L’appel à un congrès exceptionnel, indépendant et démocratique est plus pressant que jamais. L’opposition syndicale réclame ouvertement sa tenue au plus vite. Ceux qui se montrent plus hésitants le souhaitent en catimini, alors que les partisans de l’équipe dirigeante usent de tous les moyens pour rester en place, optant pour cette stratégie contre-productive de la fuite en avant.
Le 20 janvier dernier, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a fêté ses 78 ans. Un anniversaire pas comme les autres, en raison de la crise aiguë que traverse la centrale. En cause, l’amendement de l’article 20 du règlement intérieur qui a permis au secrétaire général d’être reconduit à la tête de la place Mohamed Ali. Idem pour d’anciens membres du Bureau exécutif qui ont été réélus au sein de ce Bureau.
L’amendement a été qualifié de hold-up et même de traîtrise par une grande partie de syndicalistes. L’effet boule de neige qui s’en est suivi a créé de profondes dissensions, entraîné de forts remous et intensifié la crise au sein de la centrale syndicale.
Un conseil national tenu dans une ambiance très tendue
La crise n’est pas nouvelle. Elle couvait depuis longtemps, depuis l’ère du président déchu Ben Ali, nous confie une source proche du milieu syndical. A présent, elle éclate au grand jour en raison de l’ajournement de plusieurs réformes internes qui auraient dû être mises en œuvre.
L’équipe actuelle a favorisé la stratégie de la fuite en avant depuis le 14 janvier 2011. «Elle se trouve aujourd’hui devant une impasse, en perte de repères et de crédibilité, d’autant qu’elle a toujours refusé le pluralisme syndical. Il est inacceptable qu’elle veuille continuer à faire cavalier seul», ajoute la même source.
Le conseil national ordinaire de l’Ugtt s’est tenu à Monastir les 5, 6 et 7 septembre 2024, dans un contexte marqué par les dissensions internes et des critiques acerbes adressées à l’équipe dirigeante. L’appel en faveur de la tenue d’un congrès extraordinaire, lors du forum syndical organisé à Hammamet en juin dernier, n’a fait que confirmer le profond désaveu dont fait l’objet l’actuelle direction, selon notre source.
La complexité du conflit interne a confirmé l’inquiétude d’un grand nombre de militants syndicaux, car on ne parle plus de risques de divisions, mais plutôt de signes de fractures qu’on ne peut plus dissimuler, et qui ont conduit d’ores et déjà à la naissance de deux factions au sein du Bureau exécutif. L’une qui soutient Noureddine Taboubi, et qui tente de minimiser la profonde crise et d’éviter l’organisation d’un congrès extraordinaire. Et l’autre qui veut se démarquer définitivement de l’équipe dirigeante actuelle qui a réussi à briguer un nouveau mandat, par l’amendement du règlement intérieur de l’Ugtt, lors du congrès de Sousse tenu en juillet 2021. Cela avait permis à Noureddine Taboubi et à d’autres anciens membres de briguer un nouveau mandat, lors du congrès électif de Sfax tenu en 2022.
Taboubi s’excuse, un peu tardivement
Remous, tergiversations et volte-face au niveau des positions d’une grande partie de syndicalistes ne risqueraient-ils pas d’isoler davantage la direction actuelle ?
Pour certains syndicalistes, Taboubi a tenu à exprimer son mea-culpa, en s’excusant lors des travaux du conseil national ordinaire. «C’est une erreur stratégique», avait-il concédé dans un discours prononcé au terme des travaux. S’agit-il d’excuses formulées sous pression ou d’une manœuvre tactique ? On ne le sait trop. De ce fait, tout est envisageable, selon certaines sources syndicales.
Aucune partie ne peut nier aujourd’hui le conflit qui oppose deux clans. L’équilibre des pouvoirs pourrait bien basculer du côté des partisans de l’équipe dirigeante actuelle ou de celui de l’opposition syndicale. Néanmoins, les grandes divergences qui ont entaché l’adoption de la motion relative au règlement intérieur au cours des travaux du dernier conseil national et qui ont conduit au rejet de la tenue d’un congrès extraordinaire, ainsi que les divergences qui traversent le Bureau exécutif risquent de s’amplifier dans les jours à venir et ne présagent rien de bon pour l’Ugtt.
Les luttes intestines amplifiées par l’amendement du règlement intérieur, non seulement divisent les membres de la centrale, mais encore l’affaiblissent et ternissent son image. «A défaut d’engager des réformes profondes, fait observer notre source, on assiste à cette fuite en avant aux retombées imprévues autant sur le Bureau exécutif que sur l’ensemble des structures syndicales».