L’histoire étant toujours le témoin des temps et la vie de la mémoire. Ça s’applique bien à Zouakra et Barrama, deux localités— la première relevant de la délégation de Makthar, la seconde de Gaâfour— qui étaient à l’origine de la création du fameux FSN (Fonds de solidarité nationale), suite à la visite de l’ancien président Ben Ali, le 4 décembre 1992, mais elles n’en ont pas beaucoup profité. Sauf que certaines interventions avaient, alors, touché nombre de foyers (amélioration de logements, bitumage des routes…), sans avoir trop changé le visage du village, où prospère royalement la misère. Et les habitants ont du mal à s’en sortir, prenant leur mal en patience. Ce constat, qui date de plus de 30 ans, avait, tout bonnement, révélé le sens d’une politique de façade qui, à l’époque, aurait servi de coup de poker électoral.
La nécessité, mère d’invention
Entre-temps, personne n’a eu le courage de faire bouger les lignes et prêter l’oreille aux préoccupations des autochtones. Aucun responsable local ou régional n’était à leur écoute. Et vogue la galère ! «Nous vivons, depuis, dans la précarité, sans droit d’accès même à l’eau potable. Nous n’avons que l’électricité dans nos foyers..!», confie Rebeh Oueslati, cinquantenaire, désignée, désormais, cheffe d’un groupement d’artisanes comptant une centaine de femmes potières de la région. L’infrastructure routière est si défectueuse qu’elle les empêche de se déplacer facilement. Les routes reliant Al Barrama à Gaâfour, d’un côté, et à Siliana, de l’autre, demeurent quasiment impraticables.
Toutefois, et comme la nécessité est mère de l’invention, dit-on, l’insuffisance des ressources et des moyens de subsistance a donné lieu à l’évolution de l’activité de poterie, une tradition artisanale ancestrale transmise de génération en génération. Le travail minutieux de l’argile, de la pâte à la cuisson, étant le plus beau fleuron du développement local. Ainsi, autant de femmes sont devenues des artisanes, des potières qui connaissent leur métier sur le bout des doigts. Laissées pour compte, elles cherchent, désespérément, une place au soleil, à même de mettre un pied dans le marché national, déjà en porte-à-faux avec ce qu’il faut être. En l’état, la commercialisation du produit artisanal pose toujours problème et sape la marche de tout un secteur.
Elles exposent à Tunis
A El Barrama, une centaine de femmes artisanes s’adonnent à ce métier, non sans trop de difficultés. Nombre d’entre elles viennent, tout récemment, de participer aux «Journées promotionnelles de poterie El Barrama», qui se sont déroulées du 21 au 26 du mois courant, à la Galerie d’information à Tunis. Pour elles, c’était une aubaine : «Ainsi, nous consacrer, pour la 2e année consécutive, une semaine durant, permettrait, outre la vente de nos produits, de nous faire connaître davantage auprès de nouveaux clients potentiels», s’exprime-t-elle, sollicitant appui matériel et accompagnement personnalisé.
Conscient de toutes ces difficultés, si lassantes et décourageantes, l’ONA repense, au fur et à mesure, sa stratégie de communication et de promotion. Il ne manque pas, si besoin est, de répondre aux attentes des professionnels. Soutenue par l’Office, représenté par son délégué régional à Siliana, Rebeh s’occupe, volontiers, des sessions de formation au profit des artisanes d’El Barrama. «En vérité, l’Office n’a ménagé aucun effort pour nous aider. De même, il ne cesse de nous assister et accompagner vers des foires et salons, où nous pouvons exposer et vendre nos produits», témoigne Rebeh, timidement plantée derrière son petit stand. Son souci et celui des collègues présentes à l’événement est trouver leur compte dans les foires et les salons qu’organise l’Office. C’est seulement au Salon annuel de l’artisanat, au Kram, que les artisanes d’El Barrama sont souvent conviées. Sinon, chacune d’elles, confinée à domicile, se contente de gérer sa matière première et peine pour dénicher des pistes où elle pourrait commercialiser.
Le tracas de la commercialisation
Plus qu’une tradition ancestrale, la poterie à El Barrama est un gagne-pain, une source de vie et de survie. «On travaille bien l’argile et on veille à ce que la pâte soit bien façonnée : Son modelage, séchage, émaillage et sa cuisson ne sont guère une mince affaire. A cela s’ajoutent la peine des déplacements et le tracas de la commercialisation», décrit Hadda Oueslati, mère de six enfants. A visage découvert, elle nous a relaté son calvaire de tous les jours : «Faire du ménage, cuisiner, éduquer les enfants, aller chercher la pâte d’argile, je suis quotidiennement au four et au moulin. Et puis, je rentre chez moi complètement équisée». Son revenu journalier servirait à peine à subvenir à ses besoins et nourrir sa famille.
L’idéal, pour elle et pour les autres artisanes, consiste à écouler leurs produits et se frayer une place dans les manifestations artisanales. «Je préfère aller exposer partout dans mon pays, surtout que l’on assiste, plus souvent, à plusieurs événements pareils», espère Cherifa Bint El Hafnaoui, elle aussi artisane et formatrice artisane. Elle est dans ce domaine, depuis 2001. «Je travaille à domicile, tout en assurant, à chaque fois, des sessions de formation dans la région. En outre, je remue ciel et terre pour pouvoir présenter mes produits finis dans des espaces relevant des complexes culturels ou dans d’autres foires régionales, comme celle de Sfax», révèle-t-elle, se plaignant de ses conditions sociales lamentables.