Transport aerien : Tunisair face au débauchage de ses hautes compétences

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De plus en plus de pilotes, commandants de bord et techniciens de maintenance nautique mettent le cap sur les pays du Golfe. Fragilisation et désorganisation menacent la maison mère, Tunisiar. Quelles solutions de rechange s’offrent au transporteur national et à la Tunisie ?

Selon les chiffres révélés récemment par l’Association internationale du transport aérien (IATA : International air transport association), 4,8 milliards de personnes ont pris l’avion, du 1er janvier 2024 au 30 juillet dernier, soit une hausse de 8% par rapport à la même période de l’année écoulée.

Sur ces milliards d’âmes, combien de passagers ont été transportés par le transporteur national ? Les statistiques de l’Iata, instance suprême de l’aviation civile dans le monde, ne le disent pas. Mais il est certain que la Tunisie a eu sa part du gâteau, puisque les chiffres publiés au début du mois courant par l’Office de l’aviation civile et des aéroports (Oaca) ont démontré que le trafic aérien des passagers via les aéroports du pays a évolué de 9,9% au cours des sept premiers mois de 2024, pour s’établir à 5,3 millions de personnes. Cela s’est traduit par une augmentation de 2,6% du chiffre d’affaires passé à 694,536 millions de dinars, bien loin, évidemment, des années folles de la Gazelle nationale qui, avant 2011, s’amusait à accumuler des recettes flirtant chaque année avec un milliard de dinars.

Un assainissement qui s’imposait

Si notre compagnie aérienne, forte de 75 ans d’existence, est restée compétitive à ce jour, cela témoigne de son étonnante capacité de résistance, en dépit des vicissitudes, des crises et des zones de turbulences qu’elle avait traversées, au point de friser, à maintes reprises, l’effondrement. Le Chef de l’Etat avait annoncé, le lundi 1er avril dernier, qu’elle ne sera jamais cédée, quand tout le monde ne cessait d’appeler à sa privatisation. L’opération d’assainissement qui s’ensuivit a vite redonné des ailes à la compagnie, par la révision des états comptables, la réduction du nombre du personnel (6 mille actuellement, contre 8 mille auparavant) et le durcissement de la lutte contre la corruption qui minait la boîte, d’où l’arrestation de plusieurs cadres et syndicalistes qui attendent aujourd’hui d’être jugés.

Dans la foulée, la flotte aérienne qui comptait 15 appareils s’est renforcée par l’acquisition de deux nouveaux avions. Ce qui a permis d’atteindre la bonne moyenne de 50 vols par jour. «On aurait pu même faire mieux, n’eût été le vieillissement d’une partie de la flotte», affirme Amor Sidhom, mécanicien d’avion, qui suggère «l’acquisition d’appareils neufs pour mettre fin à la spirale des dizaines de milliards de millimes consacrés aux pièces de rechange et travaux de réparation et d’entretien».

..Et pour quelques milliers dollars de plus !

Membre de l’Iata certifié Iosa, Tunisair s’est, comme on le sait, transformée en holding, avec la création de «Tunisair Technics»  et de «Tunisair Handing» qui sont respectivement chargées de l’entretien, de la réparation, de la mise en route de la flotte et des menus servis à bord.

La compagnie nationale se heurte cependant à un nouveau phénomène, à savoir l’exode de ses compétences à l’étranger. Cela a notamment touché de plein fouet aussi bien le PNC (personnel navigant commercial qui compte plus de 800 hôtesses et stewards) et le PNT (personnel navigant technique composé des pilotes et des commandants de bord). Ces deux corps qui ont, chacun, son propre syndicat et qui, plus est, représentent plus de la moitié de tout l’effectif de Tunisair, sont très convoités par des compagnies aériennes étrangères, particulièrement celles des pays du Golfe qui se les arrachent, persuadées, plutôt impressionnées qu’elles sont par la flatteuse réputation de compétence et de professionnalisme des nôtres.

Il est vrai que la Tunisie, faut-il le rappeler sans aucun excès de patriotisme, a enfanté, depuis 1949 et grâce surtout au Centre de formation militaire de Borj El Amri, des pilotes et commandants de bord (CDB) de renommée internationale, dont les Bouraoui Ben Ali, Mohamed Ben Kilani, Sahbi Bornas, Hatem Ellouz, Mounir Ajlani, Olfa Lajnef et autres Abderrahman Barguaoui, Rached Ezzahi, Mourad Boughdir, Zied Garbouj et, bien sûr, l’inoubliable Alya Menchari, première femme pilote puis CDB en Tunisie, en Afrique et au Moyen-Orient. «Les pays du Golfe n’hésitent pas à nous proposer des ponts d’or pour nous recruter», déclare le CDB Sahbi Bornas qui évoque une véritable OPA qui n’est pas près de s’essouffler. «Cela a commencé, se remémore-t-il dans les années 70-80, avec les premiers contingents partis en Arabie saoudite, avant de voir les Émirats arabes unis, Oman puis le Qatar lui emboîter le pas. Personnellement, ajoute-t-il, j’ai dit non à leurs offres, pourtant fort alléchantes, tout simplement parce que, Dieu merci, je gagne bien ma vie ici».

Les vols cauchemars

Effectivement, à l’opposé des hôtesses et stewards de Tunisair dont le salaire mensuel ne dépasse pas les 1.700 dinars, les pilotes et CDB, eux, sont royalement payés : une mensualité qui varie entre 7 et 8 mille dinars, et entre 10 et 22 mille dinars, en tenant compte, dans les deux catégories, du nombre d’heures de navigation, du nombre de vols et de la longueur de la destination).

«Dans un pays du Golfe, un CDB gagne cinq fois plus que chez nous, soit entre 20 et 25 mille dollars par mois», affirme M. Bornas qui précise que «le travail dans ces pays est autrement plus pénible, à cause de la fréquence des vol “longs courriers transcontinentaux, ce qu’on appelle dans notre jargon aérien” les vols cauchemars».

En outre, les sirènes des pétrodollars ne cessent d’envoyer leur chant aux techniciens de maintenance nautique de Tunisair qui succombent, à leur tour, à la tentation du départ. Une soixantaine d’entre eux viennent récemment d’être enrôlés par les compagnies aériennes émiratie et qatarie.

Quid de la formation ?

Certes, voir partir ces compétences à l’étranger est inquiétant mais reste tout de même une source de fierté pour un pays qui a été toujours une mine de fabrication de talents. Reste maintenant à savoir si le vide que cette main-d’œuvre hautement qualifiée laisse est facile à combler ou pas.

Question lancinante et un dossier qu’il va falloir traiter d’urgence, pour au moins trois raisons. Premièrement, parce que le nombre de centres de formation spécialisés est réduit à l’échelle natinale, voire insignifiant. Deuxièmement, parce que les frais de participation aux stages et sessions de formation sont de plus en plus chers. Troisièmement, parce que plusieurs stagiaires promus de ces centres n’ont pu être recrutés par nos compagnies aériennes, malgré les dizaines de millions investies dans chaque cycle de formation. Le débat reste ouvert. 

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