La coopération entre la Tunisie et les pays du Golfe s’est renforcée ces dernières années dans divers secteurs, notamment économique, financier et énergétique. Elle s’est consolidée par le biais de forums régionaux et internationaux, tels que le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Néanmoins, elle reste en deçà des espérances et des attentes, en dépit des efforts déployés de part et d’autre et des relations de fraternité solides. Quels sont les secteurs d’activité à promouvoir avec les pays du Golfe et quels sont les domaines où notre pays peut se prévaloir d’une expertise confirmée ? Le point sur une coopération appelée à se renforcer davantage.
En 2021, les importations en provenance des pays du Conseil de coopération du Golfe ne représentaient que 0, 59% alors que le taux des exportations n’a pas dépassé le seuil de 0,21% en direction de ces pays. Un léger mieux a été enregistré dans les années qui ont suivi le déclenchement du processus du 25 juillet, en particulier en matière d’échange avec les Emirats arabes unis, avec une évolution de 107% rien qu’en 2022, selon les statistiques dévoilées par le Centre de promotion des exportations (Cepex). En effet, 60% des exportations tunisiennes sont destinées aux EAU. Le nombre des entreprises exportatrices à destination de ce pays a également augmenté. Il est passé de 231 en 2021 à 242 l’année suivante. A la fin du mois de septembre de l’année dernière, le volume des échanges commerciaux entre la Tunisie et les EAU a atteint 787,4 millions de dinars, d’après la même source.
Signature d’un mémorandum d’entente
Conscientes de la nécessité d’accélérer le rythme de cette coopération, le ministère des Affaires étrangères et le Secrétariat général du Conseil de coopération du Golfe avaient signé en juin 2023, un mémorandum d’entente portant création d’un mécanisme de concertation. Cet accord vise aussi à renforcer la concertation entre les deux parties et à développer les relations de coopération, notamment à travers l’établissement d’un plan de travail riche et varié pour les années à venir.
De son côté, le ministre saoudien de l’Investissement, Khalid bin Abdulaziz Al-Falih, n’a pas manqué, lors d’une visioconférence tenue le 17 septembre dernier avec le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Abdelhafidh, d’insister sur la disposition de son pays d’investir en Tunisie, dans plusieurs secteurs d’activité, dont notamment le tourisme, le transport maritime, les énergies renouvelables et l’industrie.
Dans le même effort de consolidation des relations de coopération, le président de l’Assemblée des représentants du peuple, Brahim Bouderbala, a reçu, lundi 16 septembre, au Palais du Bardo, une délégation émiratie conduite par Mohamed Ahmed al-Yamahi, membre du Conseil national de la Fédération des Emirats arabes unis et candidat à la présidence du Parlement arabe. A ce propos, les membres de la délégation ont souligné l’importance de la coopération tuniso-émiratie qui ne cesse de se développer dans divers domaines et réaffirmé la détermination de leur pays à consolider la coopération parlementaire au service des intérêts communs
Cette évolution positive a été accompagnée par d’autres bonnes nouvelles, à l’instar de l’annonce faite autour de la reprise du mégaprojet «Tunis sports city», en dépit des ajournements, et la signature en ce mois de septembre, des contrats de réalisation du CHU Roi Salman Bin Abdleaziz à Kairouan avec, en partie, un financement saoudien s’élevant à plus de 85 millions de dollars.
Des fondations solides
Faisant le point autour de cette coopération, Zied Sdiri, membre du bureau exécutif de la Conect international, nous explique à ce propos, que la coopération entre la Tunisie et les pays du Golfe, bien qu’elle date de plusieurs décennies, a souvent été perçue comme en deçà des attentes, notamment en matière de flux d’investissements et d’échanges économiques. Il confirme, cependant, que ces dernières années, on observe une volonté commune et croissante de revitaliser cette coopération, comme en témoignent les récentes déclarations des responsables tunisiens et leurs homologues du Golfe, principalement d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Cette relance est porteuse de nouvelles opportunités dans divers secteurs stratégiques pour les deux parties.
Cette coopération repose sur des bases historiques solides, mais elle n’a pas encore atteint le niveaux souhaité. «En termes d’investissements directs étrangers, les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont contribué à certains projets en Tunisie, principalement dans les secteurs des infrastructures, de l’immobilier et du tourisme. Cependant, les flux d’investissements restent relativement modestes par rapport à ceux d’autres pays de la région Mena».
En effet, d’après les données disponibles, en 2022, les investissements saoudiens en Tunisie ont atteint près de 60 millions de dollars, tandis que les Émirats ont investi 75 millions de dollars. Des chiffres encourageants certes, mais encore très loin du potentiel des deux pays. Ces investissements pourraient être considérablement renforcés avec une approche stratégique plus ciblée.
Des secteurs à promouvoir et des synergies à développer
Quant aux secteurs qui offrent un potentiel de développement important, Zied Sdiri évoque, en premier lieu, celui des énergies renouvelables du fait que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont investi massivement dans ce secteur, dans le cadre de leur volonté de diversifier leur économie (Vision 2030 pour l’Arabie saoudite).
La Tunisie, riche en ressources naturelles comme l’énergie solaire, pourrait bénéficier de partenariats technologiques et financiers afin de mieux développer cette filière. Les technologies agricoles (agritech) sont à prendre en considération également, car le secteur agricole tunisien, qui représente une part significative de l’économie nationale, pourrait profiter de la coopération avec les pays du Golfe dans l’innovation agricole et l’agriculture durable. La Tunisie dispose d’une expertise en gestion de l’eau et des ressources naturelles, un savoir-faire précieux pour des pays comme les Émirats où l’agriculture reste limitée par les conditions climatiques.
Notre expert insiste aussi sur la filière du tourisme médical et de bien-être qui est reconnu pour sa qualité et ses coûts abordables dans notre pays. «En encourageant la coopération avec les pays du Golfe, la Tunisie pourrait devenir une destination privilégiée pour les patients saoudiens et émiratis à la recherche de soins médicaux et de bien-être». Il ajoute que les pays du Golfe investissent massivement dans la transformation digitale. La Tunisie, avec son vivier de talents dans le secteur des TIC, pourrait jouer un rôle clé en devenant un fournisseur de services numériques pour les entreprises et les gouvernements de ces pays.
Ce que la Tunisie peut offrir, de l’expertise et du savoir-faire
La Tunisie dispose donc de plusieurs atouts qu’elle peut faire fructifier et pour renforcer cette coopération également par le biais d’une main-d’œuvre qualifiée. Grâce à ses universités et écoles d’ingénieurs, la Tunisie forme chaque année, un nombre important de jeunes diplômés compétents dans des secteurs tels que les technologies de l’information, l’ingénierie et la santé. Cette expertise peut être mise à profit pour répondre aux besoins des pays du Golfe en matière de talents.
Il ne faut pas oublier non plus notre savoir-faire dans les industries agroalimentaires. Ce secteur est reconnu pour ses produits de qualité, notamment l’huile d’olive, les dattes, et les produits transformés. Ces produits sont très demandés dans les pays du Golfe, où le secteur de la grande distribution se développe rapidement. Et pour terminer, Zied Sdiri met en évidence l’importance du domaine du bâtiment. Avec l’expérience des entreprises tunisiennes danc ce secteur, la Tunisie pourrait participer aux grands projets d’infrastructure lancés dans les pays du Golfe.
Lacunes et opportunités d’amélioration
Bien que les opportunités de coopération soient nombreuses, certains manquements de la part de l’État tunisien freinent parfois l’élan des relations avec les pays du Golfe. Ces lacunes se situent à plusieurs niveaux, selon notre interlocuteur. Sur le plan de la diplomatie économique, on est appelé à renforcer nos relations économiques avec ces pays, ce qui nécessite une diplomatie proactive, avec des initiatives régulières pour promouvoir l’attractivité de la Tunisie. Les efforts diplomatiques actuels pourraient être plus coordonnés et centrés sur également la création d’opportunités commerciales.
L’instabilité politique de ces dernières années a souvent refroidi les investisseurs étrangers, y compris ceux des pays du Golfe. En outre, notre interlocuteur accuse la lourdeur administrative et la complexité des procédures de création d’entreprises en Tunisie qui constituent des obstacles que le gouvernement doit aplanir rapidement, afin d’encourager les investisseurs à monter des affaires chez nous. Bien que notre pays soit bien positionné géographiquement, les infrastructures portuaires et aéroportuaires nécessitent également des améliorations conséquentes pour faciliter les échanges commerciaux avec les pays du Golfe. Une meilleure connectivité logistique est essentielle pour soutenir la croissance des échanges bilatéraux, souligne encore l’expert de la Conect, Zied Sdiri .
La coopération entre la Tunisie et les pays du Golfe, bien qu’en dessous de ses capacités, est en voie de relance grâce à des initiatives bilatérales. Les secteurs des énergies renouvelables, de l’agritech, du tourisme médical, et des services numériques offrent de vastes perspectives de collaboration. Pour saisir ces opportunités, la Tunisie devra, conclut notre expert, améliorer la législation économique, renforcer ses relations diplomatiques, et améliorer l’environnement des affaires, en simplifiant les démarches, afin d’attirer plus d’investissements et de devenir véritablement attractive pour les pays du Golfe.