Accueil A la une Interview de Mohamed Ali Okbi, Président et Fondateur du Festival «Vues sur les Arts» : Entre révélations et inspirations…

Interview de Mohamed Ali Okbi, Président et Fondateur du Festival «Vues sur les Arts» : Entre révélations et inspirations…

 

Les cinémas l’Agora à La Marsa et à Djerba accueillent la Cinquième édition du festival «Vues sur les Arts» qui se déroule du 16 au 20 octobre 2024. Cet événement, devenu incontournable pour les passionnés de cinéma et d’art, explore l’interaction fascinante entre ces deux univers créatifs, offrant une plateforme d’expression dynamique. L’Agora se transforme ainsi en un lieu vibrant d’émotions, où chaque œuvre invite à la réflexion et à l’émerveillement. Nous avons rencontré Mohamed Ali Okbi, président et fondateur du festival, qui partage avec nous sa vision, ses ambitions et les moments marquants qui ont jalonné cette aventure artistique. Dans cette interview, il dévoile des vérités sur la place de l’art dans notre société et sur l’importance de célébrer la créativité sous toutes ses formes.

Né en 1948 à Tunis, Okbi est une figure emblématique du cinéma tunisien, reconnu tant sur la scène locale qu’internationale. Son parcours artistique a débuté très jeune, dès l’âge de 12 ans, quand il s’est passionné pour les arts, le spectacle, le théâtre, la musique et la peinture. Une inclination qui l’a naturellement dirigé vers une carrière culturelle.
Okbi a ensuite intégré une classe préparatoire aux grandes écoles, un choix qui lui a permis d’acquérir un bagage solide culturel en théâtre, poésie et roman. Son parcours l’a mené à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) à Paris, suivi de l’American Film Institute à Los Angeles, où il s’est perfectionné en écriture de scénarios et direction d’acteurs. À son retour en Tunisie, il a eu l’opportunité de travailler sur plusieurs productions américaines, notamment en tant que premier assistant réalisateur sur des films prestigieux tels que «Les Aventuriers de l’arche perdue» de Steven Spielberg et «Pirates» de Roman Polanski. Ces expériences lui ont permis de côtoyer des légendes du cinéma, telles qu’Ava Gardner et Elisabeth Taylor. Son premier long-métrage, «Un Ballon et des rêves», offrait un regard semi-documentaire sur l’équipe nationale tunisienne de football, suivi par «Les Zazous de la vague », qui marqua un tournant dans sa carrière. Après une décennie en tant qu’assistant réalisateur, Okbi s’est lancé dans la réalisation de ses propres films, produisant notamment le documentaire «Kura Wahle», centré sur Abdelaziz Chattel et la Coupe du monde de football. Ce projet l’a vu gérer une petite équipe et prendre en charge l’écriture, le marketing et la diffusion, révélant ainsi son désir de création rapide et efficace. Conscient que le cinéma traditionnel demandait du temps, il s’est tourné vers la publicité, produisant près de 80 spots qui ont connu un grand succès. Cette expérience l’a poussé à fonder sa propre maison de production «Dprods» pour se concentrer sur ses projets créatifs.
En 2014, il a lancé l’Agora, un concept qui lui tenait à cœur. L’Agora est bien plus qu’un simple espace culturel; c’est un lieu de rencontre qui englobe une salle de cinéma, une salle d’exposition et un café littéraire. Son ambition est de rassembler les jeunes et de créer un lieu de dialogue entre artistes, politiciens et citoyens de toutes classes sociales. Malgré les défis liés au manque de soutien financier, l’Agora a su s’imposer comme un pôle culturel dynamique. Okbi est également un fervent défenseur de la culture comme pierre angulaire de la société. Il souligne l’importance d’un engagement artistique de qualité, affirmant que la culture ne doit pas se réduire à des événements de masse, mais doit favoriser un véritable échange intellectuel, à l’image de l’Agora de l’Antiquité.
En collaboration avec des partenaires comme le groupe Kilani, Okbi espère développer d’autres espaces similaires, notamment à Gabès, après l’ouverture de celui de Djerba. Son objectif n’est pas seulement financier: il souhaite organiser des cycles culturels, des ciné-clubs et des conférences littéraires, tout en travaillant avec des ambassades pour faire découvrir des cultures diverses. Aujourd’hui, l’Agora attire un public de plus en plus nombreux et reste ouverte à toutes les initiatives artistiques et culturelles, tout en s’éloignant délibérément de l’engagement politique. Pour Okbi, la culture est un vecteur d’éducation et de transformation sociale, un espace où l’art et l’esprit peuvent s’épanouir ensemble.

Quelles ont été les principales évolutions du festival «Vues sur les Arts» depuis sa création?

Cette année, nous introduisons une exposition d’art qui accompagne le festival, ainsi que des masterclasses et des ateliers d’écriture.
Ces initiatives sont essentielles pour enrichir l’expérience des participants. À la fin du festival, nous remettrons un prix dans le cadre du programme «Courts Entre 2 Rives», initié par Alexis Ferrari, directeur du festival corse «Les Nuits Méditerranéennes du courtmétrage», avec lequel nous collaborons depuis trois ans. Nous sélectionnons de jeunes réalisateurs ayant écrit leur première version de scénario et leur offrons un accompagnement pour l’améliorer. Nous choisissons quatre réalisateurs tunisiens, puis en sélectionnons deux, et finalement un seul participant aux ateliers. Les jeunes réalisateurs auront l’opportunité de présenter leur pitch devant le jury, composé de membres d’Italie, de Corse et de Tunisie pour évaluer leurs projets. Avec un prix à la clé, les gagnants pourront rencontrer des producteurs, facilitant ainsi leur accès à des opportunités professionnelles. Concernant l’exposition de peinture, elle est cruciale. Depuis trois ans, je collabore avec de grands peintres, en leur proposant un thème commun. Par exemple, nous avons travaillé sur la coupole de La Marsa et les petits commerces. Cette année, le thème s’inspire de Gaston Bachelard, qui évoque les quatre éléments fondamentaux : l’eau, l’air, le feu et la terre. Chaque artiste choisira un élément et y répondra à travers son œuvre.
Chaque année, le festival évolue positivement, attirant de plus en plus de sollicitations pour divers événements annexes.

Qu’est-ce qui a motivé le passage de 14 à 11 films cette année ?

Comme je le dis souvent, ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Nous avons des domaines où nous trouvons des films qui correspondent à notre engouement. Notre objectif n’est pas de remplir des chiffres, que ce soit avec 12 ou 13 films ; ce qui importe, c’est de proposer un programme qui, durant une semaine, incite le public à découvrir des œuvres qu’il ne peut pas voir ailleurs. C’est là le principe fondamental de notre festival.

Comment se déroule le processus de sélection des films et quels sont les critères pris en compte pour choisir les productions présentées?

Le processus de sélection des films est à la fois rigoureux et passionnant. Nous avons une variété de productions, allant des films de fiction aux documentaires. Par exemple, pour notre soirée d’ouverture, nous projetons un biopic sur Charles Aznavour, qui met en lumière sa vie et son œuvre. Ensuite, nous avons «Lee Miller», un film sur une photographe emblématique qui a également été mannequin et grande reporter de guerre. Il représente une belle exploration de son engagement dans la photographie au début du siècle, et elle reste une icône du monde artistique.
Dans le domaine de la mode, nous avons un film sur Alexander McQueen, un styliste de talent dont le parcours est fascinant. Il a révolutionné l’industrie de la mode, et son histoire, marquée par un destin tragique, est une véritable immersion dans le spectacle qu’il a créé. Nous présentons également «La Passion de Dodin Bouffant», un film culinaire avec Juliette Binoche et Benoît Magimel, qui traite l’art de la cuisine et son impact culturel. C’est une œuvre à découvrir, véritablement consacrée à l’art culinaire.
Un autre film intéressant est «La Jeune Fille et les Paysans», une adaptation d’une œuvre d’un prix Nobel de littérature polonais de 1924. Ce film aborde la condition paysanne et a été réalisé avec le soutien de l’ambassade de Pologne. Nous avons aussi «Léo», un dessin animé inspiré de la vie de Léonard de Vinci, conçu pour un public de tous âges, qui souhaite faire découvrir cet artiste majeur aux jeunes générations. Un film grec, «Autre pauvre créature», qui explore la rébellion d’une femme, s’inscrit dans notre volonté de présenter des œuvres récentes, reflétant ainsi des problématiques contemporaines. Nous cherchons à toucher toutes les tranches d’âge avec notre sélection. Que ce soit pour la cuisine, la peinture, la photographie ou d’autres arts, chacun pourra trouver son bonheur. Parmi les nouveautés, il y a «Yannick», un film exceptionnel avec Raphaël Connard, un jeune acteur prometteur qui a déjà reçu le prix d’interprétation masculine Nous sommes convaincus qu’il marquera l’avenir du cinéma français. Enfin, nous avons des films tunisiens, notamment sur Hédi Turki, un grand peintre et mon ancien professeur. Son œuvre est explorée à travers un film qui présente son héritage. De plus, un film sur Marwen Trabelsi, un artiste tunisien au style unique, met en avant sa passion pour la collection d’objets hétéroclites. Pour conclure, cette année, nous mettons également en avant «Cesária Évora: la Diva aux pieds nus», un hommage à cette grande chanteuse populaire devenue une star mondiale. La diversité des films sélectionnés reflète notre engagement à présenter des œuvres variées et enrichissantes, permettant ainsi à chacun de découvrir de nouvelles histoires et cultures.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix limité de films tunisiens?

Nous avons constaté un manque dans la représentation des artistes tunisiens au cinéma. Par exemple, l’année dernière, nous avons présenté « L’Homme qui a vendu sa peau » de Kaouther Ben Hania, qui aborde des thèmes culturels et entre parfaitement dans notre festival. En revanche, les films qui traitent de sujets politiques ne correspondent pas à notre orientation.
Ce que je souhaite souligner auprès du ministère de la Culture et des intellectuels tunisiens, c’est qu’il y a une absence de films qui dressent des portraits d’artistes tunisiens, qu’ils soient musiciens ou peintres… Réaliser de tels portraits serait un apport précieux à notre culture. Il est essentiel de faire savoir que la production cinématographique tunisienne souffre d’un manque flagrant dans ce domaine. Lorsque nous organisons un festival, nous avons du mal à trouver des œuvres qui répondent à ces critères.

Quels sont les objectifs des ateliers et masterclasses proposés durant le festival et comment pensez-vous qu’ils pourront influencer les jeunes talents tunisiens?

L’objectif principal est de former les jeunes issus des écoles de cinéma à travers des ateliers d’écriture, ainsi que d’initier ceux qui souhaitent réaliser des documentaires à la méthode de création. Nous voulons les encourager à explorer le cinéma éducatif et le documentaire, en leur fournissant les outils nécessaires pour développer leur passion et leur créativité. Ces ateliers et masterclasses sont conçus pour avoir un impact significatif sur les jeunes talents tunisiens, en les aidant à acquérir des compétences pratiques et en leur offrant un espace pour s’exprimer et échanger des idées.

Pouvez-vous expliquer le concept de la résidence d’écriture «Courts Entre 2 Rives» et son importance pour le développement des talents du cinéma méditerranéen ?

La résidence d’écriture «Courts Entre 2 Rives» offre aux participants l’opportunité de se plonger dans un environnement créatif où ils peuvent apprendre à écrire. Je pense que les jeunes cinéastes issus des écoles de cinéma devraient impérativement y participer, car ces ateliers offrent un apprentissage beaucoup plus approfondi et personnalisé. Le format oneto-one est essentiel, car il permet de se concentrer sur les spécificités du métier et d’acquérir des compétences pratiques qui complètent leur formation académique. Personnellement, lorsque j’étais étudiant, j’appréciais énormément les masterclasses et séminaires animés par de grands auteurs. Ces expériences m’ont permis de découvrir des perspectives précieuses et d’approfondir ma compréhension du cinéma. C’est essentiel pour les jeunes qui débutent leur carrière, car cela leur permet non seulement d’apprendre le métier, mais aussi d’explorer le septième art à travers une multitude de films.

Comment le public a-t-il réagi lors des éditions précédentes? Avez-vous remarqué des tendances dans les films qui attirent le plus d’intérêt?

Je suis convaincu que ce n’est pas la quantité de spectateurs qui détermine la qualité d’une audience. Ce n’est pas simplement remplir une salle; ce n’est pas la vocation de notre Agora. Je préfère avoir dix personnes qui comprennent et apprécient le cinéma, car elles peuvent ensuite en parler autour d’elles et créer un effet d’entraînement. C’est ainsi que tout commence.
Avoir une salle pleine peut sembler flatteur, mais ce n’est pas notre objectif commercial. Ce qui nous motive, c’est d’élever le niveau de la discussion et d’attirer ceux qui partagent cette passion. Peut-être qu’avec le temps, ces spectateurs développeront un goût encore plus prononcé pour le cinéma.

Quelles sont vos ambitions pour les prochaines éditions du festival? Avez-vous des projets d’expansion ou de collaboration internationale?

Nous en sommes déjà à la cinquième édition du festival, qui a pris son élan en 2020 et continue de se développer. Maintenir un festival en vie est un véritable défi, surtout après les difficultés rencontrées pendant la pandémie du Covid. Cependant, nous avons réussi à traverser cette période et je suis convaincu que ce festival va atteindre sa vitesse de croisière, d’autant plus qu’il n’y a pas de raison de ne pas envisager une sixième, une septième, voire une dixième édition. Nous avons donc de nombreux projets pour l’avenir. Nous avons également élargi nos horizons en nous ouvrant à des pays comme la Pologne et le Portugal. Nous envisageons même des collaborations avec des pays comme l’Amérique, l’Allemagne ou l’Egypte… Le thème de cette édition a été axé sur la Pologne, et nous avons conçu notre programmation en fonction des contributions de chaque pays.
Il est essentiel de respecter certains critères pour la sélection des films, qui s’inscrivent dans des rubriques de littérature. Nous restons ouverts à des projets d’expansion et de collaboration internationale pour enrichir notre festival et offrir des expériences variées à notre public.

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