Dans ses essais, Francis Bacon, philosophe anglais, avait dit: «La jeunesse est plus apte à inventer qu’à juger, à exécuter qu’à conseiller, à lancer des projets nouveaux qu’à poursuivre des anciens». Notre jeunesse, en dépit de tout, a de la valeur.
Nous ne sommes pas les seuls à exprimer cette appréciation. Notre jeunesse mérite, de ce fait, le mieux que nous puissions lui offrir. N’importe quel Tunisien aurait eu le même réflexe et aurait agi de manière spontanée pour que cette jeunesse puisse bénéficier des meilleurs atouts pour affronter les aléas d’une vie qui devient de plus en plus difficile.
L’élitisme qui gagne du terrain, le débarquement d’une intelligence artificielle qui menace, promet et impose une nouvelle façon de concevoir l’avenir, ne sont pas pour tranquilliser ceux qui pensaient, jusque-là, que l’éducation de base pourrait suffire. Sous nos cieux, on joue des coudes pour assurer une place dans des écoles privées qui poussent comme des champignons. Les parents se privent pour consacrer cette éducation et cette formation dont leurs enfants ont besoin, pour se mesurer à armes égales avec ceux qui disposent des moyens, leur permettant de se faire une place au soleil.
C’est depuis longtemps que cela dure
Mais, et il y a un mais. Ces prises d’initiatives ne sont pas à la portée de tout le monde. Nous comptons, hélas, près d’un million d’enfants et de jeunes qui sont dans la rue. Ils ne savent que faire. Ni dans les rues qu’ils squattent jour et nuit, ni de quoi sont faits les contours d’un avenir dont ils n’ont aucune idée. Ils vivent au rythme d’une incertitude qui les tenaille et les pousse vers des directions qu’ils n’ont jamais choisies. Drogues, boissons frelatées bon marché, coups de main fugitifs en suiveurs, mauvais coup pour avoir un billet qui leur permettra de se payer une boisson ou un sandwich. C’est le cheminement d’une vie qui n’en est pas une.
Depuis une dizaine d’années que cela dure, ils ont eu le temps de sourire à chaque fois qu’on leur a promis de s’occuper de leurs problèmes que tout le monde connaît. Soit des problèmes que tout ce monde s’est engagé à régler avec des promesses. Jusqu’à ce qu’intervient un conseil des ministres qui a saisi à bras- le- corps un dossier sur lequel ont buté bien des gouvernements.
La jeunesse, c’était l’affaire exclusive du ministère de la Jeunesse et des Sports. Mais ce département, en charge de cette frange importante de la population, n’avait malheureusement pas les moyens de ses ambitions. Le sport, opium des peuples, accapare tout et comme tout était à refaire, le peu que l’on réalisait était insuffisant par rapport à l’énormité de la tâche.
Ni les gouverneurs ni les autres départements ne prenaient leur part dans cette entreprise nationale, si nous exceptons celui chargé de la réalisation des infrastructures du pays. Une fois le bâtiment réceptionné et remis, tout le monde reprend ses billes et chacun pour soi, Dieu pour tous.
Reconnaissons que beaucoup d’efforts ont été faits au niveau des régions. Les maisons de jeunes ne sont plus aussi austères. Mais avec les nouvelles ambitions affichées, elles se doivent d’évoluer pour devenir non plus des lieux de rassemblement où les jeunes non seulement meublent leur temps libre, mais aussi un cadre idoine où ils auront tout loisir de donner à leur vie l’orientation qu’ils jugent propice pour leur futur. Autrement dit, les conseilleurs, qui ne sont pas les payeurs, n’auront plus les coudées franches pour les influencer et les orienter vers des voies non passantes. Et c’est la raison pour laquelle l’association des parties prenantes intéressées et pourvues de moyens sera de nature à ouvrir de nouveaux horizons.
La jeunesse est l’affaire de tous
Pour la première fois depuis l’indépendance, on a enfin compris que la jeunesse est l’affaire de tous. C’était l’objet de la réunion ministérielle qui a mis les choses au point.
Le chef du gouvernement a présenté la stratégie nationale de la jeunesse à l’horizon 2035. Il a salué « le fonctionnement participatif et efficace des ministères et de toutes les parties impliquées dans l’élaboration de la stratégie nationale de la jeunesse à l’horizon 2035, soulignant la nécessité de poursuivre le travail dans l’objectif de redonner espoir aux jeunes Tunisiens et de rétablir leur confiance dans les structures de l’Etat et dans leur environnement social et économique ». Un changement radical de la politique jusque-là adoptée.
La jeunesse de la pénombre sort sous les rayons d’un soleil éclatant. Encore faut-il que les choses évoluent dans le sens de tous ceux qui croient au rôle moteur de cette population active ou sur le point de l’être. «Je ne vous cache pas que j’ai relu les déclarations précisant cette nouvelle option. Nous éprouvons de la peine pour pouvoir exister. Nos locaux sont trop exigus. Il n’y a aucun moyen de convaincre les jeunes à venir vers nous. Nous nous efforçons de recruter au niveau des quartiers proches, mais ce n’est pas du tout suffisant. Le scoutisme nous apprend à être respectueux, solidaires, justes, dignes de confiance, responsables. Il ne s’agit pas de le dire, il faut que le jeune le vive. Ce n’est pas facile. Les moyens manquent et nous ne pouvons absolument pas mettre à contribution les parents qui ont déjà trop de charges. Le fait de mobiliser plusieurs ministères pour contribuer à l’encadrement de la Jeunesse est un élément positif», nous a confié un chef scout encore en activité.
Quelle pourrait être cette contribution et sous quelle forme ? « Je pense que c’est toute une politique qui devrait être mise en place », avance un ancien professeur d’histoire. A une certaine époque, les jeunes venaient vers les maisons de jeunes, les Auberges de la jeunesse, les jeunesses musicales et artistiques, d’une façon générale. De nos jours, les jeunes ont d’autres préoccupations. Pour les attirer, il faudrait les convaincre que la voie qu’on leur offre de suivre est porteuse d’espoir. Ce n’est plus une question de temps libre à occuper, mais bien d’avenir et d’ouverture sur le monde.
Le rôle des maisons de jeunes
Avec les réseaux sociaux tout est mis à nu. On sait non seulement ce qui se passe chez le voisin, mais au-delà des mers. C’est la raison pour laquelle on trouve de plus en plus de très jeunes, des femmes enceintes, des bébés parmi ceux qui sont tentés de tenter d’immigrer en mettant en danger leur vie. A mon sens, le seul moyen de les convaincre est bien d’aller vers eux. Il y a trop de paperasse, de temps perdu, de promesses non tenues, de difficultés qui entravent la prise en main de cette jeunesse. Il faudrait aller vers elle et lui montrer que l’on se soucie de son devenir.
Du point de vue logistique, ces maisons de jeunes pourraient jouer un rôle extraordinaire. Mais il faut les équiper et leur fournir un personnel compétent, pédagogue, imbue de la portée de la mission qui lui est confiée. La preuve, lorsqu’on s’y est mis pour récupérer une partie du million d’élèves qui ont quitté les bancs de l’école, cela a marché. Si les ministères mobilisés y mettent du leur, il est possible de rétablir la confiance.
Voyez le cas de l’hôtellerie, ils sont demandeurs de main d’œuvre. Nos partenaires européens ou des pays africains ou arabes sont également demandeurs, mais ils exigent que cette main-d’œuvre soit spécialisée. Prenez le cas d’un jeune qui se trouve loin des centres de formation actuellement en service. Il est dans l’obligation de quitter sa famille pour aller apprendre un métier. Il se doit d’assurer son logement, sa nourriture, son habillement, sans pour autant être sûr qu’on lui assure cette formation à laquelle tient son avenir. Combien de jeunes ont-ils abandonné en route? Que sont- ils devenus? Quel exemple présentent- ils pour les membres de leurs familles, de leur quartier, de leur entourage ?
Jeunesse 2035
La réussite est porteuse d’espoir. L’échec est la matrice au sein de laquelle le désespoir coulera les futures difficultés, qui viendront alourdir la mission de la société.
Comment ces ministères, parties prenantes dans l’encadrement futur de la Jeunesse vont-ils agir ? C’est toute une politique à mettre en place. Toute une logistique qui doit couvrir tout le territoire. Ce n’est pas facile. Il y a à vaincre cette léthargie qui a déjà fait tant de mal. Mais il y a aussi cette volonté de dépasser les difficultés et nous retrouvons cette volonté dans les mots du chef du gouvernement qui a insisté à propos de ce point. «La stratégie nationale de la jeunesse 2035 s’articule autour de l’appartenance, la citoyenneté, le bien-être social, les modes de vie sains, l’intégration sociale et économique des jeunes, la créativité, l’innovation, la mobilité des jeunes et les loisirs». «Je pense que cela n’a pas été déclaré pour simplement marquer le coup », intervient un jeune, détenteur d’un doctorat, qui fait du porte-à-porte, pour donner des cours de maths. «Tout en reprenant en main notre jeunesse, nous pourrions résorber le chômage », révèle-t-il. Les moyens ? Il faudrait en trouver, car il s’agit de l’avenir de la jeunesse de tout un pays.
La juxtaposition de ces moyens, des logistiques, l’harmonisation des objectifs, la mise en pratique des politiques imaginées pour se rapprocher des jeunes à l’effet de leur offrir ce qu’ils attendent, sans avoir à subir les affres de l’attente, l’inquiétude de l’indécision, seront des actions mobilisatrices assez convaincantes pour forcer le choix.
Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle vision nécessite une énergique descente sur le terrain et un rapprochement inévitable entre la jeunesse et ceux qui tiennent à en faire des hommes et des femmes utiles sur lesquels pourra compter le pays. «La jeunesse s’enfuit sans jamais revenir», dit-on, mais le passé de cette jeunesse, sa formation, ses valeurs, font qu’elle revient grâce aux générations montantes.