional de la santé de Sousse, Chokri Loussif, le jeune homme avait été griffé au bras par un chat en mars dernier, ce qui l’avait conduit aux urgences d’Enfidha, où il avait reçu une première dose de vaccin antirabique. Il a ajouté que le jeune homme s’était rendu au dispensaire d’Enfidha pour recevoir une deuxième dose du vaccin, mais qu’il n’avait pas, hélas, complété le reste des doses et des mesures préventives nécessaires pour éradiquer la maladie.

En tout état de cause, ce décès tragique a rouvert le débat autour de la résurgence alarmante de la rage et de la capacité de la Tunisie à lutter contre cette maladie grave. Question : comment peut-on lutter ou du moins traiter cette maladie ?

Contacté à cet effet, l’Institut Pasteur de Tunis nous explique qu’il n’y a pas, pour le moment, de traitement curatif de la rage, une fois celle-ci est déclarée. Il existe un traitement après exposition au risque rabique. Celui-ci consiste en une vaccination qui fait apparaître une protection avant que la maladie ne se déclare, mais l’essentiel est que la personne concernée se présente à un centre hospitalier dans les 24 heures qui suivent la griffure ou la morsure. «Le rôle de l’IPT est d’assurer et de fabriquer ce genre de vaccin, mais aussi de généraliser la vaccination à tous les centres concernés, on veille à fabriquer également des sérums pour les besoins du pays», a-t-on expliqué. Toujours selon l’Institut Pasteur de Tunis, le traitement post-exposition se compose de plusieurs étapes : le nettoyage de la plaie, l’administration d’immunoglobulines antirabiques (RIG) et enfin la vaccination antirabique avec plusieurs rappels. «L’État tunisien offre gratuitement aux citoyens le vaccin dans les 362 centres de vaccination antirabique répartis sur tout le territoire», a-t-on également rappelé.

L’abattage des chiens n’est pas une solution 

Cela dit, si cette maladie, une fois déclarée, provoque malheureusement une mort certaine, la prise en charge post-exposition et la vaccination s’avèrent cruciales. D’ailleurs, c’est ce que confirme le doyen des vétérinaires, Ahmed Rajeb, qui estime qu’«il est nécessaire de vacciner les chiens errants contre la rage et non seulement les chiens domestiques», soulignant que «les campagnes d’abattage des animaux errants n’est pas une seule solution efficace à ce problème, mais qu’elle peut être appliquée en cas de nécessité extrême, notamment dans les zones infestées».

Rajeb a rappelé à La Presse que «la transmission de la rage de l’animal infecté à l’homme se fait par morsure, griffure ou léchage», ajoutant que «la personne qui a été exposée doit se rendre au centre le plus proche pour recevoir les vaccins nécessaires ainsi que les premiers soins». Il a également appelé à «maintenir la propreté de l’environnement pour limiter la propagation de l’épidémie, en plus de surveiller les chiens errants», affirmant que «chacun doit assumer ses responsabilités» dans ce qu’il appelle une crise sanitaire. Selon lui, les six premiers mois de 2024 ont enregistré neuf décès humains et plus de 200 cas d’animaux infectés, un bilan préoccupant comparé aux chiffres de l’année précédente (six décès humains et plus de 350 animaux). Rejeb a souligné que la mortalité animale élevée cette année indique une propagation croissante de la maladie, due aux morsures entre animaux. Il a appelé à une vigilance constante, notamment par la vaccination, pour éviter une propagation encore plus importante l’année prochaine. Il a également alerté les autorités, y compris le ministère de l’Agriculture, sur le fait que la rage, étant incurable, constitue un enjeu de santé publique.

Ne pas céder à la panique !

Au cours des dernières années, le nombre de cas de rage chez les animaux et les humains a augmenté de manière préoccupante en Tunisie. Ce phénomène est particulièrement alarmant dans les zones rurales, où l’accès aux soins de santé et aux vaccins demeure limité, mais aussi dans les quartiers du Grand-Tunis où l’on observe la reproduction de foyers de chiens errants. En effet, selon les différents intervenants, les chiens errants sont le principal réservoir du virus de la rage. La prolifération des chiens non vaccinés et sans surveillance dans les zones urbaines et rurales favorise la propagation du virus. Les efforts de stérilisation et de vaccination restent à ce stade insuffisants.

Autant dire qu’il est compréhensible que la résurgence de la rage suscite des craintes, mais il est essentiel que cette situation ne se transforme pas en panique. Des réactions extrêmes, comme des campagnes d’abattage de chiens, pourraient non seulement être inefficaces mais aussi contre-productives.

L’abattage des chiens errants risque d’être perçu comme un raccourci qui ne traite pas les causes profondes du problème et pourrait même aggraver la situation, en perturbant les populations canines et en augmentant la transmission du virus. C’est l’idée que défend Mehdi Esseghir, vétérinaire et activiste de la société civile, qui lutte pour les droits et la protection des animaux.

Pour des  efforts coordonnés avec les associations locales et internationales

Selon lui, l’Etat tunisien peine à mettre en place une politique de gestion de la prolifération des chiens errants qui reste intimement liée à la situation environnementale. Il rappelle que les foyers de pollution dans les villes contribuent à la prolifération de ces bêtes que les municipalités, en sous-effectif et ne disposant ni des moyens ni des outils nécessaires, peinent à contrôler.

Toujours selon le militant, il faut élargir la couverture vaccinale aux animaux domestiques et errants qui reste une priorité. Des efforts coordonnés avec les associations locales et internationales peuvent aider à vacciner un plus grand nombre de chiens, notamment dans les zones à haut risque et pour installer des refuges pour ces bêtes, a-t-il également appelé.

Le ministère de la Santé, qui a redoublé d’efforts, notamment par la généralisation des campagnes de vaccination, a signalé, récemment, plusieurs décès humains dus à la rage, mettant en lumière les défis persistants en matière de prévention et de contrôle. La résurgence de la rage a des répercussions graves non seulement sur la santé publique, mais aussi sur l’économie.

Le coût du traitement post-exposition est élevé, et les décès dus à la rage sont particulièrement tragiques, car la maladie est entièrement évitable avec une vaccination appropriée. En outre, la peur de la rage affecte les communautés, créant une méfiance envers les animaux, perturbé également les modes de vie traditionnels. 

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