«Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ! », disait le père de la révolution burkinabè, le capitaine Thomas Sankara, quelques mois avant son assassinat, le 15 octobre 1987. Trente-sept ans plus tard, cette citation prémonitoire colle parfaitement avec la fin tragique du chef du Hamas, Yahya Sinouar qui est tombé en martyr, mercredi, les armes à la main, sous le feu ennemi, à Tell Al-Sultan, un quartier de Rafah, dans le sud de Gaza.
Si l’entité sioniste et son allié américain ont jubilé à l’annonce de la mort d’« Abou Ibrahim » (surnom de Yahia Sinouar, ndlr), la rue du monde arabe a pleuré à chaudes larmes l’un des principaux héros du mouvement de la résistance palestinienne face à une force occupante qui ne cessa de multiplier éhontément et impunément les crimes de guerre et les massacres contre un peuple spolié de ses terres en Cisjordanie occupée et totalement isolé dans la bande de Gaza, sans parler des centaines de milliers de Palestiniens déplacés, exilés ou apatrides.
Icône pour les âmes libres et pro-palestiniennes, « terroriste » aux yeux d’une grande majorité d’un Occident complaisant avec les pratiques génocidaires d’un gouvernement israélien fasciste, Yahya Sinouar a toujours été un personnage clivant comme tout combattant défendant la juste cause d’un peuple opprimé et réprimé dans le sang.
Cette frange d’un Occident hypocrite et complice d’une entité voyoute et hors la loi a tendance à oublier l’histoire des mouvements de libération. N’est-il pas vrai que tous les chefs de guérillas ou de mouvements politiques prônant la lutte armée pour chasser une force occupante ou colonisatrice ont souvent été qualifiés de « terroristes »? Du général Võ Nguyên Giáp — chef de l’Armée populaire vietnamienne pendant la guerre d’Indochine — jusqu’au grand Nelson Mandela en Afrique du Sud et son combat contre la politique d’apartheid du Parti national, passant par Mostefa Ben Boulaïd (un des fondateurs du Front de libération nationale (FLN) en 1954 et commandant de l’Armée de libération nationale (ALN) dans les maquis de la zone des Aurès au début de la guerre d’Algérie); tous les révolutionnaires luttant contre les forces colonisatrices et occupantes de leur patrie ont été toujours perçus comme les chantres de la terreur.
Le leader palestinien Yahya Sinouar ne déroge pas à cette règle. Né le 29 octobre 1962 à Khan Younes, dans le sud du territoire, il rejoint le Hamas tout juste fondé en 1987 avec l’éclatement de la première « Intifada » (le soulèvement populaire contre l’occupation sioniste) dans un camp de réfugiés du nord de la bande de Gaza. Vingt-cinq printemps au compteur, il dirige déjà l’Organisation du « jihad et de la prédication », l’unité de renseignement du Hamas qui châtie les « collabos » (ces Palestiniens punis pour traîtrise en collaborant avec l’ennemi sioniste). En 1988, il fonde « Majd », le service de sécurité intérieure du Hamas. Incarcéré en 1989, le plus célèbre des prisonniers palestiniens sort en 2011 avec un millier de détenus libérés par l’entité sioniste, en échange du soldat Gilad Shalit, otage du Hamas pendant cinq ans. Il réintègre le Hamas et en est promu chef de Gaza en 2017, qu’il dirige de facto. En collaboration avec feu Mohammed Deïf — commandant des brigades Ezzeddine al-Qassam, la branche armée du Hamas —, il fut l’un des cerveaux du coup d’éclat du 7 octobre 2023, une opération militaire baptisée ‘’Déluge d’Al-Aqsa’’ : la plus grande débâcle des services de renseignements et des forces militaires sionistes depuis le 6 octobre 1973.
À la fois charismatique et ascétique, « Abou Ibrahim » a eu le mérite de remettre sur la table de la géopolitique internationale la cause palestinienne à une époque où plusieurs pays arabes adhéraient allègrement aux accords d’Abraham et affichaient sans vergogne leur sympathie à l’élan de normalisation avec l’entité sioniste.
On peut aimer ou ne pas aimer Yahya Sinouar et sa ligne politique dure qualifiée de « radicale » par ses détracteurs. Mais son intransigeance vis-à-vis de l’occupant sioniste ne peut qu’être légitime, notamment avec la montée en puissance de l’extrême-droite suprémaciste dans le paysage politique israélien, incarnée par le sulfureux Ben Gvir (ministre sioniste de la Sécurité nationale) et le ministre controversé des Finances Bezalel Smotrich au sein de l’actuel gouvernement sioniste dirigé par Benjamin Netanyahu.
Depuis l’annonce de la mort d’« Abou Ibrahim », les Américains, comme en témoignent les réactions de Joe Biden et du chef de la chambre américaine des représentants, n’ont cessé de crier victoire et exprimer une folle joie, oubliant les affres du génocide perpétré par l’armée sioniste à Gaza et l’extermination de plus de 42.000 Palestiniens, majoritairement des civils, en plus d’un an de bombardements sauvages et acharnés contre un territoire enclavé et assiégé.
Selon un communiqué diffusé par le ministère palestinien de la Santé de Gaza : l’ennemi aurait commis 6.587 massacres contre les familles durant le génocide en cours à Gaza depuis un an. Plus de 1.206 familles ont été effacées des registres de l’état civil, au cours des raids menés par l’entité sioniste depuis le 7 octobre 2023 dans la bande de Gaza. Et un seul membre a survécu dans 2.271 familles, tandis que plusieurs membres ont survécu dans 3.110 autres familles.
Or, malgré ce bilan macabre, les sionistes et leurs alliés croient fermement que l’assassinat du patron du Hamas serait un coup fatal pour le mouvement de la résistance palestinienne. Eh bien, ils ne connaissent rien de l’état d’âme d’un peuple dépossédé, brutalisé et martyrisé au plus profond de son être. Rien dans ce monde ne peut consoler un orphelin palestinien ayant perdu ses parents dans les frappes meurtrières de l’occupant sioniste. Aucune force aussi dévastatrice soit-elle ne peut stopper la rage d’un père ou d’une mère témoin de la mort de son enfant ou de son nourrisson. Aucune bombe ne peut annihiler la vengeance d’un frère privé de son âme sœur. La haine nourrit la haine. La violence engendre la violence. Le sang appelle le sang et rien ne calmera sa faim. Tuez Sinouar, des milliers de Sinouar naîtront !